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§ 2. Expropriation et ses notions voisines

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I. Expropriation et réquisition

L’article 34 de la nouvelle constitution de la RDC, constitue la base juridique du droit de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Tandis que la résolution 1803(XVII) consacre à la fois le droit de nationaliser, d’expropriation et de la réquisition.

La réquisition est une mesure d’exécution forcée qui permet à l’administration d’entrer en possession des biens matériels appartenant à des particuliers, alors que l’expropriation est un acte d’acquisition forcée d’un immeuble par l’administration(124). La réquisition peut porter aussi bien sur les immeubles que sur les meubles. Les réquisitions portant sur des immeubles ne peuvent concerner que leur usage et en aucun cas leur propriété. Elles ne peuvent donc être que temporaires, toute réquisition destinée à durer indéfiniment étant irrégulière.

A l’inverse, les réquisitions portant sur des meubles peuvent porter soit sur l’usage du meuble soit sur sa propriété. En d’autres termes, la réquisition peut être un mode de cession forcée des meubles ; elle ne peut être un mode de cession forcée des immeubles. C’est ce qui la distingue de l’expropriation où les solutions sont radicalement livrées, car l’expropriation permet la cession forcée des immeubles et des droits réels immobiliers mais non les biens meubles (125).

En outre, la réquisition étant une atteinte à la propriété privée justifiée par l’intérêt de la nation, elle donne lieu en contrepartie au payement au profit de la victime d’une indemnité juste et égale au manque à gagner(126). L’indemnisation de la victime de la réquisition intervient après la réquisition, alors que celle de la victime de l’expropriation intervient après la décision d’expropriation mais avant le transfert de propriété.

Enfin, la différence entre ces deux notions peut se situer aussi au niveau des autorités compétentes. La réquisition civile est de la compétence de l’administrateur du territoire concerné ou bourgmestre de la commune ; la réquisition militaire ou policière relève en temps normal de l’activité civile, cependant, en temps de guerre ou en temps des troubles graves et immédiats, elle relève de l’autorité militaire ou de la police selon le cas notamment en cas de trahison (article 431) et de détournement des deniers (article 441 et 443)(127).

II. Expropriation et nationalisation

Ces deux notions comportent aussi bien des ressemblances que des différences, on ne s’étonnera même pas de voir que tous ont les mêmes bases juridiques, que sont l’article 34 de la constitution et la résolution 1803(XVII).

S’agissant des ressemblances, on peut dire que dans les deux cas :

– on a affaire à un mode de cession forcée des biens qui s’opère dans le respect de la loi,
– il ne peut y avoir cession forcée que lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité(128).

Quant à ce qui est des différences, nous pouvons noter que les différences essentielles entre ces deux notions concernent d’une part les biens susceptibles d’être expropriés ou nationalisés et d’autre part, les raisons de ce faire – étant entendu que, dans les deux cas, il s’agit des raisons d’intérêt général ou d’utilité publique. Les nationalisations portent sur des entreprises et, dans la mesure où ces entreprises sont les plus souvent des sociétés par action, ce sont généralement les actions qui sont transférées à la puissance publique, les nationalisations portent donc au premier chef sur les biens meubles même si, en pratique, la nationalisation des actions emporte indirectement le transfert à la puissance publique des immeubles possédés par les sociétés nationalisées.

Au surplus, ces entreprises nationalisées continuent à exercer leurs activités industrielles et commerciales mais, cette fois-ci, non plus au service d’intérêts privés mais au service de l’intérêt général. En revanche, les expropriations correspondent, non à des cessions forcées de meubles, mais à des cessions forcées qui portent directement sur des immeubles ou sur des droits réels immobiliers. Par ailleurs, une fois l’immeuble cédé, il change le plus souvent radicalement d’affectation(129).

Qu’en est-il de l’expropriation, emprise, et voie de fait ?

III. Expropriation, emprise et voie de fait

Cette étude sera subdivisée en quatre points : l’emprise (1°), la voie de fait (2°), la différence entre l’emprise irrégulière et la voie de fait (3°) et le rattachement de ces notions avec l’expropriation (4°).

III.1 Emprise

Par emprise, on entend toute prise de possession par l’Administration, à titre provisoire ou définitif, d’une propriété immobilière privée(130). Il ne s’agit pas seulement d’une atteinte extérieure à la propriété, mais d’une mainmise de l’Administration sur l’immeuble, qui élimine le propriétaire et le prive de l’utilisation de son bien. Celui-ci doit être un immeuble : la possession d’un bien meuble peut donner lieu à la théorie de l’emprise, comme c’est le cas aussi en matière d’expropriation(131).

Pour qu’il y ait emprise, il faut que deux conditions soient réunies, il faut d’abord qu’il y ait une véritable dépossession, c’est-à-dire une main mise sur la propriété. Il n’y a donc pas emprise tant que l’Administration reste sur son fonds, ne pénètre pas sur la propriété privée, ne l’atteint que du dehors sans mettre la main sur elle : il faut en second lieu que, l’atteinte ait été portée à la propriété immobilière ou à un droit réel fortement protégé, comme c’est le cas, en France, pour les droits du titulaire d’une concession funéraire dans un cimetière communal(132). L’emprise ainsi définie peut être soit régulière soit irrégulière.

Elle est régulière lorsqu’elle est effectuée en vertu des pouvoirs attribués par la loi à l’administration, c’est-à-dire lorsque la dépossession immobilière a été prévue par un texte résulte d’une procédure légale. Il en est ainsi par exemple de l’expropriation pour cause d’utilité publique, de l’occupation temporaire, de la réquisition immobilière.

Elle est irrégulière lorsqu’elle est réalisée en violation des textes, c’est-à-dire si elle ne se fonde pas sur un titre légal ; dans ce cas l’indemnisation relève en principe, et même en l’absence des textes, du juge judiciaire, en sa qualité de “ gardien de la propriété ”. L’emprise irrégulière est soumise à un régime juridique spécial contenu dans deux points.

1.1. Eléments de l’emprise irrégulière

L’emprise, par elle-même, suppose de la part de l’Administration, une prise de possession d’un immeuble : un simple trouble de jouissance sans dépossession n’est pas constitutif d’emprise.

– L’emprise est irrégulière dès que le titre qui la fonde est entaché d’une illégalité ; il n’est pas nécessaire que cette illégalité présente la gravité requise dans la théorie de la voie de fait(133).

1.2. Conséquences de l’emprise irrégulière

Du point de vue de la compétence, la différence entre l’emprise irrégulière et celle régulière réside dans le fait que le juge judiciaire exerce sans texte, dans le premier cas, la compétence que les textes lui accordent le plus souvent dans le second, c’est-à-dire la fixation de l’indemnité destinée à réparer l’ensemble des conséquences dommageables de la dépossession. Le juge ne peut pas faire cesser l’emprise par voie d’injonction, mais seulement condamne l’Administration à une indemnité(134).

Comme le dit Jean-François LACHAUME(135)., la voie de fait, institution jurisprudentielle par excellence, est le résultat d’une atteinte particulièrement grave, portée par l’Administration, aux droits fondamentaux des citoyens (libertés publiques essentielles et droit de propriété) et “ insusceptible se rattacher à un pouvoir légal ” Dans ce cas, l’Administration, dans ses prérogatives, a porté gravement atteinte aux libertés et aux propriétés. Elle est alors considérée, vu le degré de l’irrégularité, comme s’écartant de l’accomplissement de sa fonction. Son agissement n’apparaît plus comme l’exercice irrégulier d’une de ses attributions, mais comme un pur fait matériel, dénué de toute justification juridique. Elle ne peut plus, dès lors, se prévaloir du principe de la séparation et de la compétence administrative : l’acte a perdu tout caractère administratif, il est dénaturé, et c’est au judiciaire qu’il appartient par conséquent d’assurer la protection du particulier(136).

Comme le notent Louis TROTABAS et Paul ISOART(137), l’illégalité est tellement manifeste qu’elle dénature l’acte, d’où l’expression “ voie de fait ” opposée à voie de droit. Quant à ses éléments, nous retiendrons trois qui doivent être réunis :

– Une opération matérielle(138) : l’existence d’une décision ne suffit pas à constituer une voie de fait ; il faut que l’Administration soit passée à l’exécution, ou tout au moins menace d’y passer ;

– Une atteinte portée par cette opération à la propriété immobilière ou mobilière, ou à une liberté fondamentale ;

– Un vice juridique assez grave pour dénaturer l’opération(139) ; une simple illégalité ne suffit pas à lui faire perdre son caractère administratif. En pratique, l’irrégularité soit dans la décision exécutée, soit dans l’opération d’exécution elle-même : la voie de fait résulte soit dans l’exécution d’une décision manifestement irrégulière, soit de l’exécution manifestement irrégulière d’une décision (cas du recours à l’exécution forcée sans respecter les conditions.(140)

Il a été admis que, lorsque la voie de fait résulte d’un acte inexistant, le juge administratif saisi, a qualité, au même titre que le juge judiciaire pour constater cette inexistence.(141)

Notons aussi que son régime contentieux est assez complexe :

– La voie de fait peut être constatée indifféremment par les deux ordres de juridiction, ce qui s’explique assez bien par la théorie de l’inexistence, au moins quant il y a lieu d’appliquer cette théorie ;

– En revanche, seule la juridiction de l’ordre judiciaire peut réparer les conséquences dommageables de la voie de fait et y mettre fin.
On considère en effet que, eu égard à la gravité des agissements de l’Administration, c’est un cas où, exceptionnellement, le juge judiciaire peut adresser des injonctions à l’Administration, et particulièrement lui enjoindre d’y mettre fin(142).

III.2. Différence entre emprise irrégulière et voie de fait

Si la voie de fait n’existe que lorsque l’opération administrative qui porte atteinte aux droits des individus revêt les vices d’une particulière gravité que l’on a indiqués plus haut, l’emprise irrégulière, quant à elle, est réalisée dès lors que le titre en vertu duquel l’Administration a porté atteinte à la propriété immobilière est irrégulière, même si cette irrégularité ne correspond pas au degré de gravité exigé pour la voie de fait ; la conséquence est qu’il peut y avoir, selon le cas, cumul ou non-cumul de l’emprise et de la voie de fait. Le cumul se produit lorsque les conditions de l’emprise et celles de la voie de fait sont simultanément réunies. Par exemple toute voie de fait entraînant une dépossession de la propriété immobilière constitue nécessairement une emprise.

Mais il peut y avoir des cas où emprise et voie de fait ne se cumulent pas. Il y a par exemple voie de fait sans emprise lorsque le droit lésé par la voie de fait est autre que la propriété immobilière. De même il peut y avoir emprise sans voie de fait lorsque, comme dans l’exemple donné plus haut, la prise de possession de la propriété immobilière est simplement entachée de certains vices dont la gravité n’ en va pas jusqu’à constituer la voie de fait.

La théorie de l’emprise irrégulière est ainsi très différente de celle de la voie de fait à un triple point de vue :

– Champ d’application : alors que l’emprise ne concerne que la propriété immobilière, la voie de fait, quant à elle, peut consister soit dans une atteinte à toutes sortes de propriété, soit même aux libertés fondamentales.

– Degré de l’illégalité qu’elles requièrent : il s’agit d’une illégalité simple pour l’emprise et d’un vice très grave pour la voie de fait.

– Etendue de la compétence judiciaire : en cas de voie de fait, les tribunaux judiciaires ont une compétence et des pouvoirs plus larges qu’en cas de simple emprise(143).

III.3. Rattachement de ces notions avec l’expropriation

On a vu que l’emprise régulière peut être soit une expropriation pour cause d’utilité publique, soit une réquisition résultant d’une procédure légale.

On a constaté aussi que l’expropriation pour cause d’utilité publique comme l’emprise régulière ou irrégulière portent sur la propriété immobilière.

On peut finalement relever, à la suite de Maurice– André FLAMME, qu’il est hélas fréquent que l’autorité publique prenne possession des biens appartenant à des particuliers, jugés nécessaires à des travaux publics, avant même que l’arrêté royal autorisant l’expropriant intervienne. Il s’agit là, manifestement, d’une “ voie de fait ” mais la perpétration de celle-ci ne fait pas obstacle à ce que la procédure d’expropriation soit entamée à posteriori et régularise la situation(144).

IV. Expropriation et alignement

La procédure d’alignement n’est pas organisée par le législateur congolais. Nous ferons recours à la doctrine française pour cette étude.

L’alignement est défini en France comme la limite fixée entre la voie publique et les propriétés limitrophes, soit qu’elle résulte de l’état de possession actuel, soit qu’elle ait été prescrite pour l’avenir par l’autorité administrative : soit d’opérer le bornage d’une voie publique existante, soit de pouvoir à son élargissement ou à son redressement(145).

Cette délimitation des voies publiques réalisée par l’alignement comporte un régime juridique tout à fait différent de celui qui, en droit civil, régit la délimitation des propriétés privées entre elles et qui porte le nom de bornage. Alors que le bornage résulte d’un accord entre deux propriétaires ou à défaut d’accord d’un jugement (action en bornage) et n’a pour objet que de constater les limites existantes de deux fonds, l’alignement se présente d’une part comme un acte administratif unilatéral et d’autre part, il n’a pas toujours un effet déclaratif de constatation ; il peut avoir aussi un effet attributif de propriété(146).

La procédure d’alignement comporte deux opérations, à savoir le plan général d’alignement et l’alignement individuel.

Le plan général d’alignement détermine d’une manière générale les limites d’une voie ou d’un ensemble de voies. C’est ce plan qui entraîne les effets exorbitants du droit commun de la procédure d’alignement.

On retiendra aussi que l’Administration peut bien délimiter unilatéralement la voie mais elle ne peut en fixer à son gré les limites : elle doit se borner à constater les limites existantes(147).

Comme l’indiquent André de LAUBADERE et les autres, le plan général d’alignement a pour objet de fixer les limites d’ensemble d’une voie ou d’un groupe de voies publiques. C’est un acte administratif unilatéral. L’alignement peut être, selon les mêmes auteurs, simplement déclaratif lorsqu’il se borne à constater les limites existantes. Il peut aussi et cela son caractère attributif servir à l’Administration pour élargir une voie(148).

124 YUMA BIABA, Cours de Doit administratif, U.C.B., 1995 – 19996, inédit, p. 34.
125 Christian MOULY, Le Droit de propriété et l’environnement, PUF, Paris 1998, p.332.
126 YUMA BIABA, op. cit., p. 35.
127 NYABIRUNGU Mwene SONGA, Droit pénal général zaïrois, 2ème édition. Kinshasa, Droit et Société, DES, cité par Justin MUSHAGALUSA, “ L’expropriation pour cause d’utilité publique en droit congolais :application à l’extension du PNKB ”, Mémoire, UCB, 1998-1999, p. 45.
128 Ibidem
129 Justin MUSHAGALUSA, op. cit.,p. 45.
130 Jean RIVERO et Jean WALINE, Droit administratif, 16ème éd., Paris, Dalloz, 1996, p.155.
131 Voir Georges VEDEL et Pierre DELVOLE, Le système français de protection des administrés contre l’administration, Paris, Sirey, 1991, p. 255.
132 ONG et alii.., Les grands arrêts la jurisprudence administrative, 10è éd., Paris, Sirey, 1969, p. 401.
133 Jean RIVERO et Jean WALINE, op. cit. p. 156.
134 Jean RIVERO et Jean WALINE, op. cit. p. 156 et Jean – Michel de FORGES, Droit administratif, Paris, PUF, 1995, p. 142.
135 Idem. p. 156.
136 Ibidem.
137Ibidem.
138 Dominique ROSENBERG, op. cit., p. 129.
139 Guy FEUER et Hervé CASSAN, op. cit., p. 274.
140 Séverin MUGANGU, op. cit., p. 23.
141 T.C., 27 juin 1966, Guignon, A.J., 1966, p. 547, cité par Jean RIVERO ET Jean WALINE, op. cit., p. 155.
142 T.C., 17 JUIN 1948, Manufacture des velours et peluches et Société VELVETIA, Rec. 153 cité par Jean-Michel de FORGES, op. cit., p. 245.
143 Jean RIVERO et Jean WALINE, op. cit., p. 174.
144 Maurice – André FLAMME, Droit administratif, T. II, Bruxelles, Bruylant, 1989, p. 866.
145 Idem, p. 1087.
146 André de LAUBADERE et al., op. cit., p. 310.
147 André de LAUBADERE et al., op. cit. p. 311.
148 Ibidem

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