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1.1.14 L’ingérence au nom de la démocratie

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Le troisième point, et non le moindre, commun aux interventions en Côte d‘Ivoire et en Libye, est les ingérences se font au nom de la démocratie. En Libye, c‘est l‘absence de démocratie, en Côte d‘Ivoire c‘est le non-respect du résultat du suffrage populaire, qui en a été les justifications.

On pourrait penser que c‘est un progrès si l‘ingérence se réclame désormais de la défense de la démocratie. Certes, dans un certain sens, et c‘est déjà le signe d‘un changement d‘époque. En effet, les interventions militaires se faisaient naguère pour sauver des régimes dictatoriaux et corrompus en Afrique. Par exemple, les interventions françaises au Gabon en 1964, au Zaïre, pour sauver le dictateur Mobutu en 1978 et 1996, au Tchad en 1983 etc.

Mais à y regarder de près, on peut se demander si ce n‘est pas seulement une opération visant à mieux vendre le même produit. Ouattara est désormais pour toujours un président installé par l‘étranger, et qui plus est par l‘ancienne (et toujours présente) puissance coloniale. Les insurgés libyens ne pourront jamais légitimer leur recours à l‘étranger par l‘objectif atteint du renversement de Kadhafi. Laurent Désiré Kabila, installé par le Rwanda et l‘Ouganda après le renversement du Président Mobutu , s‘est vu tué après qu‘il avait tenté de se dissocié de ces anciens alliés et se pencher sur l‘Angola et le Zimbabwe. On ne fait pas faire sa révolution par les autres ! Dans tous les cas, ceux qui auront eu recours à de tels moyens, n‘auront donné au mieux à eux et à leurs peuples que de nouveaux maitres.

Ceci rappelle l‘illusion, au début du 20ème siècle, d‘une certaine bourgeoisie arabe éclairée au Moyen Orient, fascinée par l‘Occident, qui croyait que celui-ci allait la libérer de la domination turque et lui apporter la démocratie. On sait ce qu‘il en advint. De même, aujourd‘hui, aussi bien au Machrek qu‘au Maghreb, qu‘en Afrique, ceux qui attendent de l‘intervention militaire occidentale, qu‘elle leur apporte la démocratie, ressemblent comme une goutte d‘eau, par une sorte de filiation historique, à ceux qui attendaient du colonialisme la modernité et la civilisation. On ne peut dominer une société sans avoir des relais en son sein. Ceux qui avaient servi de relais au colonialisme y voyaient des aspects positifs, leur descendance, génétique ou spirituelle, voient aujourd‘hui dans l‘ingérence étrangère des aspects positifs pour la démocratie.

Au fond, l‘histoire se répète toujours et en même temps ne se répète jamais, car on retrouve à chaque fois les mêmes questions mais dans un contexte toujours différent. Les rapports entre la question de la démocratie et la question nationale ont toujours été étroits. En 1789, en France, l‘idée de la démocratie a été inséparable de celle de la nation. En Algérie, pendant longtemps le mouvement national a cru qu‘il pourrait obtenir l‘indépendance pacifiquement, par la démocratie. C‘est en fait, la France qui a créé, en Algérie, la méthode de manipulation du résultat des urnes, avec ce qu‘on a appelé les élections à la Naegelen (socialiste français, gouverneur de l‘Algérie de 1948 à 1951, resté célèbre pour son organisation de la fraude électorale massive). Peu après éclatait la révolution armée et la démocratie a été sacrifiée aux nécessités de la libération nationale. C‘est peut-être là l‘une des raisons de la sous-estimation de la démocratie au profit du nationalisme longtemps après l‘indépendance.

L‘Histoire donc se répète dans le sens ou aujourd‘hui l‘ingérence étrangère, loin de faciliter la transition démocratique au contraire la bloque, en obligeant les peuples agressés à mobiliser leurs forces pour obtenir ou défendre en priorité leur indépendance. Peut-être est-ce là le but des ingérences et des interventions militaires, celui d‘empêcher une véritable démocratie.

On en vient ainsi à une question particulièrement intéressante, qui mériterait réflexion. Comment s‘est diffusée la démocratie dans les nations européennes. Pourquoi les nations européennes, à part la tentative d‘exporter la révolution française par Napoléon qui s‘est soldé par un désastre, n‘ont-elles jamais connu depuis de situation où une force étrangère vient régler par les armes un conflit concernant l‘application des règles de la démocratie. Pourtant ces conflits sont inhérents à la vie démocratique. Il n‘y a pas si longtemps, par exemple, lors de sa première élection, le président Georges. W. Bush a, c‘est connu, été « très mal » élu. Pourtant tout le monde aux États unis a accepté la décision de la Cour suprême.

La cohésion nationale a été jugée par tous plus importante que le différend autour du résultat des élections. Pourquoi la décision de la Cour constitutionnelle, en faveur de Gbagbo en Côte d‘Ivoire n‘aurait-elle pas dû avoir la même autorité. Certes, on peut douter, et à raison, de son impartialité. Mais Gbagbo, de son côté, pouvait estimer lui aussi à juste titre, que la présence des forces françaises faussait le résultat des élections et que l‘ONU et la France était à la fois juges et parties. Que ce soit sous la forme du soutien apporté aux régimes antidémocratiques et corrompus, ou de l‘intervention militaire au nom de la démocratie, l‘ingérence occidentale peut être légitimement soupçonnée de viser depuis toujours les mêmes buts, puisqu‘elle aboutit au même résultat : celui de paralyser les capacités internes de chaque société à régler ses conflits et donc de les exacerber suivant le vieux principe de « diviser pour régner ».

À la fin des années 1980, en même temps que basculait le rapport de forces dans le monde au profit des principales puissances occidentales, le « droit d‟ingérence » a été brandi comme un devoir des nations les plus fortes. Atténué au départ par le mot « humanitaire », il a fini par produire « des bombardements humanitaires ». Qualifié au départ de « devoir d‘ingérence », il est devenu peu à peu, par glissement successifs, un « droit d‘ingérence » tout court avec comme mission nouvelle d‘exporter la démocratie. Le bilan de ce droit d‘ingérence est très lourd en termes de souffrances pour les peuples et de tensions internationales. Les faits sont là : il n‘a été qu‘un instrument pour servir des desseins de domination. Il n‘a nulle part aidé à la démocratie, aussi bien au niveau des rapports internationaux qu‘au niveau national.

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