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§ 2 – La délégation d’arbitrage, entre délégation de signature et contrat de prestation de services : un mandat

ADIAL

Afin de déterminer l’essence de la convention de délégation d’arbitrage, examinons la
situation dans la délégation d’arbitrage en assurance vie multisupport, en calibrant le degré de
liberté et de transfert d’autorité ainsi opéré.

A/ Délégation d’arbitrage et délégation de pouvoirs

La notion de délégation de pouvoirs est utilisée pour distinguer la personne responsable d’un
acte par l’effet d’une délégation : dans une entreprise, la jurisprudence pénale condamnera le
dirigeant pour des actes commis matériellement par le subordonné auquel il aura délégué sa
signature, dès lors que les actes auront été exécutés sous son contrôle, tandis que le
délégataire de pouvoirs sera tenu pour responsable des délits qu’il aura causés dans la mesure
où il aura bénéficié d’un transfert de pouvoirs et de compétences, ainsi que des moyens
nécessaires à l’accomplissement de ses missions, dessaisissant le délégant de son pouvoir.
En l’occurrence, le contrat (ou la clause contractuelle) selon lequel le souscripteur délègue le
pouvoir d’arbitrage à un tiers le dessaisit-il de son pouvoir ? La question ne se pose pas en ces
termes en ce sens que la délégation d’arbitrage ne s’opère pas dans une chaîne de rapports de
subordination, et ne soulève pas la question de délégation de responsabilité pénale mais civile.
Cette hypothèse sera donc écartée.

B/ Délégation d’arbitrage et prestation de services

A l’opposé, peut-on concevoir que le souscripteur désigne un tiers afin d’arbitrer à sa place au
titre d’un contrat de prestation de service ? Le contrat d’entreprise102 est “la convention par
laquelle une personne en charge une autre moyennant rémunération, d’exécuter, en toute
indépendance et sans la représenter, un travail”(103). Autrement conçu, le contrat d’entreprise
est une convention par laquelle un contractant s’engage, moyennant le versement d’un prix, à
accomplir un « acte matériel »104.
La distinction d’avec un mandat s’entend aisément pour les actes matériels ne revêtant pas la
forme d’une prestation intellectuelle. Qu’en est-il dans le cas contraire ?
Il s’agirait pour le délégataire d’arbitrage d’effectuer pour lui (« pour l’autre ») la gestion du
contrat d’assurance vie en opérant les choix les plus justes au regard de sa situation et de celle
des unités de compte, afin de valoriser à terme la prestation d’assurance (ce pourrait être dans
les grandes lignes la définition de sa prestation, le « faire quelque-chose » de l’article 1710 du
Code civil) :
– Déterminer les besoins du souscripteur,
– se maintenir informé de ces besoins,
– identifier les unités de compte se dévalorisant,
– informer le souscripteur du risque de dévalorisation de la prestation,
– quantifier les unités de comptes sur lesquelles il serait opportun de se désengager,
– évaluer les avantages de nouvelles unités de compte,
– estimer l’adéquation entre les objectifs du souscripteur et la situation des unités de
compte désignées au contrat,
– estimer le rapport avantage/inconvénients des différentes solutions offertes,
notamment en termes de coûts, de perspectives d’évolution, etc.
– énoncer un conseil à destination du souscripteur,
– décider de positionner l’assurance sur d’autres supports,
– donner l’ordre d’arbitrage,
– vérifier que l’acte a été correctement exécuté,
– rendre compte de sa mission…

Certaines prestations s’apparentent au contrat d’entreprise, comme le rappelle
G. VERMEILLE105, tels le devoir de conseil, le devoir de vigilance, qui dépassent le cadre
d’une simple représentation.
L’objet de la prestation consiste essentiellement à arbitrer, c’est-à-dire déterminer la
pondération en fonction de l’aversion au risque du souscripteur et aux risques effectivement
exposés sur les marchés : le délégataire d’arbitrage est “maître de l’opportunité d’agir”106 – Sa
prestation peut prendre la consistance tant d’actes positifs que d’une abstention.
Dès lors, la délégation d’arbitrage telle qu’elle se pratique ne s’assimile-t-elle pas à un contrat
d’entreprise ? Le point est de savoir si la prestation est exécutée en représentation du
souscripteur (ce serait le cas du mandat) ou en toute indépendance.

C/ Délégation d’arbitrage et gestion de portefeuille

S’agit-il d’un contrat de gestion de portefeuille ?

1 – Des contrats de nature différente

Une troublante familiarité se dégage de l’observation de la délégation de l’arbitrage d’un
contrat d’assurance multisupport avec la gestion d’instruments financiers : comme nous avons
pu le constater, dans les deux cas, les « épargnants » se dessaisissent d’une somme d’argent,
opèrent des choix de supports financiers, qu’ils peuvent faire évoluer au fil du temps, peuvent
en tirer des bénéfices dès avant le terme et en retireront une somme d’argent à l’issue du
contrat. La comparaison se poursuit également dans la faculté de déléguer la gestion du
contrat à un tiers, souvent un professionnel. S’agissant d’instruments financiers, le contrat
revêt la forme d’un mandat de gestion réglementé. Cependant, la confusion ne doit pas
perdurer.
Si nous écartons l’hypothèse d’un contrat de gestion de portefeuille dans la mesure où il ne
s’agit pas pour le souscripteur de faire administrer un patrimoine lui appartenant, – ce qui
exigerait que son cocontractant respecte la réglementation propre aux Prestataires de services
d’investissement (PSI) posés aux livres V et VI du Code monétaire et financier (notamment
l’article L531-1 et 2) -, observons toutefois que ce contrat réglementé “repose essentiellement
sur un mandat, même si certaines prestations du gérant s’apparentent d’avantage au contrat
d’entreprise”.(107)

2 – Le respect par le délégataire des conditions professionnelles des PSI ?

L’article D321-1 du Code monétaire et financier définit les services d’investissement relatifs
aux instruments financiers, au sens de l’article L 321-1, parmi lesquels le service de gestion de
portefeuille et le conseil en investissement, qui ne peuvent être fournis que par des PSI
agréés :

“4. Constitue le service de gestion de portefeuille pour le compte de tiers le fait de gérer, de
façon discrétionnaire et individualisée, des portefeuilles incluant un ou plusieurs instruments
financiers dans le cadre d’un mandat donné par un tiers ». Economiquement, la délégation
d’arbitrage correspond à cette même définition, bien que juridiquement, le terme
« portefeuille » ait lieu d’être remplacé par celui de « créance d’assurance » : les prestations
sont assimilables, seul change l’objet de la prestation.

De même, le délégataire peut attendre du prestataire un service de conseil en investissement
entendu comme “le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa
demande, soit à l’initiative de l’entreprise qui fournit le conseil, concernant une ou plusieurs
transactions portant […] ;”(108), en l’occurrence, non « sur des instruments financiers » mais sur
des unités de compte représentatives d’une créance d’assurance.
Les services connexes aux services d’investissement, dont l’exercice est libre au regard des
dispositions du CMF (article L 531-1 al. 2), comprennent (article L321-2 [4]) “La recherche
en investissements et l’analyse financière ou toute autre forme de recommandation générale
concernant les transactions sur instruments financiers”, dont a fortiori l’exercice sera libre
s’agissant d’unités de compte de l’assurance vie.
Cette définition de fonction permet de cerner les obligations du délégataire d’arbitrage, mais
permet-elle d’en déduire que le mandataire devra nécessairement être un PSI agréé comme
tel ? Une règle limitant la liberté de travail doit être interprétée strictement, il nous apparaît
qu’en conséquence assimiler les mandataires d’arbitrage à des PSI semble irrégulier. L’AMF
rappelle les conditions de délivrance de ces agréments, effectués « par l’Autorité de contrôle
prudentiel (ACP) après approbation par l’Autorité des marchés financiers de leur programme
d’activité, sauf lorsque le prestataire exerce à titre principal le service de gestion de
portefeuille. Dans ce cas, son agrément n’est pas délivré par l’ACP mais par l’AMF, sous la
dénomination de société de gestion de portefeuille ». Les assurés tireraient toutefois avantage
à voir leurs mandataires respecter les règles déontologiques imposées aux PSI par l’AMF
ayant (notamment) pour mission à la fois de protéger l’épargne investie dans les instruments
financiers et vérifier l’information des investisseurs, afin d’assurer leur égalité d’information
et de traitement. Un tel contrôle pourrait être souhaitable.

D/ Délégation d’arbitrage et mandat

C’est autour de la qualification de mandat que se regroupe la doctrine majoritaire, pour
qualifier la délégation d’arbitrage(109) . Si elle désigne le mandat comme l’essence du contrat,
elle n’en omet pas pour autant les obligations spécifiques qui la complètent.
L’article 1984 du code civil définit le mandat « ou procuration » comme « un acte par lequel
une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son
nom. » La doctrine classique précise que la chose concernée consiste en un « acte juridique
[accompli pour lui] à titre de représentant »110, soit qu’il délègue uniquement sa signature,
après avoir déterminé précisément les termes et conditions dans lesquels l’acte doit être
accompli en son nom et pour son compte (notion de représentation matérielle), soit que la
mission soit plus large et qu’il délègue au mandataire le pouvoir de fixer les conditions dans
lesquelles l’acte sera accompli pour son compte (notion de représentation intellectuelle).
Reste que la délégation d’arbitrage a pour objet principal un acte juridique (celui que l’on a
désigné comme une faculté unilatérale d’opter pour une modification des unités de compte),
acte effectué par le délégataire au nom et pour le compte du souscripteur (c’est-à-dire en
représentation de celui-ci).
C’est pourquoi nous ne pouvons qu’approuver la doctrine majoritaire de qualifier de mandat
la délégation d’arbitrage111. Reste toutefois que cette analyse a pu être qualifiée de “non-sens
juridique” au motif que “C’est en vertu du contrat d’assurance-vie lui-même, et non en
exécution d’un mandat, que l’assureur gère les unités de compte. Il est en effet de l’essence
même du contrat d’assurance-vie que l’assureur, seul propriétaire des fonds qui lui sont
confiés, gère les actifs.”(112).

A admettre que la délégation est un mandat, celui-ci devra-t-il revêtir une forme particulière ?
La Cour de cassation (2e civ, 5 juin 2008 (n° 07-14077) invalide un acte de rachat effectué
par un mandataire agissant en vertu d’un mandat général, dès lors que le rachat est un droit
personnel. La faculté d’arbitrage l’est-elle également ? Le Professeur Luc MAYAUX indique
que ce n’est pas le cas, car contrairement à la faculté de rachat, son « exercice ne remet pas en
cause les droits du bénéficiaire, au moins quand ils sont exercés en unités de compte. »113
Constatons d’abord que cette décision agrée indirectement le principe des mandats de gestion
de contrats d’assurance vie. Le formalisme exigé à la lecture de l’article L132-21 (selon sa
rédaction de l’époque) doit-il également s’imposer au mandat relatif aux arbitrages ? A défaut
de texte spécial l’imposant, il semble que la pratique soit libre. Les parties trouveront
toutefois opportun d’avoir désigné précisément les prestations attendues et promises au titre
du mandat d’arbitrage, étant donné la nature des effets de l’arbitrage et les montants en jeu.
Les enjeux patrimoniaux liés à l’arbitrage entre les unités de compte sont tels, et le nombre de
personnes intéressées à la valorisation du contrat si diverses, que la multiplication des litiges
semble inéluctable. Nul doute que les problématiques liées à l’arbitrage se développeront à
l’avenir par la voie contentieuse. Il convient de délimiter les attributions et obligations
respectives des multiples intervenants, clients, bénéficiaires, profanes ou professionnels, au
sein de cette opération lourde de conséquences. Les cas de mise en cause de la responsabilité
de l’assureur et des autres intervenants au contrat (intermédiaire, délégataire de gestion…)
méritent, à ce titre, une analyse détaillée (Partie II).

1102 1710 du Code civil
103 cf. Cass. civ. 1re, 19 fév. 1968, Bull.civ. I, n. 69, JCP 68 II 15 490, cf.ANTOMATTEI et REYNARD, Droit Civil,
Contrats Spéciaux, n. 389, p. 312
104 A. BENABENT, Contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien 8 ed., 2008, n° 3983
105 JCl. Resp. Civ et assurances, fascicule 448 n° 65
106 Ph Le TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2000/2001, n°3283
107 Ph Le TOURNEAU et L. CADIET, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action 2000/2001, N° 3802
108 D321-1 5
109 contra Axel DEPONDT, pour lequel il s’agit d’un non-sens juridique : OMNIDROIT, Newsletter N°93,
07 avril 2010, portée en ANNEXE aux présentes
110 Droit de la responsabilité et des contrats, sous la direction de Le TOURNEAU, Dalloz 2008, 7e ed., n° 3983
111 JCl Resp. civ et assurances fascicule 335-4 n° 38
112 OMNIDROIT “La gestion sous mandat dans les contrats d’assurance-vie en unités de compte : un non-sens
juridique “, Axel DEPONDT, Newsletter N°93, 07 avril 2010
113 “Le régime ambigu du mandat d’arbitrage” L’AGEFI ACTIFS n°220 du 23 septembre 2005 p. 16

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