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1.3. La crise de l’humanitaire.

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Parlera-t-on de crise de l‘humanitaire ? Celle-ci n‘est pas évidente si l‘on considère les organisations elles-mêmes : ni le soutien de l‘opinion, ni l‘appui des politiques, ni les faveurs du mécénat, ni les volontaires ne leur font défaut. Le désordre mondial leur ouvre, malheureusement, un champ d‘action plus vaste que jamais. La place et la fonction de l‘idéal humanitaire dans les sociétés occidentales ne sont pas davantage remises en question. Dans sa contribution au dossier déjà cité de la revue Le Débat, Bernard Kouchner écrit : « La grande aventure du XX° siècle qui s‟achève s‟appelait le marxisme. La grande aventure du XXI° siècle commence et s‟appellera mouvement humanitaire ». On songe au mot de Pierre-André Taguieff (39): « Les soldats du Bien ont remplacé les militants du Meilleur ». Raccourcis sans doute discutables, mais qui disent bien l‘ambition de nombreux militants de l‘humanitaire de faire de ce dernier sinon une idéologie, du moins l‘héritier des idéologies en déclin.

Les sociologues et politologues ne s‘accordent-ils pas pour mettre l‘accent sur le rôle essentiel joué par l‘idéal humanitaire dans la vie sociale comme dans le mouvement intellectuel de notre temps ? Selon Gilles Lipovetsky, dans Le Crépuscule du devoir(40) ; l‘éthique indolore des nouveaux temps démocratiques, l‘humanitaire, « dernière forme contemporaine du Bien », marquerait, au sein de sociétés individualistes, le retour à une certaine morale et la réintégration de valeurs de la vie collective.

Analysant, dans La Fin de la démocratie, la crise actuelle de la morale et de la politique, Jean-Marie Guéhenno voit dans le développement du mouvement humanitaire l‘expression d‘une déception à l‘égard du politique : « Le militantisme humanitaire exprime cette déception à l‘égard des institutions politiques et ce souci nouveau de créer des solidarités concrètes dans un monde devenu trop abstrait(41) […].

L‘action humanitaire est un moyen d‘échapper au tête-à-tête insupportable entre l‘individu solitaire et une globalité qu‘on ne maîtrise pas mais qu‘il n‘est plus possible d‘ignorer. Cette « globalité qu‟on ne maîtrise pas », c‘est précisément le désordre mondial, théâtre de l‘action humanitaire. Ramené par un certain échec de l‘humanitaire d‘État et du droit d‘ingérence à sa véritable vocation, qui n‘est pas d‘organiser le monde mais de l‘humaniser, le mouvement prend conscience à la fois des limites de son action et de son rôle irremplaçable.

Les limites de son action sont inscrites dans le désordre du monde : le nombre, la dispersion et la nature de conflits qui échappent souvent à toute rationalité politique, de même qu‘ils enfreignent les règles les plus élémentaires du droit humanitaire, rendent la tâche des organisations de plus en plus malaisée sur le terrain et les résultats toujours plus aléatoires. Dans Le Piège humanitaire, Jean-Christophe Rufin(42), vice-président de M.S.F. et spécialiste des problèmes du Tiers Monde, voit dans les difficultés auxquelles doit aujourd‘hui faire face le mouvement humanitaire « l‘exact reflet » de la crise que connaissent les démocraties après la chute du Mur de Berlin.

Devant les lenteurs de la transition démocratique en Europe de l‘Est et le refus de certaines sociétés du Sud d‘adopter un modèle marqué par les valeurs de l‘Occident, un choix impossible se présente aux grandes démocraties : soit un désengagement, avec les conséquences que l‘on imagine pour l‘ordre mondial ; soit l‘exercice systématique d‘un droit d‘ingérence qui signifierait concrètement l‘occidentalisation du monde par le retour à une forme de colonisation.

Entre l‘observation par tous des droits de l‘individu et le strict respect de la souveraineté des États, il s‘agit moins de choisir, puisque le choix devrait s‘effectuer entre un gouvernement mondial improbable et une anarchie mondiale impensable, que de rechercher des médiations. C‘est ici que le rôle historique du mouvement humanitaire prend tout son sens. En répondant par l‘action à la question « que faire ? », il assure, dans un monde en transition où les droits de l‘humanité ne peuvent être, en l‘absence d‘un ordre accepté par tous, pleinement respectés, la présence des valeurs de l‘Occident.

Comme l‘écrit, avec quelque pessimisme, Jean-Marie Guéhenno : « Ayant perdu l‟illusion d‟une solution politique qui mettrait fin au malheur et ferait de la multitude des destins humains une communauté, nous nous consacrons à d‟autres hommes, plutôt qu‟au genre humain ».

39 Comite-de-salut-public.blogspot.com.- C‘est qui Pierre Andre Taguieff.- http://comite-de-salut-public.blogspot.com/2010/10/cest-qui-pierre-andre-taguieff.html
40 Decitre.fr. –Le crépuscule du devoir.- http://www.decitre.fr/livres/LE-CREPUSCULE-DU-DEVOIR.aspx/9782070411870
41 Paul.blogmilitant.com.- L‘action humanitaire à travers le monde.-http://paul.blogmilitant.com/index.php?post/2006/11/09/laction-humanitaire-a-travers-le-monde
42 Jean-Christophe-Rufin.- Le piège humanitaire.- http://www.oboulo.com/jean-christophe-rufin-piege-humanitaire-10917.html

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