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2) Application d’un marketing adapté à la culture

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S’il est pertinent de prendre en considération cette opinion, laquelle permet de prendre du recul et de nous faire réfléchir, la non-prise en compte du marketing dans le domaine de la culture expliquerait le taux élevé d’échecs dans les spectacles produits et la nécessité d’un financement indépendant du niveau de la demande. C’est pourquoi, dans cette partie, nous verrons, quelle que soit l’orientation de l’organisation culturelle – avant-gardiste, commerciale ou entre les 2 – comment le marketing peut être un ensemble d’outils dont dispose cette organisation pour susciter, de la part de ses publics, des comportements favorables à la réalisation de ses objectifs organisationnels. En conséquence, nous allons partir de l’outil central, première pierre angulaire du marketing, qui est l’étude et la connaissance des publics, lesquelles permettent de comprendre leurs comportements et donc d’œuvrer efficacement à la réalisation des buts que s’est fixée l’organisation, à savoir : attirer le plus grand nombre de festivaliers – nombre bien sûr adapté au site et aux objectifs originels du projet -, pour leur faire vivre dans un contexte artistique et culturel des moments uniques.

a) Les consommations culturelles et musicales des populations

Tout d’abord, pour comprendre les besoins des consommateurs, il s’agit d’analyser les consommateurs de produits culturels soit le marché auquel nous faisons face et a fortiori dans le domaine du spectacle vivant.

Notons que, par essence, l’objet de création d’un Festival de musique, est de donner une chance à la démocratisation de la culture a fortiori ici de la musique et de donner une occasion de découverte ou d’expérience unique musicales, en offrant par exemple une affiche internationale de haut niveau, en mettant sur scène des groupes peu connus, en mélangeant les genres et en mettant à l’honneur des cultures si riches de valeurs et qui font vibrer les foules.

Nous remarquerons que nous sommes dès lors en présence de comportements de consommation culturelle très disparates et d’un profond renouvellement des préférences en matière de musique.

I. Place de la musique dans notre quotidien

Ecouter la musique, voire la pratiquer ne serait-ce qu’en chantant, touche toutes les tranches d’âge et toutes les catégories sociales. La statistique montre que la musique va même jusqu’à être vitale pour certains passionnés et que nombre d’entre eux jouent d’un instrument, toute la musique étant concernée quel que soit le genre musical, musique de variété, jazz, musique classique.

Selon une étude sur les pratiques culturels des français de 15 ans et plus réalisée par le Ministère de la culture et de la communication en 2009 – Département des études, de la prospective et des statistiques -, il est à noter tout d’abord que la musique occupe une place de choix dans notre vie quotidienne. Le sondage nous informe que 74 % des Français sont sensibles à la musique, qu’ils placent bien avant la littérature (56 %), le cinéma (48 %) puis la peinture (11 % ), la danse (11 %), le théâtre (11 %) et enfin la sculpture (4 %). Les français écoutent de la musique en moyenne 2 heures par jour, et 28 % d’entre eux souvent plus longtemps. En effet, la musique fait partie des langages universels, et les codes qui découlent de ce langage permettent une très large interprétation et réception très profonde. Dans la musique c’est « l’émotion » qui prime et ce n’est pas un hasard si le thème principal de la chanson populaire est l’amour. En effet, la musique est indissociable de l’affectif, de la relation à l’autre, la musique est un art très communicatif, très social et elle procure un plaisir qui est d’ailleurs ambivalent et qui consiste à être en soi et en même temps hors de soi, donc en dehors de la réalité quotidienne.

De plus, de nos jours, ce phénomène est amplifié : les facilités offertes par les équipements nomades et le caractère naturellement multitâche de l’ordinateur ont favorisé une certaine « musicalisation » de la vie quotidienne, permettant à une partie importante de la population jeune de vivre dans un bain musical plus ou moins permanent. Mais dans le même temps, le fait que les musiques dites populaires font l’objet depuis maintenant plusieurs générations de modalités cultivées d’appropriation et que certaines d’entre elles, le rock notamment, ont désormais une histoire, a considérablement modifié les contours et les formes d’expression de la mélomanie.

II. Préférences musicales

Un sondage réalisé récemment par la SOFRES pour la SACEM en 2009 sur la musique (écoute, pratique, façons d’écouter, technologies) révèle que les Français aiment la musique : la musique touche toutes les tranches d’âge et toutes les catégories sociales et sans grande surprise, la chanson arrive largement à la première place (66 %), devant la musique pop et le rock (29 %), le jazz (25 %), la musique classique (22 %), la variété étrangère (22 %) et enfin l’opéra (10 %).

Néanmoins, la progression de l’écoute fréquente de musique s’accompagne d’un profond renouvellement des préférences musicales, du fait de l’émergence régulière de modes d’expression jeunes que les générations n’abandonnent pas en vieillissant. L’une des expressions de cette mutation qui court maintenant depuis plusieurs décennies est par exemple que plus on est jeune et plus la préférence pour la musique anglo-saxonne est marquée. Incontestablement, les études traduisent un puissant effet générationnel : depuis maintenant plusieurs décennies, les jeunes voyagent plus que ne le faisaient leurs aînés, ils sont plus nombreux à avoir vécu à l’étranger, à écouter de la musique anglo-saxonne ou à regarder des séries américaines en version originale. Ces générations ont eu accès précocement à la culture américaine sous toutes ses formes, des produits les plus standardisés aux œuvres les plus confidentielles que s’échangent fans et amateurs, et ont grandi dans des univers culturels largement globalisés où la langue anglaise règne en maître.

Si nous nous intéressons aux comportements et consommations en rapport avec la musique selon les catégories d’âges, des différences caractéristiques sont également à observer.

Tout d’abord, les adolescents, ou « ados » se situent dans une tranche mal définie à une période de la vie où ils passent de l’enfance à l’âge adulte, entre environ 13 et 20 ans. C’est l’époque où des « bandes de copains » ré-inventent leur culture, avec des loisirs communs et leurs musiques « branchées », souvent en réaction totale avec celles de leurs parents. Une différence appréciable apparaît à ce niveau entre garçons et filles : les garçons affectionnent surtout la pop music, le rock et le rap (43 %), le reggae (38 %) alors que les jeunes femmes du même âge préfèrent, quant à elles, la chanson française (57 %), le rock et la musique pop (39 %) ou la variété internationale (28%). Un fait intéressant à noter, est que la fréquentation des concerts augmente au cours la jeunesse, culmine avec 2 spectacles par an vers 30 ans, pour décroître ensuite assez vite, pour aboutir à une manifestation tous les 2 ans vers 65 ans et plus.

Les hommes et femmes d’âge mûr, situés dans une tranche d’âge entre 40 et 50 ans, font la transition entre les jeunes et les seniors : leurs goûts évoluent doucement et se spécialisent.

L’intérêt porté à la musique diminue certes, mais devient plus sélectif, comme indiqué dans les lignes qui suivent.

En sociologie, le terme de senior désignant la tranche d’âge 50-60 ans, si la musique de variété continue toujours à prédominer dans cette tranche d’âge, la musique classique gagne en audience chez les plus de 50 ans (32 % pour les 50-64 ans, et 36 % pour les 65 ans et plus), les plus instruits (29 % chez les cadres, 31 % chez les plus diplômés) ainsi que chez les plus aisés (36 %). Le jazz, s’apprécie dans une gamme socio-culturelle sensiblement identique à celle des amateurs de musique classique, dans les milieux aisés (29 %), cultivés (23 %), et c’est dans la tranche 50-65 ans (21 %), que le penchant pour ce style de musique culmine. Après 65 ans les gens semblent hélas se détacher quelque peu de la musique. Ils ne voient alors en elle qu’une manière de se détendre (28 %, au lieu de 25 %) ou même un simple passe-temps (12 % contre 9 %). Il ne reste que 22 % des plus de 65 ans pour assister encore à des concerts, contre 32 % dans la tranche 50-65 ans. Privilégiant largement la musique classique, ces seniors ne sont plus que 3 % à rester ouverts à la musique pop ou rock (contre 20 % des 50-64 ans) et la variété internationale (5 % contre 15 % de la moyenne). À plus de 65 ans, les personnes du troisième âge chantent beaucoup moins que les plus jeunes (62 % contre 83 %), se bornent à écouter de la musique chez eux à la radio (62 % – démarche passive), sur leur chaîne hi-fi (47 % – démarche sélective), et regardent les émissions musicales ou de variété à la télévision plus que la moyenne (37 % contre 27 % – démarche semi-passive).

III. Fréquentation des lieux culturels

Le temps supplémentaire passé devant les écrans n’a pas entamé la propension générale des Français à sortir le soir ni modifié leurs habitudes en matière de fréquentation des équipements culturels. En effet, les sorties et visites culturelles ont beaucoup moins souffert dans les arbitrages imposés par la montée en puissance des pratiques numériques que certains loisirs du temps ordinaire comme l’écoute de télévision ou la lecture d’imprimés.

Chiffres à l’appui, un quart des Français n’ont fréquenté dans l’année aucun équipement culturel : ils ne sont allés ni au cinéma ni dans une bibliothèque, n’ont assisté à aucun spectacle vivant et n’ont visité aucun lieu d’exposition ou de patrimoine. La plupart d’entre eux cumulent tous les handicaps en matière d’accès à la culture et manifestent très peu d’intérêt pour la culture en général : ils lisent peu de livres, écoutent rarement de la musique, les trois quarts d’entre eux n’ont jamais utilisé l’Internet et leur mode de loisirs reste largement centré sur la télévision. 29% se sont rendus quelquefois dans l’année au cinéma ou ont assisté exceptionnellement à un spectacle vivant, de danses folkloriques ou de cirque par exemple.

Leur profil sociodémographique est moins marqué que le groupe n’ayant fréquenté aucun équipement mais leur intérêt pour la culture n’est guère supérieur : sur bien des points, leurs comportements à l’égard des équipements culturels ne sont guère différents, même si leur mode de loisirs est moins centré sur la télévision et plus ouvert sur les activités extérieures au domicile.

Un autre quart des Français (27%) manifestent un intérêt plus diversifié pour la vie culturelle en visitant des lieux d’exposition ou de patrimoine ; une minorité d’entre eux fait également preuve d’un engagement plus important dans le domaine du cinéma ou des musiques actuelles (jazz, rock, pop, dance, electro…). La palette de leurs sorties et visites culturelles est plus étendue que celle des deux groupes précédents, mais leur fréquentation reste majoritairement occasionnelle ou spécialisée : leur rythme de sorties ou de visites est faible dans la majorité des cas et ceux d’entre eux qui vont plus régulièrement au cinéma ou dans les musées sont rarement familiers des bibliothèques et des lieux de spectacle, comme si la logique du cumul qui conduit d’un équipement à l’autre ne parvenait pas dans leur cas à s’exprimer réellement.

Cette logique du cumul fonctionne en revanche pour le dernier quart de Français (22%) qui réunissent à des degrés divers les principaux atouts favorisant à la fois l’intérêt pour la culture et un mode de loisir tourné vers l’extérieur du domicile, constituent la grande majorité des usagers des établissements culturels. La frontière entre les 13% dont la fréquentation est régulière et les 9% obtenant un score supérieur ne relève pas à proprement parler de différences de nature : le profil des personnes concernées comme leurs rapports à la culture présentent beaucoup de points communs, même si les seconds accentuent les propriétés sociales des premiers et font preuve d’un engagement dans la vie culturelle à la fois plus soutenu et plus diversifié. Les différences entre les deux groupes renvoient plutôt aux variations que peut connaître la participation à la vie culturelle au fil de l’avancée en âge ou des aléas de l’existence : ainsi une personne peut très bien avoir une fréquentation habituelle tant qu’elle est étudiante avant de réduire son rythme de sorties au moment de l’installation dans la vie adulte, alors qu’une autre peut intensifier son rythme de fréquentation à la suite d’un changement de domicile ou d’un allégement des contraintes professionnelles ou familiales.

Concernant la fréquentation des lieux de spectacle vivant (spectacle de danse folklorique, danse, cirque, music-hall, opérette, opéra, concert musiques, théâtre), la moitié des Français des plus de 15 ans (51%) n’ont assisté, en 2008, à aucun spectacle vivant dans un établissement culturel au cours des 12 derniers mois et seulement 22% l’ont fait plus de 3 fois.

Même si l’ampleur très faible des évolutions oblige à la prudence, il semble bien que la fréquentation de type exceptionnel ait progressé au cours de la dernière décennie : le spectacle vivant serait parvenu à toucher une frange de nouveaux spectateurs tout en perdant une petite partie des spectateurs réguliers. Les fréquentations de cinéma et des lieux d’exposition sont similaires au spectacle vivant alors que les bibliothèques et les lieux du patrimoine est de 60% environ.

Après avoir constaté un intérêt disparate des français pour les sorties culturelles, notre travail étant axé sur les Festivals de musique, la question logique à se poser est, dès lors et suivant une démarche Marketing, d’analyser et de comprendre les raisons de ces comportements de consommation de produits culturels, a fortiori de « spectacle vivant » et ce qu’ils « recherchent » au travers de ces consommations.

b) Compréhension des comportements du consommateur et de ses attentes

I. Une nouvelle approche du Marketing culturel

Nous avons pu évoquer le fait que le marketing pouvait – voire devait – être appliqué à la culture certes, néanmoins il apparaît que l’analyse du comportement culturel, à partir des modèles intégrateurs classiques du marketing (développés jusqu’en 1990), ne suffit plus du fait des spécificités du produit culturel. Le comportement de l’individu a longtemps été décrit comme un processus de collecte et de traitement d’information, destiné à trouver une solution optimale à un problème de décision associé à un besoin à satisfaire (James R. Bettman, An Information Processing Theory of Consumer Choice, Wesley Reading, 1979). Or, cette démarche présente des limites car en effet, une des principales critiques adressées à l’approche cognitive met en évidence que les composantes affectives en sont réellement absentes. Cette perspective cognitive ignore les phénomènes incluant notamment les pratiques ludiques, les plaisirs sensoriels, l’expérience esthétique et les réactions émotionnelles. La création artistique se définissant comme la recherche d’un support permettant de communiquer l’expression du créateur à travers sa conception de la beauté ou de l’esthétique, le public apprécie l’œuvre d’art ou la manifestation culturelle à travers les émotions qu’elle provoque en lui. En conséquence, la prise en compte des émotions et des sentiments de l’individu comme variables explicatives de son comportement est particulièrement importante dans le domaine culturel et pour tout instigateur de projet culturel.

C’est pourquoi l’approche des modèles comportementaux traditionnels du marketing a été améliorée par les apports du « modèle de recherche d’expériences » (Morris B. Holbrook et Elizabeth C. Hirschman, The experiential aspects of consumption, Consumer fantasies, feelings and fun, Journal of Consumer Research, N°9, sept. 1982). En effet, l’approche expérientielle s’attache à l’explication de variables qui déterminent le comportement de l’individu à l’égard d’objets ou de services dont la consommation se traduit par une expérience qui est, en elle-même, source de satisfaction. Désormais, dans le domaine des arts et de la culture en Europe, la prise en compte des émotions et des sentiments du spectateur comme variables explicatives de son comportement est indéniable. La compréhension de l’esthétisme de consommation, de sa signification symbolique, de la réaction hédoniste du consommateur, de ses ressources psycho-temporelles, de la rêverie, de la créativité et des émotions a pu être facilitée par l’approche expérientielle. Il n’est pas envisagé de rejeter l’approche classique du comportement de consommation, mais plutôt d’élargir la vision du comportement humain dans le domaine culturel. Cette approche a des conséquences pour concevoir voire adapter son offre de produit et en l’occurrence en matière de programmation de Festival de musique.

II. Passage du comportement de consommation moderne à celui d’hypermoderne

Dès lors, les tendances actuelles de consommation culturelle témoignent du passage d’une société moderne construite autour d’un système économique rationnel, conçu à partir de la loi de la raison, à une société postmoderne, voire hypermoderne : « la postmodernité incarne un état sans idéologie dominante, sans utopie, caractérisée par une pluralité de valeurs et de styles » (Cova, 1996). Ce passage de l’époque moderne à l’ère postmoderne se traduit par des bouleversements sociétaux importants entraînant des modifications majeures dans les habitudes de consommation : « le comportement du consommateur s’avère plus complexe et son analyse fait ressortir de multiples phénomènes : l’importance du situationnel, l’importance de la personnalisation et du relationnel, l’importance de l’affectif, des émotions, du lien social » (Pras, 1997). Un « homo consumericus de troisième type » apparaît comme étant un « turbo consommateur flexible » totalement libéré des anciennes cultures de classe, imprévisible dans ses goûts, à la recherche d’expériences émotionnelles et de mieux-être, de qualité de vie, d’authenticité, d’immédiateté (Lipovestky, 2006).

Les organisateurs de projets culturels sont donc confrontés à un consommateur plus affectif « émiettant » son comportement en fonction des circonstances, oscillant entre l’individualisme et la recherche du renforcement d’un lien social au sein de groupes ou de communautés. L’éclectisme (Hetzel, 1996), l’hédonisme, l’esthétisation de la consommation (Godey, 1998), la recherche d’expériences partagées, la recherche de sensations, d’émotions et de sens sont des phénomènes occultés durant la période moderne, mais qui, désormais, sont pris en compte dans le comportement postmoderne des publics de la culture : la passion a tendance à se substituer à la raison. Des logiques de consommation, caractérisées par les dimensions de rêve, d’imaginaire, de plaisir et de fête se développent dans ce comportement.

Après une rapide présentation des caractéristiques de « l’expérience » vécue lors d’une manifestation culturelle, nous analyserons les variables susceptibles de l’expliquer. Puis, nous évoquerons les sources de la valeur que l’individu attache à l’expérience culturelle vécue.

III. Consommation culturelle et expérience vécue

La consommation culturelle est avant tout une consommation hédonique qui « désigne les facettes du comportement du consommateur qui se rapportent aux aspects multi-sensoriels, émotionnels et imaginaires de l’expérience avec les produits » (Holbrook et Hirschman, 1982).

L’approche expérientielle analyse la consommation comme un état subjectif primaire provoqué par le symbolisme, l’hédonisme et l’esthétisme du produit.

L’esthétique considère l’œuvre d’art comme étant tournée vers les individus, faisant l’objet d’une perception sensible, définie par un vécu et une expérience psychologique. Les caractéristiques de la consommation expérientielle (exemple : spectacle de théâtre, concert, etc.) peuvent se résumer ainsi (Vezina, 1999) : « le consommateur n’est pas que consommateur, il agit à l’intérieur de situations, il est à la recherche de sens et il ne se limite pas à l’achat (billet d’entrée, consommations annexes, produits dérivés) ».

Nous pouvons alors nous interroger sur les facteurs explicatifs de l’expérience vécue lors de la consommation culturelle car pour créer un projet, un festival détonnant, il est de connaître le festivalier potentiel pour que celui-ci vive une « expérience unique, (d)étonnante ».

i) Les caractéristiques intra-individuelles du public influençant l’expérience vécue lors de la consommation culturelle

Les pratiques culturelles ont reçu une attention croissante par les chercheurs sur le comportement de consommation, intéressés par les produits ou services comme la peinture, les concerts et les activités de loisirs en général (Hirschman et Holbrook, 1981), les arts du spectacle vivant (Bourgeon, 1994), les expositions de musées (Dufresne-Tassé, 1993 ; Dierking, 1994), les visites de sites culturels (Petr-Le Huérou, 1998), les concerts de musique classique (Mann, 2000), les festivals d’arts de la rue (Pulh, 2002) et l’art contemporain (Lagier, 2006).

L’accroissement des recherches, dans ces domaines, témoigne de la prise en compte, par les chercheurs, de la perspective expérientielle dans l’approche du comportement de consommation culturelle.

En dépassant les seuls critères de segmentation socio-démographiques, le processus expérientiel, lors de la consommation culturelle, se fonde sur les caractéristiques intraindividuelles du consommateur, suivant la théorie du comportement exploratoire (Berlyne, 1960, 1974) et sont les suivantes :

– l’implication dans une manifestation culturelle, représentant une variable importante entre la perception et l’attitude. En effet, un concert peut susciter des réponses différentes en termes d’implication, non seulement par des différences de niveau (fort/faible), mais surtout par des différences de nature même de l’implication, à dominante cognitive (intérêt) ou à dominante affective (valeur hédonique). En effet, le côté festif, convivial sera recherché pour certaines populations alors que d’autres personnes, aussi dans le cadre d’un Festival, rechercheront plutôt la découverte artistique et musicale : un compromis entre l’affectif et le cognitif est alors définir dans l’offre proposée aux festivaliers, à savoir le genre musical, la programmation, l’aménagement du site, les valeurs véhiculées, lesquels positionnent et définissent le produit.

– la recherche de stimulation sensorielle : ce concept repose sur l’analyse de l’influence de différentes variables caractérisant le goût de l’individu pour la nouveauté, c’est-à-dire l’attirance pour ce qui est inhabituel, le goût pour le changement et le désir d’acquérir des informations supplémentaires sur les différents produits. De forts niveaux de stimulation sont positivement reliés avec la préférence pour de nouvelles expériences et avec les tendances exploratoires liées aux risques, à la recherche de variété et à la curiosité. Pour un spectacle vivant et a fortiori pour un Festival, le mélange des genres musicaux dans la programmation peut constituer une identité artistique attrayante permettant aux populations de profiter de leurs goûts préférés mais également de découvrir d’autres genres pour lesquels ils n’avaient pas d’affinités par défaut d’écoute préalable ni d’expériences passées.

– la tendance à la recherche de sensations : c’est une variable susceptible d’expliquer les prédispositions du consommateur à rechercher l’aventure et les frissons, les expériences et la non-inhibition. Dans le domaine culturel, la perception de l’individu se fonde sur une activité sensorielle et l’individu vit une expérience qui s’exprime par un simple plaisir ou une intensité de sentiments. Un Festival mettant en scène des groupes « populaires » rarement mis en scène sur un territoire et difficilement visibles car très sollicités, permet à des passionnés ou « groupies » de voir enfin leurs idoles en concert ou de participer à un moment unique dans un cadre « amplifiant » leur expérience (foule, écrans géants, sonorisation, services périphériques).

De plus, des communications présentées lors du Premier Workshop Arts, culture et management en Europe réunissant, en 2006, une cinquantaine de chercheurs et de responsables d’organisations culturelles, ont permis d’actualiser et de compléter toutes ces dimensions en insistant sur :

– la nostalgie, que l’on peut définir comme « une réaction affective douce-amère, éventuellement associée à une activité cognitive, et qui peut être éprouvée par un individu lorsqu’un stimulus externe ou interne a pour effet de le transposer dans une période ou dans un événement d’un passé idéalisé, s’inscrivant ou non dans son propre vécu » (Divard et Robert-Demontrond, 1997). La nostalgie peut être explicative du comportement de consommation culturelle et, ainsi, agir sur l’implication même du public. Il n’est ainsi pas étonnant de constater le succès de certaines tournées, véritables « come back » ou retour sur scène de certains artistes, chanteurs ou groupes musicaux, ayant fait vivre des moments forts à certaines populations. Les concerts récents ou en projet de Johnny Halliday, de Jean Michel Jarre, de Michel Polnareff et bien sûr celui de Mickael Jackson – qui n’a malheureusement pas eu lieu – sont des exemples prouvant ce potentiel d’artistes musicaux enracinés dans les mémoires dont le succès et la notoriété perdure dans le temps.

– le rapport du consommateur au temps (signe de l’hypermodernité) tend à changer : celui-ci veut vivre un maximum d’expériences en un minimum de temps, s’inscrivant sur ce point dans un contexte d’hypermodernité. Il est un adepte du direct et du « tout, tout de suite », et baigne dans un hyper présent. Cette variable est satisfaite lorsque la programmation horaire d’un Festival est planifiée de manière à ce que des concerts se chevauchent entre eux : à la moitié du concert 1, le concert 2 débute permettant ainsi au festivalier d’assister à un maximum de concerts en un temps – plus ou moins – réduit. Cette formule peut être réalisée certes sur davantage de scènes mais il s’agit néanmoins de trouver pour l’organisateur le bon compromis qualitatif entre le temps de concert vu par le festivalier et le nombre de concert vu par celui-ci.

– le rapport de l’individu au lieu et à l’espace : participation ou appropriation. En effet, certains festivals tendent à impliquer les festivaliers par : la mise en place d’animations, de prestations gratuites ou ludiques (campings gratuits, marchés artisanaux, animations commerciales tel que les stands Guitar Hero ou Converse aux Vieilles Charrues…), l’engagement et l’implication de bénévoles rendant le Festival convivial de par la proximité de services ou encore par la mise en place de forums participatifs (sondages et commentaires sur une édition, groupes désirés sur la programmation de l’édition suivante, etc.) sur le site Internet du Festival.

– le rapport aux us et coutumes et à l’Histoire. Cette variable se démontre par l’intérêt des populations pour des évènements mettant en scène certaines cultures et richesses patrimoniales. Le Festival Interceltique de Lorient en un excellent exemple : durant près de 10 jours au mois de juillet, il met à l’honneur les musiques celtes avec : des concerts de chants marins et de musique celtique, des danses bretonnes, une Grande Parade des Nations Celtes –
retransmise à la télévision – , d’expositions et animations culturelles, d’évènements sportifs – match de Rugby entre les équipes d’un club gallois et celles d’un club breton ; un semimarathon

– , entrecoupés de concours de cornemuse, de dégustations de spécialités bretonnes, de whisky écossais et de cidre, ou encore de cotriades au port de pêche. Ainsi, à chaque coin de rue, le public peut écouter un groupe différent, discuter avec des gens venus de l’autre Bout de la France, d’Irlande, d’Ecosse, d’Angleterre, d’Australie, d’Espagne ou même du Canada et passer un moment convivial, culturel et festif. Toujours en Bretagne, la Route du Rock à Saint Malo, quant à lui, offre à ses festivaliers des concerts au sein du Fort de St Père, ouvrage militaire édifié au XVIIIème s. par Vauban et du coup revalorisé, « théâtralisé » pour l’occasion. L’ensemble de l’ouvrage, d’une superficie de 30 ha. est aménagé pour l’évènement : l’enceinte de ce Fort accueille près de 12 000 spectateurs, les 500 m2 de La poudrière, plus grande poudrière d’Europe, sont aménagées en loges et en salle de réception, l’Arsenal et ses 140m2 accueillent le catering et la réception et enfin un camping est mis en place tout autour du Fort pour les festivaliers restant sur place les 3 jours.

Cette partie a présenté, dans un champ très large, les attentes et variables de consommation culturelle des populations avec des illustrations dans le cadre des Festivals. En parallèle et en termes de dimensions symboliques de la consommation culturelle, nous pouvons évoquer également le phénomène de sociabilité recherché par les populations, c’est-à-dire la prise en compte d’aspects relationnels dans l’expérience vécue lors des sorties culturelles.

ii) L’expérience de consommation culturelle en tant qu’expérience partagée

Les personnes, à travers une manifestation culturelle, vivent l’événement en fonction de la présence des autres. En effet, cette consommation, en tant qu’expérience sociale, est confirmée par de nombreux auteurs (Maffesoli, 1988, 1990 ; Cova, 1996 ; Rémy, 2000 ; Vergne, 2000 ; Debenedetti, 2001). Plus particulièrement, l’existence de lien social dans la consommation, valorisée par le courant sociologique postmoderne, a été mise en évidence, dans les domaines, d’une part des concerts de musique classique, à travers la variable « sensibilité à l’interaction sociale » (Mann, 2000), et d’autre part, des arts du spectacle vivant, à travers la dimension « lien social » (Pulh, 2002).

Différentes motivations peuvent être aussi associées afin d’expliquer la préférence pour les sorties culturelles en groupe (Vergne, 2000) :

– la recherche de stimulation affective correspondant à la recherche du plaisir d’être ensemble et de partager une expérience ;

– la maîtrise de l’identité sociale répondant à une demande de reconnaissance, suivant une logique de distinction sociale ;

– la construction de son identité permettant à l’individu de se construire, notamment en partageant ses idées ou ses émotions ;

– le renforcement des relations déjà établies, à travers des occasions de se retrouver ensemble ou de créer des souvenirs communs ;

– la création de nouveaux contacts facilitant la rencontre d’autres personnes qui n’appartiennent pas au groupe primaire de sortie ;

– la réduction de l’anxiété reposant sur le fait que le groupe, créant un climat plus convivial, permet à l’individu de réduire l’anxiété liée au risque social et psychologique des activités artistiques et culturelles.

La consommation culturelle n’est donc pas seulement une expérience individuelle d’ordre esthétique ou intellectuel, c’est aussi une expérience sociale qui prend en compte le contexte social intime (Debenedetti, 1998, 1999), composé du spectateur et de ses accompagnateurs.

Or, l’individu interagit non seulement avec ses accompagnateurs, mais aussi avec les autres spectateurs et avec tout le personnel en contact, ce qui permet de définir un contexte social élargi (Debenedetti, 1998, 1999). Les sorties culturelles peuvent donc être abordées dans un contexte social intime ou élargi, et nous pouvons nous demander s’il n’est pas envisageable de situer les individus le long d’un continuum allant d’une sensibilité au lien social faible à une
sensibilité au lien social fort. En conséquence, on peut distinguer (Debenedetti , 2001 ; Pulh, 2002) :

– l’expérience partagée entre le spectateur et la manifestation culturelle. La production et la consommation sont simultanées, et cette interaction confère à l’expérience vécue un caractère unique.

– l’expérience partagée entre le spectateur et ses « proches » en référence aux personnes qui l’accompagnent : amis, famille… Nous pouvons alors parler d’une « interaction sociale intime » (Debenedetti, 1998, 1999) car les publics recherchent la convivialité et l’occasion d’entretenir des liens sociaux avec leurs proches selon des rituels sociaux ;

– l’expérience partagée entre le spectateur et les « autres », c’est-à-dire le personnel en contact ou le reste du public qui représente alors le « contexte social élargi de la sortie ». Des travaux de recherche (Gottesdiener, 1992 ; Dierking, 1994 ; Debenedetti, 1998, 1999) décrivent l’interaction sociale comme un facteur primordial de motivation du visiteur et proposent de considérer les lieux comme étant avant tout des « environnements sociaux ».

Dans le domaine muséal, connexe au spectacle vivant, l’aspect social d’une participation ou d’une visite (McManus, 1994) ne fait pas qu’ajouter du plaisir à l’expérience vécue, mais en est un élément central. De plus, Hood (1994) suggère même que la « possibilité de partager l’expérience avec d’autres » peut revêtir plus d’importance chez certains que l’activité de loisirs elle-même.

Afin de conclure sur les dimensions explicatives de l’expérience vécue, nous pouvons nous référer à d’autres travaux de recherche qui ont dépassé les seules caractéristiques intraindividuelles et inter-individuelles du comportement de consommation culturelle.

On assiste en effet par ailleurs également à une « transgression » des habitudes culturelles (mélange des genres et disparition des frontières) : les expériences culturelles sont désormais décloisonnées. En conséquence, les expériences de consommation culturelle évoluent sur un continuum allant d’une logique de consommation éducative (intellectuelle) à une logique ludique (de divertissement). Il en ressort que les profonds bouleversements sociétaux qui
viennent de marquer les dernières années, dans un contexte de postmodernité, se reflètent dans des habitudes de consommation différentes (d’un « nouveau genre ») dont font partie les activités culturelles et de loisirs (Lahire, 2004). En termes de segmentation d’un projet, même s’il existe, comme nous l’avons précédemment évoqué, des préférences en matière de consommation culturelle, un mélange des genres musicaux dans le cadre d’un Festival ne sera pas impertinent et sera apprécié par ses participants.

Toutes ces variables explicatives des comportements des populations à l’égard des expériences culturelles sont à prendre en considération afin que l’organisateur anticipe un maximum aux attentes – ou besoins – des populations, pour en faire un projet détonnant à leurs yeux et à leurs affects.

Dans la partie qui va suivre, nous allons, suite logique de notre développement, appliquer cette démarche marketing à la création d’un Festival.

Le marketing permet à l’organisation culturelle d’atteindre ses objectifs, traduction opérationnelle de ses missions, mais aussi de participer à la définition du projet, ce qui est notre sujet d’étude. Ainsi, c’est à la méthodologie de cette définition d’un projet culturel que nous allons nous attacher et, suivant une démarche de mix-marketing, nous évoquerons des recettes mises en œuvre pour créer un Festival détonnant. Pour se faire, nous nous appuierons alors sur l’un des plus grands Festivals d’Europe, les Vieilles Charrues qui, comme nous l’avons évoqué précédemment a acceuilli en 2009, près de 230 000 personnes.

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