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1.2 Dimension sociale des textes

Non classé

Comme on l’a déjà dit à plusieurs reprises, le mouvement punk/hardcore ne se limite pas à une
certaine façon de faire de la musique, mais il englobe surtout la démarche artistique et donc le
message transmis via les textes des artistes. Mouvement contestataire par essence, certains
considéreront des groupes de rap aux paroles engagés plus punk qu’un groupe musicalement punk
mais avec des paroles apolitiques (comme les américains de Blink 182 par exemple).

Après avoir apprécié le corpus de texte au niveau lexical, intéressons nous ici cette fois à la
sémantique et au sens de ces textes.

Finalement, à quoi sert ce vocabulaire militaire et morbide ? Quel message est transmis à travers ces
mots forts ? En effet, il nous faut constater qu’une seule chanson parle ouvertement de guerre, « Sur
les sentiers de la Gloire » de Ludwig Von 88. Mais pas n’importe quelle guerre… une phrase nous
permet de situer l’action : « A Dien Bien Phu une pierre tombale ». Il s’agit donc du dernier
affrontement entre les forces coloniales françaises contre l’armée Viet Minh au printemps 1954 et
qui vit la France se retirer de la région après cette défaite.

Au delà donc d’une première apparence de violence gratuite derrière ces paroles, on trouve en fait la
dénonciation de l’empire colonial français et des guerres qu’il a engendrées. Cette chanson, sortie en
1985 soit plus de trente ans après cette bataille permet également d’informer de ce qu’a été la guerre
d’Indochine et la bataille de Dien Bien Phu, partie de notre histoire bien souvent absente des
programmes scolaires…

Le morceau suivant dans la chronologie, « SOS » de Bérurier Noir, part des visions d’un grand
blessé de guerre sur son lit d’hôpital pour s’ouvrir sur la violence des divers conflits mondiaux (on
peut d’ailleurs constater que 25 ans plus tard, la plupart de ces conflits sont toujours d’actualité :
Liban, Palestine, Afghanistan…). On a ici une vision plus humaine de la guerre, moins historique
que dans « Sur les sentiers de la gloire », mais dont le but est le même : dénoncer l’absurdité de ces
phénomènes.

La chanson « Chico » des Rats aborde le problème sous un angle similaire, en parlant d’un petit
garçon qui « vit la guerre au quotidien ». Cette fois l’action n’est pas située géographiquement, et
ces paroles visent à dénoncer deux autres aspects injustes de ce genre de situation : le profit des uns
(« eux ramassent les dollars ») et l’indifférence des autres (« On vous a montré sa misère/Devant la
caméra en direct/Pour une mort infecte/Servie à point dans votre assiette »).

Ce qui nous mène au deuxième thème principal du corpus : l’aliénation par la télévision. Dans leur
morceau, les Rats parlent de l’indifférence générale des gens dînant devant le journal télévisé du soir
face aux atrocités du monde.

Les Sheriff, dans « Jouer avec le feu », assument le fait qu’eux-mêmes sont parfois hypnotisés par la
télévision et du coup ne font rien d’autre (« J’adore/Dormir pendant la journée/Et regarder la
télé/C’est sûr c’est moins dangereux/Mais ça fait vivre plus vieux »), ce qui leur permet de « vivre
plus vieux » et donc de se fondre dans la masse. Masse que les Cadavres, eux, dépeignent comme
un troupeau de mouton, ou plutôt comme des fourmis (« Le train charrie les fourmis
travailleuses »), en parlant également de cette indifférence générale (« Radio fourre tout télé
immonde/Ne pas s’en faire, ainsi va le monde »). Indifférence aidée selon Tagada Jones par une
information biaisée et orientée :

«Qui va diffuser le premier
Scoop à la télé,
l’info est plombée,
Qui a censuré la vérité »
puis
«Obnubilé,
l’oeil rivé,
l’esprit focalisé
Sans réaction ni même d’intuition
Empaffé, il digère à fond l’information
Eh! Eh! il se lève de son canapé
Eh! sans une critique »

Il apparaît que l’esprit critique et le souci de l’actualité est un sujet récurent dans la chanson punk.
Selon ces artistes, il faut avoir conscience de ce qui se passe dans le monde et ne pas se contenter de
prendre les informations qu’on nous donne : il nous faut aller chercher nous-même l’information
juste. On note d’ailleurs qu’à aucun moment les paroles ne se veulent prescriptives (« faites comme
ceci, regardez ou écoutez cela »), elles se contentent de pointer du doigt des maux et de plaider
l’autodétermination.

En terme de diffusion du français, l’aspect socio-culturel est primordial, et cette apathie générale,
cette dénonciation du comportement des Français de la fin du vingtième siècle est totalement ancrée
dans son époque. On peut tout à fait imaginer revenir un jour sur ce genre de texte pour aborder le
comportement de l’Etat français et de ces citoyens à ce moment là de l’histoire. Ainsi Philippe
Coulangeon 2005 affirme que « Les productions culturelles sont en effet soumises à un cycle de vie.

Des mouvements inverses de banalisation et de réhabilitation culturelle déplacent périodiquement la
frontière qui sépare le domaine de la culture savante de celui de la culture populaire. Cette
dynamique temporelle entre de ce fait en composition avec une série de clivages générationnels. (..]

Outre l’exemple du jazz ou de la chanson française, dont certains textes (Brassens, Brel, Barbara,
Ferré) voisinent aujourd’hui avec les poèmes de Mallarmé ou de Villon dans les manuels de
l’enseignement secondaire, on peut constater qu’une grande partie de l’opéra italien, qui relève
aujourd’hui clairement du domaine de la musique savante, était considérée, dans la première moitié
du XIXe siècle, comme partie prenante de la culture populaire [Di Maggio, 1982]. »

Loin de nous l’idée de considérer l’oeuvre de Metal Urbain ou de Ludwig Von 88 comme de l’opéra,
mais si le bassiste d’Heyoka pense que « François et les Bérus ont été les textes les plus concis qui
frappaient le plus l’esprit des gens, c’est vraiment quelque chose de terrible. Je pense que les Bérus
ont été une chance. Il y en a eu d’autres comme Brel que j’adore ou Haine Brigade, je pense que
dans 50 ans les gens les écouteront encore. », peut être peut-on considérer ces textes, si proches du
quotidien d’une certaine frange de la population, comme des témoignages uniques, véritables et
poétiques d’une époque (fin du XXe et début du XXIe siècle) et d’un pays (la France), grâce à leurs
paroles en français.

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