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1.2 Une définition erronée

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Ainsi, comme nous avons pu le voir, Brest est une ville de construction récente, possédant une structure coloniale. Toutefois, Yves Le Gallo admet lui-même que la théorie qu’il présente possède « un caractère poussé, certes, à un degré extrême, mais que l’on retrouve au milieu du XIXe siècle dans la plupart des agglomérations urbaines de Basse-Bretagne, au demeurant chétives en général et presque extérieures au pays par leur situation côtière ou proche du littoral.(53) » Par conséquent, nous allons ici nous efforcer de nuancer quelque peu la théorie exposée par ce dernier à l’aide de documents dont l’accès s’est singulièrement facilité depuis ces précédents travaux.

Colons et indigènes

Si on considère que Brest est une colonie française en terre bretonne, qui sont les colons et qui sont les colonisés ? Yves Le Gallo répond à cette question, s’appuyant sur l’étude anthroponymique qu’il a entrepris. Ainsi, « la structure de la ville apparaît également coloniale du fait de la coexistence d’un élément importé et d’un élément autochtone, que l’analyse anthroponymique permet de distinguer assez aisément – et du fait aussi de la subordination sociale et professionnelle de celui-ci à celui-là.(54) » Il en ressort l’idée générale que les métiers demandant de longues études ou la connaissance des pratiques commerciales sont exclus aux bretons alors qu’ils sont très présents dans les rangs des ouvriers de l’arsenal. Pour résumer, il existerait, d’un côté, une élite commerciale et administrative française et, de l’autre, un prolétariat breton.

Toutefois, avant d’aller plus en avant, il faut prendre connaissance des éléments qui ont été pris en compte pour effectuer cette analyse anthroponymique. Voici sur quels principes Yves Le Gallo s’est fondé pour cette étude.

Sont pris en compte :

• les qualificatifs physiques, moraux, professionnels, sobriquets et hypocoristiques : Berréhouc, Le Coz, Le Dall, Le Foll, Le Fur, Quéré, Le Goff, Lescop, Bescond, Lohezic…
• les toponymes du type Kernevez, Menesguen, Scavennec, Le Bot…
• les prénoms bretons, ou bibliques, latins, germaniques, français bretonnisés (avec composé léonards éventuels en Ab-), du type Golhen, Hervé, Abhervé, Moysan, Salaün, Hélias, Gestin, Marzin, Héloury, Jaffrès, Guillerm, Charlès, Francès…
• les noms à valeur de métaphore sentimentale ou guerrière(55) du type Guivarc’h ou Hascoët.
• les anthroponymes d’origine ou d’interprétation laissant la place au doute mais dont l’implantation est manifestement ou exclusivement basse bretonne, tels que Vigouroux ou Malléjac, et les noms apparemment français mais dont la prononciation à la bretonne trahit une implantation ancienne, du type Perrot ou Hetet.

Ne sont pas pris en compte :

• les anthroponymes de Haute-Bretagne sont considérés comme étrangers, tout comme ceux d’origine celtiques, du type Caradeuc,
• les traductions françaises des noms bretons du type Le Page pour Le Floc’h,
• les noms dont il est impossible de savoir s’ils sont bretons ou français, tels que Lucas, Thomas, David…
• les anthroponymes nobiliaires ou à prétentions telles, du type Kerjégu pour Montjaret de Kerjégu.

Au regard de ces différents éléments, nous pouvons nuancer les résultats d’une telle étude. Même si elle permet de mettre en évidence une tendance, elle exclue de manière automatique tout individu issu de la noblesse bretonne. De plus, Yves Le Gallo se contredit lui-même lors de l’analyse de ses propres résultats. En effet, il indique que « si l’on met à part le cas aberrant des hommes de loi (avocats, avoués, huissiers), parmi lesquels l’élément autochtone est très honorablement représenté – ce qui s’explique sans doute par la continuation d’une tradition bourgeoise de judicature, issue des multiples juridictions de l’Ancien Régime – ces résultats tendent aux même conclusions : les métiers qui requièrent capital initial, compétences techniques, pratique commerciale, études longues sont peu pratiqués par la population indigène.(56) » Pourquoi mettre ici à part le « cas aberrant des hommes de loi » ? Il faut prendre en compte qu’il existait à Brest des hommes de lois, issus de surcroît de la bourgeoisie, et d’origine bretonne. Aussi, la population française n’avait pas le monopole de l’administration. Prenons l’exemple d’un certain M. Salaün, commis au Bureau de la Marine, francophone, exerçant un emploi dans l’administration militaire. Celui-ci fit des traductions en breton pour le compte de la ville de Brest, notamment des décrets de l’Assemblée Nationale(57). Gabriel Milin, lui aussi commis au Bureau de la Marine, originaire de Saint-Pol de Léon, possédait la double compétence linguistique français-breton. Il a notamment rédigé Gwechallgoz e oa…(58), recueil de contes en breton. Nous aurons, par ailleurs, l’occasion de revenir sur leur parcours.

Intéressons-nous à la bourgeoisie civile brestoise. Pour Yves Le Gallo, elle n’était pas bretonne. Il en a fait la démonstration, expliquant qu’ « au-dessous de ces notables [marchands et industriels] d’extraction plus ou moins terne, dont la fortune est fondée en général sur les marchés passés avec la Marine, ont proliféré et foisonnent encore sous la Monarchie de Juillet les négociants et commerçants de diverses catégories bourgeoises, dans leur ensemble étrangers au pays, et à peu près tous de réussite ou d’aisance récentes. Il ne pouvait aller autrement dans cette ville poussée trop vite et de manière anarchique, à la population sans cesse remaniée par les grands mouvements de flux et de reflux de la garnison des équipages, où la Révolution avait bouleversé les structures sociales en voie de cristallisation, où par ailleurs enfin les vicissitudes de l’activité militaire, les hasards de la politique et de la guerre remettait sans cesse en cause les succès à peine acquis.(59) »

Yves Le Gallo souligne aussi que « l’un des trait caractéristique de cette bourgeoisie brestoise, considérée dans son ensemble, est qu’elle est en général étrangère au pays ou de récent établissement. C’est là un fait qui ne saurait surprendre étant donné la structure coloniale de la ville. […] En ce qui concerne Brest, on discerne au surplus, à partir de sources fragmentaires, l’établissement d’éléments en provenance d’Auvergne, du Nivernais et peut-être du Dauphiné(60) .»

Toutefois, nous trouvons dans un numéro du Bulletin de la Société Académique de Brest(61) un très long poème d’un auteur anonyme, s’intitulant Hirvoudou c’houero eur skrivanier euz a Vrest (Lamentations amères d’un écrivain de Brest). Nous trouvons dans cet écrit, dont le langage est très riche et la versification particulièrement travaillée, des références à Loth ainsi qu’a Sodome et Gomorrhe. Cette oeuvre sort, sans nul doute, d’un esprit lettré, appartenant certainement à la bourgeoisie brestoise et non au « prolétariat breton » d’où je l’exclue totalement.

Si nous avons vu que l’élément autochtone est bien représenté dans les métiers de la justice, qu’en est-il pour les autres métiers représentés par la bourgeoisie civile ? Il faut tout d’abord préciser que cette catégorie sociale comprend trois éléments : les professions libérales, les fonctionnaires, et le négoce et le commerce (haute bourgeoisie).

Les représentants des professions libérales sont essentiellement des hommes de loi, des médecins et des pharmaciens. Comme nous l’avons vu, les bretons sont bien représentés parmi les premiers, avec un coefficient anthroponymique de 0,5.

Chez les notaires, le coefficient anthroponymique est de 0,66 en 1834, tombant à 0,11 en 1846. Nous voyons ici aussi que les bretons sont bien présents parmi cette catégorie socioprofessionnelle. Dans la médecine, le coefficient est en constante augmentation tout au long du XIXe siècle. S’il n’est que de 0,06 en 1834, il passe à 0,12 en 1846. Il en est de même pour les pharmaciens (de 0,13 en 1834 à 0,26 en 1846). Il apparaît donc que les bretons, s’ils ne sont pas majoritaires, sont tout de même présents dans des professions libérales demandant capital initial et longues études.

Les fonctionnaires de justice, d’administration et de finance représentent essentiellement les fonctionnaires civils. Pour cette catégorie de la population, Yves Le Gallo n’a pas calculé de coefficient anthroponymique. Toutefois, il explique clairement l’organisation des différentes administrations brestoises. Ainsi, Brest était doté, en 1830, d’un tribunal de première instance de septième classe, composé d’un président, un juge d’instruction, deux juges et trois juges suppléants qui étaient des avocats ou avoués de la ville. Quelques 70 à 80 procès en moyenne s’y tenaient par année. Dans ses commentaires sur la somme de travail effectuée par la magistrature brestoise, Yves Le Gallo exprime un jugement de valeur assez étonnant qui me fait m’interroger sur les représentations de celui-ci et la pertinence de cette étude : « En ce qui concerne donc la chicane, les populations bretonnes et surtout celles de Basse-Bretagne, manifestaient un état d’esprit singulièrement arriéré, que n’avait pu redresser l’infusion de sang normand.(62) » En ce qui concerne l’administration des finances, Brest compte, outre le Receveur Général et le payeur public du département (la Recette Générale des Contribution Directes du Finistère se trouvant à Brest), une douzaine d’agents ou de fonctionnaires de l’Enregistrement, des Hypothèques, des Contributions et des Douanes. Ici encore, il n’indique aucun élément nous fournissant des informations sur la provenance des fonctionnaires.

Les activités de commerce et de négoce sont fortement tournées vers la marine, comme le souligne Marie-Thérèse Cloître-Quéré :
« L’industrie de l’habillement, la plus importante, a pour cliente la Marine. Le grand commerce lui-même doit son existence à la Marine. Sur les 66 principaux commerçants de la ville, 14 sont qualifiés de « fournisseurs ». A dire vrai, les affaires des « marchands » et des « négociants » dépendent presque aussi étroitement de la marine que celle des fournisseurs. Ils participent aussi aux adjudications pour les approvisionnements des navires ou de l’arsenal et leur noms se retrouvent dans les marchés passés par la Marine où le conseil du port note qu’il ne se présente pas d’étrangers.(63) »

Yves Le Gallo ne nous donne aucun renseignement sur la provenance ou l’origine des commerçants et des négociants. Toutefois, comme Marie-Thérèse Cloître-Quéré, il met l’accent sur le fait que l’activité commerciale est essentiellement tournée vers la marine ou correspond aux besoins immédiats des habitants. Il n’existe aucun commerce d’exportation à Brest.

Je profite ici pour rappeler que, selon Yves Le Gallo, l’anticléricalisme de la population, certainement dû à une bourgeoisie étrangère, est un des aspects colonial de la ville. Toutefois, je tiens à nuancer ses propos en rapportant ceux de Daniel de Proxy :

« Tout Breton est foncièrement religieux. Tout Brestois du peuple croit fermement à Notre Dame de Recouvrance et l’invoque avec ferveur au milieu des périls de la mer. Moins superstitieux que le Bas-Breton de l’intérieur, il s’impressionne néanmoins avec une extrême facilité au récit des événements qui se produisent sans cause nettement appréciable et voit le doigt de Dieu dans tous les faits qu’il ne peut expliquer.(64) »

Une noblesse bretonne présente à Brest

Ce qui frappe le lecteur dans l’analyse faite par Yves Le Gallo, c’est l’absence totale de noblesse bretonne à Brest, fait qui serait une particularité brestoise : « Il importe tout d’abord de mettre l’accent sur le fait que la noblesse, et singulièrement la noblesse bretonne, est absente de cette ville. Les listes d’électeurs municipaux que nous avons pu analyser pour 1846 […] font apparaître que, sauf pour quelques très rares personnes qualifiées de propriétaires, les seuls représentants d’une aristocratie de souche sont des officiers de marine en activité ou en retraite.(65) » Toutefois, nous l’avons vu, l’étude anthroponymique réalisé par ses soins exclut de manière systématique les patronymes nobliaux bretons. En y regardant de plus près, il existait des familles influentes et d’extraction noble à Brest.

Citons la famille Riou de Kerhallet, devenue par la suite de Kerhallet, dont le plus illustre personnage fut Philippe de Kerhallet, lieutenant de vaisseau, commandant le brick-goëlette(66) l’Alouette en 1844(67). Par ailleurs, Jean-Michel Riou de Kerhallet devint, grâce au mariage avec une Léon de Tréverret, un neveu de Keratry(68). Citons aussi le sieur Jean Guilherm, riche négociant en vin originaire de la ville de Bordeaux qui épousa à Brest Marie-Louise Daniel, de la famille de Daniel du Colhoé en 1785 et dont les descendants eurent une forte influence à Brest jusqu’en 1815(69). Enfin, citons les frères de Kerjégu, associés dans une affaire de négoce, fournisseurs de la Marine et s’occupant de courtage, famille fournissant sénateurs, députés et contre-amiraux jusqu’en 1880(70).

Au-delà de ces exemples, il existait en 1789 un Ordre de la vraie noblesse de Brest en Bretagne dont j’ai trouvé une publication datant de 1789 et dont voici les termes :

« Les Concitoyennes ou Arrêté des Dames composant l’Ordre de la vraie Noblesse de Brest en Bretagne, du samedi 24 Janvier 1789, nous soussignées, qui composons l’Ordre de la Noblesse Bretonne, en la ville de Brest,

Considérant que dans la circonstance actuelle, où le Tiers-Etat s’avise de faire parti des Députés en Cour, pour porter aux pieds du Trône d’un Roi dont la justice a été évidement surprise, des plaintes d’une prétendue lésion, qui n’a jamais existé que dans l’imagination exaltée de quelques cerveaux éventés, se qualifiant de Représentants d’un Peuple dont ils se prétendent les défenseurs, & dont ils sont de vrais tyrans ; ceux qui favorisent ces projets désastreux, sont dignes d’une souveraine exécration ;

Considérant qu’ils sont notés d’infamie, & que tous les gens composant le Tiers de la Province de Bretagne en cette ville de Brest, font, à l’exception de quelques braves Citoyens amis du bien public, du même avis, & conséquemment indignes d’être admis au rang des gens honnêtes ;

Avons déclaré, comme de fait déclarons, jurons & convenons de ne jamais frayer avec aucunes femmes, filles ou parentes de ces gens déshonorés, & les déclarer infâmes, traîtres à la Patrie, indignes du nom de vrai Citoyens ;

Et nous promettons, foi de Gentilshommes, s’il arrivoit que quelqueunes de ces femmes se présentassent au Bal de la Comédie, de nous retirer sur-le-champ ; également que si quelques Dames de la Marine recevoient ces femmes chez elles, les noter d’infamie, & les déclarer coupables du crime de leze-Patrie.

Arrêté en l’Hôtel de Madame Dubosq, sur le champ de bataille. A Brest, le 24 Janvier 1789.(71) »

Ce document possède, au regard de cette étude, deux points intéressants. Le premier est qu’il témoigne de l’existence d’une noblesse Bretonne à Brest (voire une « vraie » noblesse, pour reprendre le terme utilisé par ces Dames) au moins quelques mois avant la Révolution Française. Le second point concerne les signataires dont je vous relate ici l’intégralité : Dubosq, Keralaun, De Monteclair, De Réal, De Charbonneau, De Trouber, De Sonville, De Coatudavel, Du Fraisier, Le Begue, De Tosily, De Baudran, De la Biochais, De Biré, De Saint Prix, De Trémigon, De l’Archantel, Contesse d’Hector, Marquise de Langle, Baronne de la Porte-Vezin, Du Fretay, De Soulanges, Du Bossier, Janvry, Rhedon de Beaupréau, Le Provost, De Linois. Au regard des noms de famille des signataires, on peut constater que la noblesse bretonne et la noblesse française sont au même plan.

J’ai voulu savoir s’il existait un relevé nominatif des nobles pour la ville de Brest. Grâce à l’Annuaire des châteaux et des départements(72) paru en 1898 pour les années 1897-1898, j’ai pu établir les deux relevés suivants, le premier listant les nobles habitant à Brest ou ayant une résidence hors de la ville et une adresse brestoise, le second listant les résidences considérées comme châteaux, manoirs ou villa à Brest avec le nom de leur propriétaire.

La noblesse présente à Brest en 1897

La noblesse présente à Brest en 1897

Les résidences considérées comme châteaux, manoirs ou villas à Brest en 1897

Ces deux relevés nous renseignent sur deux points essentiels. Ils confirment, d’une part, qu’il existait bien une noblesse à Brest et, d’autre part, que les nobles issues de la noblesse bretonne étaient présents dans cette ville.

Un îlot linguistique ?

Si Brest était une ville fortifiée, ses murailles n’étaient pas hermétiques au Léon qui l’entourait. La porosité de ses remparts laissait pénétrer les moeurs, les coutumes et les croyances des bas-bretons. Le langage n’y faisait pas exception.

Nous avons vu qu’une noblesse bretonne était bien présente à Brest. Certains de ces nobles sont propriétaires d’une villa, d’un château en campagne ou sur le bord de mer (Plounéour-Trez, Porspoder, Le Faou, Pleyber-Christ, etc.) et d’un appartement en ville. Il ne fait aucun doute que ceux-ci ne sont pas ignorants des moeurs et coutumes basses-bretonnes. Ils ne pouvaient pas non plus être ignorants du langage parlé par les populations rurales, puisqu’ils avaient obligatoirement des liens avec eux, ne serait-ce que pour l’entretien de leurs propriétés.

De plus, lors de mes recherches aux différents services des archives (archives municipales et communautaires de Brest, archives de l’évêché de Quimper et du Léon, Service Historique de la Défense, archives départementales du Finistère), j’ai découvert des documents intéressants :

• une affiche rédigée en langue bretonne datée de 1793 et adressée à l’ensemble de la communauté commerçante de Brest,
• une affiche rédigée en langue bretonne concernant les élections législatives de 1862,
• divers documents traitant de l’instruction laïque et religieuse à Brest où il est question de l’utilisation de la langue bretonne – y compris dans la Marine,
• des oeuvres publiées en langue bretonne ou traitant de la langue bretonne, éditées et vendues à Brest,
• des articles publiés en breton dans un journal brestois
• différentes communications entre les paroisses brestoises et l’évêché de Quimper et du Léon concernant le souhait de messes en langue bretonne par les Brestois.

Cette liste, loin d’être exhaustive, a tendance à confirmer que la ville de Brest possédait, au XIXe siècle, une population bretonnante et qu’il est quelque peu excessif de la qualifier « d’îlot linguistique ». En effet, la municipalité et des paroisses brestoises ressentaient une nécessité de communiquer en breton avec les concitoyens ou paroissiens, la presse locale publiait des articles en langue bretonne, tout comme certaines œuvres éditées par les différentes maisons d’éditions de Brest. Tous ces différents documents seront analysés dans une seconde et une troisième partie.

De plus, Yves Le Gallo lui-même, après avoir défini la ville de Brest comme un îlot linguistique, modère ses propos en concluant qu’ « il n’en est pas moins vrai que, si la pratique de la langue bretonne demeure universelle dans les campagnes, courante à Recouvrance et dans les équipages, fréquente à Brest [rive gauche], le français, bénéficie, dans l’ensemble de cette ville de fonctionnaires et de salariés de l’État, du prestige qui s’attache à la langue des autorités, de l’administration et de la bourgeoisie.(73) » Cette théorie nous indique que si la langue bretonne était présente à Brest, le prolétariat en avait la pratique exclusive, le français étant réservé aux élites dirigeantes et à l’administration. Il est donc normal que l’on trouve une population bretonnante à Recouvrance, archétype du quartier prolétaire urbain du XIXe siècle.

D’ailleurs, le fait que Recouvrance serait un quartier majoritairement bretonnant est repris par plusieurs historiens ou écrivains brestois. Toutefois, mon précédent travail de recherche(74) nous a montré qu’il était impossible de quantifier cette population.

Nous allons voir, tout au long de ce travail de recherche, que concernant la dualité prolétariat bretonnant/administration francophone, la réalité est plus nuancée.

53 Y. Le Gallo, op. cit. p. 88. Il fait référence ici aux villes finistérienne de Morlaix, Quimper, Châteaulin et Quimperlé.
54 Y. Le Gallo, op. cit. p. 51
55 Noms fréquents dans les cartulaires de Redon, de Landévennec, de Sainte-Croix de Quimperlé, de l’église de Quimper.
56 Y. Le Gallo. op. cit. p. 56
57 Voir à ce sujet D. Bernard, La Révolution Française et la langue bretonne, Editeur inconnu, 1913.
58 G. Milin, Gwechall-goz e oa… marvailhou dastumet gant G. Milin, Edition de la revue « Buhez Breiz », Quimper, 1924.
59 Y. Le Gallo, op. cit. p. 296
60 Y. Le Gallo, op. cit. p. 297
61 Bulletin de la Société Académique de Brest, Tome XXVIII, Kaigre, Brest, 1903 (ouvrage non paginé). Sources : bibliothèque numérisée de l’université du Michigan.
62 Y. Le Gallo, op. cit. p. 266
63 Marie-Thérèse CLOÎTRE-QUERE, Brest et la mer, 1846-1874, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 1992, p. 45
64 D. De Proxy, Brest, Oberthur, Rennes, 1857, p. 114
65 Y. Le Gallo, op. cit. p. 247
66 Navire à voiles à deux mâts dont la misaine est gréée de voiles carrées et le grand mât d’une voile aurique surmontée d’une flèche (Larousse)
67 Service Historique de la Marine, cote 23/VII/1844
68 Voir H. Frotier de la Messelière, Filiations bretonnes, Keratry et Léon de Tréverret, J. Floch, Mayenne, 1965
69 Y. Le Gallo, op. cit. p. 290
70 Y. Le Gallo, op. cit. p. 295
71 Les Concitoyennes ou Arrêté des Dames, Samedi 24 janvier 1789, Bibliothèque Nationale de France, via Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k491069/f6.image.r=.langFR
72 Annuaire des Châteaux et des Département, 40 000 noms & adresses de tous les propriétaires des châteaux de France, manoirs, castels, villas, etc. A. La Fare éditeur, Paris, 1898. Source : Bibliothèque Nationale de France, via Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5774454s.image.langFR
73 Y. Le Gallo, op. cit. p. 45
74 C. Maréchal, L’influence du Pont Impérial sur les pratiques langagières à Recouvrance, mémoire de Master 1, copie disponible au Centre de Recherche Bretonne et Celtique

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