Modifier une image, c’est donc l’apprivoiser ; Serge Tisseron ajoute que « le meilleur antidote aux pouvoirs mystificateurs des images réside dans la possibilité d’en faire soi-même (9)».
Le street art se prête particulièrement aux réalisations collectives, à caractère pédagogique, récréatif ou militant, sous forme d’ateliers animés par des artistes ou de campagnes activistes. Art du faire, l’art de rue est aussi un art du remixage : c’est un exemple de ce que le juriste américain Lawrence Lessig appelle la culture Read/Write. Lessig présente, notamment dans son ouvrage Free Culture, des arguments pour une évolution de la législation du droit d’auteur. Il qualifie la culture dominante contemporaine de culture « Read Only », c’est-à-dire à sens unique, du producteur vers l’utilisateur, ou plutôt vers la masse des consommateurs. Dans une telle logique, les droits d’auteur et l’aura de l’œuvre sont éminemment protégés et les conditions de création et de réception sont étroitement contrôlées. Prenant appui sur des pratiques existantes sur Internet, il appelle de ses vœux une évolution vers une culture « Read/Write », c’est-à-dire une culture participative, où un dialogue constant peut s’établir entre source et récepteur, entre créateur et lecteur ou spectateur. Tout comme les fables, mythes et légendes sont constamment réactualisées, les participants d’une culture Read/Write transforment leur environnement en mélangeant les outils visuels, sonores ou autres à leur disposition.
30. JR, Ladj Ly – Portrait d’une génération, 2004
La réflexion de Lessig porte principalement sur l’accès aux œuvres, originales et remixées, sur Internet. Dans le monde physique, de nombreux projets mettent en pratique cette logique de participation et de remixage. Ainsi Michel Gondry, suite à son film Be Kind, Rewind, où des amateurs de cinéma recomposaient des scènes de leurs films préférés, a animé une Usine de Films Amateurs au Centre Pompidou en février et mars 2011, qu’il projette d’installer de façon prolongée en banlieue parisienne.
Fabriquer des images, c’est aussi une manière de contrôler son image, c’est-à-dire la façon dont les autres nous perçoivent : ainsi les projets photographiques de JR, avec ses portraits intimes d’habitants des banlieues et des bidonvilles, exposent ces visages – et les histoires individuelles et collectives qui leurs sont attachés – comme ils veulent se montrer, et non comme ils sont généralement présentés à travers le filtre des médias.
9 Ibid., p. 217
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