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2. Enquête de terrain

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2.A. Première prise de contact avec le terrain : la ressourcerie de Quingey

Notre introduction sur le terrain s’est faite au sein de la ressourcerie de l’association TRI par
l’intermédiaire d’un proche qui réalisait ses dernières semaines de volontariat dans cette structure.
La ressourcerie de Quingey9 a différentes missions :

– collecter les encombrants (mobilier, électroménager), recyclables (papiers, cartons, métaux)
et les réemployables (textiles, appareils électroniques, livres, etc.) en porte à porte chez
l’habitant ou par le biais des locaux ressourceries dans les déchetteries du SYBERT(10) ;
– valoriser les objets pouvant connaître une seconde vie et orienter les autres vers des filières
de recyclage dans la mesure du possible ;
– revendre les objets réutilisables au magasin ressourcerie et les recyclables à des sociétés de
récupération ;
– éduquer et sensibiliser à l’environnement à travers diverses actions (Club Nature pour les
jeunes, animations en milieu scolaire, sensibilisation en déchetteries via les ressourciers,
organisation d’évènements).

Elle regroupe 70 bénévoles et emploie environ 80 salariés que l’on peut regrouper selon deux
profils : d’un côté, des travailleurs en contrat d’insertion et, de l’autre, des travailleurs qualifiés qui
associent une dimension d’engagement à leur salariat.

Au programme de ces deux jours d’immersion au sein de l’association TRI : visite des
locaux, rencontre des salariés, prise d’informations sur le fonctionnement de la structure, collecte et
lecture de littérature grise, observation participante sur le chantier d’insertion (déchargement du
camion en provenance du local ressourcerie de la déchetterie de Thise, chargement de textiles dans
un camion, tests électroniques d’appareils ménagers pour savoir s’ils fonctionnent), observation
participante à la déchetterie de Thise en compagnie d’un ressourcier.

Ces deux journées nous ont permis de recueillir des matériaux ethnographiques très
disparates qui ne correspondaient pas forcément à notre question de départ. En effet, nous avions
devant nous des montagnes d’objets délaissés sans disposer d’un accès direct aux discours,
représentations et pratiques des ménages. Nous débutions notre terrain sans vraiment savoir ce que
nous cherchions, ce qui nous mettait quelque peu mal à l’aise auprès des membres de TRI : nous
avions le sentiment d’occuper une place de « touriste », d’« intrus ». La médiation d’un proche tout
au long de ces deux jours facilitait le contact et, en même temps, freinait un investissement direct et
total de notre part dans le collectif.

Seul l’après-midi en déchetterie nous a permis d’observer les comportements des personnes
qui viennent se débarrasser de certains objets et en donner au local ressourcerie. En aidant le
ressourcier à trier les objets qu’on lui amenait et en discutant avec lui, nous avons pu prendre
conscience de la relativité de la notion de déchet : les particuliers sauvent certains de leurs anciens
objets de la déchéance en voulant leur donner une seconde vie mais ils s’appuient chacun sur des
conceptions et des critères différents pour justifier leur réinsertion dans le cycle économique.
Assurément, les comportements des individus variaient d’un extrême à l’autre selon le type d’objet
légué (avec ou sans réelle valeur économique et sentimentale), son état (comme neuf ou fortement
dégradé), l’attente de rétributions symboliques inhérentes à ce don (geste intéressé ou désintéressé),
la connaissance et le soutien du projet associatif de l’association TRI.

Cette première expérience nous a aussi permis de matérialiser l’ampleur du gaspillage dans
nos sociétés de consommation : tous les objets apportés par les particuliers ne sont pas valorisables
pour diverses raisons. La première est que, en considération de l’ampleur du gisement d’objets
donnés qui sont en bon état et qui, par conséquent, peuvent être directement réintégrés dans le
circuit économique par le biais du magasin ressourcerie, la réparation des objets qui sont abimés ou
cassés est une perte de temps et d’argent. La deuxième est que certains objets manquent de
débouchés (beaucoup d’achat dans le circuit neuf et très peu dans le circuit d’occasion) ou sont
obsolètes.

2.B. Échanges avec des élus et des techniciens : affinage de la problématique

A la suite de ces deux jours d’immersion nous avons pu participer à la conférence de presse
de la CAGB pour la mise en place de la redevance incitative grâce à l’appui du directeur de la
communication de cette collectivité. L’objet de notre présence à cet événement était moins la
captation du discours des élus et techniciens présents (nous avions déjà commencé à le recueillir à
travers la littérature grise que produisent ces institutions) que l’insertion parmi un réseau d’acteurs
en charge des questions qui nous intéressent ainsi que le signalement de notre présence sur ce
terrain. Nous avons ainsi pu prendre contact avec le directeur du service « gestion des déchets » de
la CAGB qui nous a recommandé de rencontrer le chargé de mission « prévention des déchets »
puisque ce dernier s’occupe des politiques de tri et supervise, en partie, les actions de compostage
(cette dernière compétence étant déléguée au service « valorisation organique » du SYBERT).

Nous avons été agréablement surpris par l’attention et la considération qu’ils ont bien voulu
accorder à notre projet de recherche. Avec un peu de recul, ceci s’explique par le fait que, étant
donné que la CAGB est l’agglomération pilote pour la mise en place de la redevance incitative en
milieu urbain, les techniciens travaillent par tâtonnements pour trouver des solutions aux problèmes
qu’ils rencontrent. Ainsi, les certitudes sur les orientations à donner pour que ce système fonctionne
ne peuvent relever que du court terme, ce qui nécessite une redéfinition constante des moyens
d’action. Afin de trouver les solutions techniques les plus adaptées, la CAGB « fait feu de tout
bois » et tente de varier les expertises et les points de vue. A cela s’ajoute surement aussi l’habitude
d’accueillir des stagiaires au sein de leur structure territoriale.

Cette conférence de presse nous a amené à réaliser davantage l’ampleur et la complexité de
la thématique des déchets ménagers. Une multitude de facteurs entrent en compte lorsque l’on
souhaite étudier les comportements d’une population à l’échelle d’une telle agglomération :
socialisation rurale/urbaine, mode d’habitat (pavillonnaire/collectif), type de consommation,
sensibilité environnementale, etc. Il était donc nécessaire de restreindre la population enquêtée au
niveau des caractéristiques pouvant amener à des gestions différenciées des déchets ménagers afin
de tenter de dégager des représentations et des pratiques communes au sein d’un groupe plus
étroitement défini ayant adopté des comportements vertueux.

Nous avons alors choisi de nous focaliser sur la population des guides composteurs qui a
émergée très récemment et qui fait figure de précurseur en matière d’engagement citoyen dans la
prévention des déchets ménagers. Pour saisir les représentations de ce groupe, nous devions entrer
directement en contact avec certains de ses membres par le biais d’une structure associative de
terrain (Trivial Compost) afin de sortir d’un discours trop institutionnalisé et, ainsi, adopter une
approche relevant de la démarche ethnographique qui, « grâce à l’immersion de l’enquêteur dans le
milieu enquêté, restitue les visions d’en bas plus variées qu’on ne le croit ; elle permet le croisement
de divers points de vue sur l’objet, éclaire la complexité des pratiques, en révèle l’épaisseur. »(11).
Cette redéfinition de la population enquêtée a entrainé une reformulation de la problématique
dorénavant plus affinée et circonscrite : Quel est le rapport aux déchets des guides composteurs ?

2.C. Observation participante, familiarisation avec le milieu enquêté

Nous avons contacté Florian, salarié de l’association Trivial Compost, grâce à un réseau de
connaissances partagées et nous nous sommes renseignés sur cette structure par internet. Un rendezvous
a été pris au local de l’association pour discuter avec ce dernier, ainsi qu’avec les deux autres
salariés (Jean et Zoé), du projet et des actions qu’ils mènent.

Notre expérience associative en tant que bénévole, puis volontaire (service civique) nous a
permis de rapidement saisir les enjeux inhérents à leur projet associatif et de nous faire accepter
comme des pairs. De même, la quasi-totalité des membres fondateurs de l’association étaient des
amis de promotion en licence de sociologie à Besançon et, parmi les trois salariés de l’association,
deux ont un cursus de sociologie de niveau Master 2 (Jean et Zoé), ce qui nous a directement placé
dans une position d’homologues qui s’attaquent aux mêmes épreuves qu’ils ont eu à franchir. Enfin,
nous avons été enthousiasmés par les valeurs que véhicule l’association et nous nous sommes
beaucoup reconnus à travers ses membres. Cet investissement affectif qui engageait nos convictions
a constitué un atout pendant la phase de recueil des matériaux en développant notre curiosité et en
instaurant un climat de confiance avec le milieu enquêté, essentiel pour dépasser l’asymétrie que
peut engendrer la relation d’enquêteur à enquêté(12). Cependant, concernant la phase d’analyse, il nous
a fallu prendre du recul sur les matériaux glanés afin de ne plus les considérer sur un mode
personnel créateur d’évidences qui empêche de franchir certains paliers analytiques. Il s’agissait
donc de déconstruire les rapports aux déchets des guides composteurs et des membres de Trivial
Compost pour mieux saisir leurs essences.

Le lendemain de cet après-midi au local, nous avons passé la journée chez Zoé avec Jean,
Florian et d’autres membres de l’association afin de les aider à préparer le repas pour la première
réunion du réseau des guides composteurs qui a eu lieu le soir même. Une fois de plus, nous nous
retrouvions dans un climat familier (appartement étudiant, préparation collective d’un événement
associatif) propice à la collecte de matériaux. Ainsi, notre investissement aux côtés de l’association
nous a permis de trouver notre place au sein du milieu enquêté et ainsi de pouvoir discuter
librement de l’association et du projet de réseau des guides composteurs. En fin d’après-midi, nous
sommes tous partis installer la salle de réunion gracieusement mise à disposition par le Foyer des
Jeunes Travailleurs des Oiseaux.

Les premiers guides composteurs sont arrivés dans une ambiance un peu crispée mais, au
bout de quelques minutes, les langues se sont déliées et le compostage, sujet fédérateur, alimentait
toutes les discussions. J’assistais à une situation inédite : pour la quasi-totalité des guides
composteurs c’était la première fois qu’ils avaient l’occasion d’échanger sur la pratique du
compostage avec leurs homologues et les bénévoles de l’association. D’habitude, ils n’ont comme
interlocuteur quasi-exclusif que les salariés de Trivial Compost et les intervenants du SYBERT en
charge de la valorisation organique qui sont quotidiennement sur le terrain. Après un bref tour de
table pour que chacun puisse se présenter et expliquer en quelle qualité il participait à la réunion,
Florian a présenté l’association à l’aide d’un powerpoint. Cette étape paraissait largement justifiée
car, pour certains guides composteurs, Trivial Compost a un statut flou qui oscille entre les attributs
d’un prestataire des collectivités publiques, d’une association à dimension militante et d’une
entreprise employant des salariés. Nous avons également profité de cette réunion pour demander à
trois des quatre guides composteurs enquêtés de m’accorder postérieurement un entretien.

Quelques jours plus tard, nous avons eu rendez-vous avec le chargé de mission « prévention
des déchets » pour comprendre quelles dimensions de notre travail pourraient intéresser les
techniciens de la CAGB dans les difficultés qu’ils rencontrent déjà ou qu’ils risquent de rencontrer
avec la mise en place de la redevance incitative. Clairement, le point noir est l’habitat collectif qui
constitue le mode de résidence majoritaire de la population de l’agglomération bisontine. Nous
décidons donc de focaliser notre travail sur le compostage en pied d’immeuble et projetons d’élargir
notre champ d’étude au tri des autres matières dans le cadre d’un travail de deuxième année de
master.

9 Cette structure associative a vu le jour sur la base d’un triple constat : d’une part, il existait de nombreuses décharges
sauvages sur le canton de Quingey ; d’autre part, ces objets abandonnés en pleine nature étaient souvent
réutilisables ; enfin, le chômage rural sur ce territoire était particulièrement prégnant. Dans la lignée d’associations
caritatives, telles qu’EMMAUS, l’association TRI associe depuis ses débuts un travail de réutilisation de la matière à
la réinsertion sociale.
10 Syndicat mixte de Besançon Et de sa Région pour le Traitement des déchets.
11 BEAUD Stéphane, WEBER Florence, op. cit., p. 7.
12 Comme l’écrivent Beaud et Weber : « Surtout, pas de neutralité axiologique au moment de l’observation. Vous vous
condamneriez à ne rien remarquer du tout. ». Ibid., p. 138.

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