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10-4 Des pratiques en manque de relais

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Il apparaît que, bien que fortement segmenté, le groupe professionnel des CPIP pratiquent, quelque soient les mesures pries en charge, deux types d’actions.
Ainsi, l’aide à la décision judiciaire par l’évaluation d’une situation globale dans le cadre de la prévention de la récidive et le suivi des mesures de justices décidées par les magistrats mandants qui constituent autant de professionnalités.

En France, la notion de professionnalité est utilisée, au milieu des années quatre-vingts, dans un contexte socio-économique et organisationnel en mutation.
La professionnalité se définit comme « la capacité à mettre en oeuvre une expertise complexe encadrée par un système de références normatives sinon axiologique » [ABALLEA, BRAEMS, 2002]. Elle est « porteuse des interrogations sur la qualification, sur les transformations des modèles d’organisation productive et de relations professionnelles et sur les professions ». [PAGNANI, 2009]. Cette professionnalité s’appuie sur des connaissances situées, d’une part et théoriques, d’autre part :

F, 40 ans, CPIP, 9 ans d’ancienneté

: « Faut quand même que tu saches un minimum écrire, que tu saches un minimum réfléchir, que tu aies un minimum de connaissances, au niveau juridique, au niveau sociologique et au niveau psychologique ; voilà, en gros pour moi, c’est ça, et puis après il faut apprendre à mener un entretien, parce que c’est pas évident, travailler sur les écrits, parce que c’est important, parce que les magistrats se plaignent des écrits, ils attendent que les écrits soient clairs, professionnels, pas subjectifs, pas dans les truc, psychologiques, un truc précis clair, une aide à la décision judiciaire, vraiment, et je pense qu’on peut pas acquérir ces compétences comme ça ».

Dans le processus de professionnalisation, les travailleurs jouent un rôle essentiel dans la construction de leur activité et de la reconnaissance sociale de leur métier, au travers des organisations dont ils se dotent. Ainsi, l’émergence de représentants institutionnels d’un corps de professionnels, comme interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics, représente un indicateur de professionnalisation du secteur considéré. En effet, « la force de l’identité collective se repère, pour un métier, à la puissance corporative » [ZARCA, 1988, p247].

Les principaux syndicats, l’UGSP-CGT Pénitentiaire et le SNEPAP-FSU, relaient, de manière très différente, l’aide à la décision judiciaire et le suivi des mesures de justice, professionnalité stabilisée, depuis 1958, avec la création des juges de l’Application des Peines.

L’accent est porté sur l’identité professionnelle de travailleurs sociaux par l’UGSP-CGT, avec une volonté de création d’un diplôme d’État et d’une reconnaissance des CPIP comme travailleur social. Cette logique de la qualification valorise les titres, les connaissances formelles (codifiées et transmissibles), la revendication d’autonomie et les distinctions statutaires.

H, 31 ans, CPIP, UGSP-CGT, 4 ans d’ancienneté

: « Quelque chose qui semblait encore fédérateur et qui est battu en brèche par l’administration pénitentiaire, c’est l’identité de travailleur social, qui pouvait faire sens autour d’une acception large mais porteuse de sens de nos missions et de notre identité professionnelle ; le problème, c’est que l’administration pénitentiaire n’a pas cultivé cette identité-là ; bien au contraire, elle a été à rebours de cette identité, elle n’a laissé aucune place, hors champs syndical, aux professionnels pour construire, pour trouver des espaces, pour réfléchir sur leurs identités ; et c’est ça qui est compliqué, c’est-à-dire que l’administration pénitentiaire, l’évolution réglementaire, l’évolution des textes qui concernent notre existence a, elle, clairement marqué un évolution par rapport à nos missions ; au départ effectivement, les éducateurs, on sait bien à quoi ça correspond, éducateur de prison, c’est quelque chose qui est plus facilement identifiable en terme d’identité, en tout cas on peut le supposer et puis on va basculer vers CPIP qui n’a pas de référence ».

F, 46 ans, Assistante de service social, 22 ans d’ancienneté

: « Les CIP dans l’institution pénitentiaire, les CIP, c’est un peu faire le tampon, c’est un peu la même chose, c’est un peu faire le tampon entre le tribunal, entre la norme que représente le tribunal, ça permet de formaliser et d’expliquer, de formaliser et de défendre la situation des gens pour leur permettre que la sanction judiciaire soit la mieux vécue possible, la moins dure possible, toujours dans une idée de régulation sociale, mais c’est aussi, donc, finalement aussi, évidemment, et bien on est là pour faire du contrôle de mesures judiciaires, et on est là pour de l’accompagnement socio-éducatif ».

La notion de responsabilité face à la personne, de travail sur le passage à l’acte chez les délinquants, et de déontologie professionnelle, est mise en avant par le SNEPAP-FSU. Cette logique de la compétence valorise, elle, l’expérience, l’apprentissage « sur le tas » et une reconnaissance interne et externe par des connaissances en criminologie :

F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans d’ancienneté

: « C’est l’idée, bien évidemment, de dire qu’il n’y a pas de travail éducatif avec la personne sans rentrer en contact avec elle, donc, avoir une certaine déontologie, une certaine capacité d’écoute, une certaine façon d’envisager les entretiens en rapport avec le non jugement, même une capacité compassionnelle, vraiment une capacité de se mettre à la place de l’autre pour être vraiment en capacité de rentrer en contact avec lui ; et vraiment d’essayer d’envisager avec elle les possibilités de changer ces comportements par rapport à cette norme qui est la loi ».

H, 35 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « Il faut penser qu’on va mettre un avis qui va, si le juge l’accepte, potentiellement assigner la personne à résidence ; donc, ce qu’on est tenu de savoir faire, c’est est-ce que le climat au domicile est compatible avec cette assignation ? C’est la base de la base du début, c’est le coeur essentiel de la mesure ».

Ces deux logiques segmentent en profondeur tous les corps intermédiaires de la fonction publique où se côtoient ceux pour qui « le titre initial constitue la référence identitaire principale » et ceux pour qui « les expériences et apprentissages en cours de carrière constituent les ressources identitaires essentielles » [DUBAR, TRIPIER, 2005, p161].

Au-delà du contenu propre de la formation initiale des CPIP, qui ne sera pas analysé en propre ici, il semble donc que la transmission d’un éthos professionnel commun soit altérée par la diversité des expériences de formation et par la diversité des motivations initiales à exercer le métier. Cette première ligne de tension est construite elle-même sur une autre ligne d’opposition plus ancienne, entre les agents se réclamant du travail social et ceux se définissant autrement. Le corporatisme des CIP ne peut se construire sans une segmentation très forte, plus portée sur la dimension symbolique de l’exercice du métier et sur l’identité professionnelle, que sur la défense de professionnalités stabilisées et reconnues par tous comme l’aide à la décision judiciaire, pleinement inscrite dans le mandat de ce groupe professionnel.

Ainsi, « Parler de la professionnalité, c’est d’une certaine façon, mettre en évidence ce processus de déprofessionnalisation des professions établies et de professionnalisation d’un certain nombre d’activités salariées ou encore d’atteinte au statut et à l’autonomie des quasi-professions » [JOBERT, 1987]. Ces mouvements entre Assistant(e)s de Service Social, surveillants et CPIP, au sein des SPIP, mériteraient une étude approfondie.

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