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10-2 Quatre modes de socialisation professionnelle depuis 2001

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La formation initiale des CPIP se déroule à l’ÉNAP(45) à Agen depuis 2000. Auparavant, la formation se déroulait à Fleury-Mérogis pour les éducateurs de l’Administration pénitentiaire et les délégués à la probation.

Les promotions de CIP ont connu quatre modes de socialisation professionnelle depuis 2001.

En effet, le principe de l’alternance, entre un ou plusieurs lieux de stages et l’ÉNAP, a été abandonné à partir de la douzième promotion de CIP. Auparavant, un CIP stagiaire était affecté sur plusieurs lieux de stages différents (milieu ouvert et milieu fermé), en alternance avec des cycles de trois semaines à l’ÉNAP (CIP1 à CIP 8). Un lieu de stage unique a été proposé sur les deux ans de formation pour de la huitième promotion de CIP à la dixième.

Nous entendons socialisation professionnelle comme « la manière dont les groupes professionnels se transforment suite à l’arrivée de nouvelles recrues et, réciproquement, sur la façon dont ces dernières s’engagent dans un processus subjectif d’adaptation à leur nouvel univers de travail » [MALOCHET, 2005, p23] ou comme « le processus par lequel on devient membre d’un métier et plus généralement d’un groupe professionnel » [BENGUIGUI, GUILBAUD, MALOCHET, 2008, p7].
Les CIP de la onzième et douzième promotion ont été affectés sur un lieu unique de stage pendant les deux années de formation. Sur la base des notes obtenues lors de la validation des contrôles continus et des notes de stages, un classement final était constitué, permettant la titularisation des CIP sur le lieu de leur choix, selon leur classement.

A compter de la CIP 12 et jusqu’à la quinzième promotion de CIP, le principe de la pré-affectation a été mis en place. Il s’agit d’affecter en stage de deuxième année un CIP sur le lieu de sa future titularisation, avec une alternance de cours, très réduite à 15 jours par an, à l’ÉNAP. Cette modalité de socialisation professionnelle a été fortement critiquée et serait abandonnée pour la seizième promotion sans que nous ayons confirmation de cette information.

H, 31 ans, CPIP, UGSP-CGT, 4 ans d’ancienneté

: « C’est surtout ça qui est important, la transmission, qui est aujourd’hui beaucoup plus difficile et abâtardie puisque, de fait, la première année, c’est quasiment que de la théorie et la deuxième année, le stagiaire se trouve en position de titulaire, quasi immédiatement, beaucoup moins en position d’apprentissage finalement ; et la finalité, c’est plus apprendre, mais prendre vite des dossiers et puis si possible, le plus rapidement possible, on est dans des attentes productivistes vachement plus importantes qu’auparavant où on était dans un système d’apprentissage qui devait nous amener à pouvoir ensuite prendre des dossiers ».

F, 39 ans, CPIP, 12 ans d’ancienneté

: « Quand j’étais à l’ÉNAP, ben moi, j’ai bien aimé, je dois bien être la seule ; mais la première année à l’ÉNAP, on avait beaucoup de cours théoriques et puis beaucoup de stages à l’extérieur : 7 ou 8 stages en extérieur, par exemple au Conseil Général, assez intense, puis après, plusieurs stages dans plein de lieux différents ; et en deuxième année, un lieu d’affectation, où on était mi-milieu fermé mi-milieu ouvert, on avait un mémoire et un projet d’action collective à mettre en place, on m’a jamais parlé des PPR. Il y avait de la sociologie, de la psychiatrie, de la psychologie. Moi, je comprends pas cette histoire de pré-titularisation ».

Ainsi, une personne issue de la troisième promotion des CIP, aura effectué deux ans en alternance sur trois types d’établissements pénitentiaires différents. Un CIP de la dixième promotion aura connu un seul lieu de stage en deux ans de formation, avec une mixité, milieu ouvert – milieu fermée, assurée.
Un CIP issu de la onzième promotion n’aura connu que deux lieux de stages, sur deux ans en alternance :

F, 29 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « La version que j’avais de la formation, c’était deux années de formation en alternance entre les cours à l’ÉNAP et les lieux de stage ; donc, moi, la formation que j’ai eue n’est plus similaire à celle qu’il y a aujourd’hui, donc, pour ce système de deux ans en réelle alternance : en général trois semaines à l’ÉNAP et un mois et demi en stage, je trouvais ça très positif, même si c’était long et l’ÉNAP, loin, de pouvoir voir comment ça se passe sur le terrain et de pouvoir échanger avec les autres stagiaires, de pouvoir parler des difficultés qu’on pouvait rencontrer ».

Enfin, un CIP, issu de la douzième promotion, ne connaîtra qu’un seul lieu de stage sans alternance, milieu fermé – milieu ouvert, et avec une quinzaine de jours de retour de pratiques entre pairs. Ces espaces d’échanges pendant la formation ont donc été fortement réduits entre 2006 et 2011, et la culture de la mixité, milieu ouvert – milieu fermé, s’est aussi érodée. Cela n’est pas sans conséquence sur la transmission des valeurs propres au groupe professionnel des CPIP et crée des différences générationnelles au sein de personnes d’âges similaires mais ayant connu un mode de socialisation professionnelle différent :

H, 31 ans, CPIP, UGSP-CGT, 4 ans d’ancienneté

: « Ça a abouti à des choses bizarres, parce que l’intérêt qui était reconnu d’un système de formation comme auparavant, c’était l’acquisition d’une culture professionnelle qui s’acquérait justement avec ce mécanisme d’acquisition théoriques d’enseignement sur le site de l’ÉNAP : deux stages en établissements en service pénitentiaire d’insertion et de probation en fonction des années ; parfois c’était sur plusieurs sites différents. Il fut un temps où il y avait un stage en maison centrale, un stage en établissement pour peine et un stage en maison d’arrêt et un stage en milieu ouvert, donc, ça, ça s’est perdu…et permettre ainsi d’avoir un retour, un apprentissage d’une culture professionnelle, parce que c’est pas simplement une accumulation de gestes professionnels, de savoirs théoriques, de données techniques sur les aménagements de peine et leurs délais, c’est aussi, à un moment donné, partager une identité professionnelle commune, partager une manière de travailler mais aussi une façon d’envisager le métier, une certaine conception de notre place, de nôtre rôle et de notre positionnement par rapport à la personne ».

Le contenu même de la formation privilégie les cours de droit de l’exécution des peines, les règles pénitentiaires européennes, l’histoire de l’Administration Pénitentiaire et laisse à des intervenants extérieurs les cours relatifs aux techniques d’entretiens et au partenariat institutionnel avec les structures du social, cela sous la forme d’introductions générales :

F, 39 ans, CPIP, 12 ans d’ancienneté

: « Mais les cours que j’ai eus à l’ÉNAP, concrètement, ne m’ont pas apporté grand chose, pas de formation dans le champ social, très peu de formation en psychologie, en psychopathologie ni même en criminologie ; on a eu de toutes petites introductions qui étaient très intéressantes mais qui auraient pu être développées, donc, la formation théorique à l’ÉNAP, il y aurait beaucoup de choses à améliorer ».

H, 35 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « Depuis que je suis titulaire et que je vois les autres personnes en stage, je me rends compte que c’est exactement pareil, voir pire. Je sais pas, c’est comme s’il y avait une volonté de réduire notre métier ; quand même, j’ai l’impression, c’est ce que je disais tout à l’heure, que la formation m’avait permis certaines choses parce qu’on avait tout un tas de cours connexes : ça nous permettait, au fur et à mesure de la pratique, de les relier, de les remettre tous ensemble et d’améliorer notre pratique professionnelle, et tous ces fameux cours connexes, là, ont tendance à disparaître, la formation a tendance à se réduire, autour des lois, des articles du code pénal, tout ce qui est juridique ».

Il ressortait déjà, en 2006, que le mode de recrutement des CIP favorisait les profils de juristes au détriment des profils issus des sciences sociales :
« Depuis la création du corps des CIP, le mode de recrutement a favorisé le nombre de candidats de formation juridique, d’une part au travers d’une culture universitaire favorisant le recours et l’accès aux concours de la fonction publique, d’autre part du fait que les deux administrations – le Ministère de la Justice et l’Administration pénitentiaire – attirent les juristes de formation.

– Un temps de formation juridique très important à l’ENAP venant renforcer la culture universitaire des juristes (notamment sur l’exécution des peines) et, en corollaire, la moindre formation en « travail social » tel que défini par les IRTS.

– Les nombreuses réformes de ces dernières années, en particulier celles ayant pour conséquences une augmentation très sensible du nombre d’alternatives à l’incarcération et le suivi des personnes concernées, renforçant ainsi les activités de contrôle et de probation ». [LHUILLIER, 2006, p91].

Un processus similaire existe chez les surveillants, « la fusion des deux pôles – sciences humaines et droit -, intervenue fin 2002, s’est soldée par la disparition presque totale des enseignements de sciences humaines et un maintien du volume horaire total par le gonflement des cours consacrés à l’« insertion ». De tout cela, se dégage le constat que la dimension sécuritaire a progressivement fait pièce aux orientations initiales en matière de formation ». [MALOCHET, 2007, p105].

Aucun des axes majeurs de la Loi pénitentiaire de 2009, à savoir les aménagements de peine et les programmes de prévention de la récidive, ne fait l’objet d’enseignements spécifiques et les premières sessions de formation sur l’animation de groupe de parole n’apparaissent qu’en janvier 2009.

Il est déjà reproché, en 2004/2005, à la formation initiale des CIP, des manques concernant surtout « les droits sociaux, les actions partenariales, les techniques d’entretien, la criminologie, la psychopathologie » [LHUILLIER, 2006, p25].

Cette appréhension, plutôt négative, de la formation initiale est une constante chez les personnes interrogées mais ne constitue pas un obstacle à l’acquisition ultérieure d’un véritable professionnalisme par la pratique en tant que jeune titulaire, étayage qui s’effectue couramment.

F, 33 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « C’est ce que j’ai dit tout à l’heure, je trouve qu’il y a trop de décalage entre ce qu’on apprend et le travail sur le terrain ; on apprend plein de choses, mais on apprend pas l’essentiel quoi finalement : par exemple, on a pas de cours sur les aménagements de peine, sur les mesures concrètes, non, c’est pas assez concret ; j’ai appris sur le terrain, mais avec le recul, j’ai l’impression de ne pas avoir appris quoique ce soit, je suis peut être un peu dure, mais, j’ai l’impression de pas en avoir appris grand chose. Et puis j’ai trouvé que c’est un peu long, c’était deux ans à l’époque où je l’ai fait, ça nécessitait pas deux ans, moi je trouve ».

C’est, selon nous, la transmission de valeurs professionnelles et de perceptions partagées du rôle d’un CPIP qui se trouve altérée par ces modes différents de socialisation professionnelle.

La construction de l’identité professionnelle semble s’effectuer de manière individuelle et non collective :

F, 34 ans, CPIP, SNEPAP-FSU, 8 ans d’ancienneté

: « C’est qu’on est pas confronté, en arrivant à l’école, à une professionnalisation qui est que, c’est pas ce qu’on pensait mais on devient ! Pour moi, la question des missions des CIP n’est pas très claire ; déjà, c’est difficile de savoir comment former les gens si on connaît pas leur boulot, j’exagère un peu mais je pense que l’idée de préciser quelles sont les missions du CIP, et à l’intérieur du SPIP, quelles sont les missions des CIP, ça permet de déterminer davantage, sur quel statut professionnel il est, de quelles compétences il a besoin, donc d’organiser une formation en fonction de ça et quelque part on arrive avec une idée de ce que peut être le métier et on endosse un costume, on devient CIP, on n’est pas CIP : on le devient, alors qu’actuellement on se le crée individuellement, ce costume ».

F, 42 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté

: « Je trouve que la formation est telle que l’on repart chacun avec des bribes de choses, et qu’on construit chacun dans son coin, en s’appuyant sur ses référents de stage, sur des lectures et sur quelques cours ; et chacun, et c’est pour ça qu’il n’y a pas d’homogénéité du tout, à mon sens, chacun construit son métier et son identité alors qu’on a une formation commune dans une même école : y en pas trois écoles, alors qu’il serait assez aisé que le temps de la formation puisse permettre de construire ce fond commun sur lequel on appuie nos pratiques ».

Sur le chemin de la professionnalisation, l’enjeu culturel de transmissions de « formes historiques d’accomplissement de soi, des cadres d’identification subjective et d’expression de valeurs d’ordre éthique ayant des significations culturelles » [PAGANINI, 2009] est très partiellement rempli.

Il existe, de surcroît, une multiplicité de cadres d’exercices entre le milieu ouvert et le milieu fermé, les grandes équipes structurées en pôle spécialisés, mesure par mesure, et les petits services sur le territoire français de moins de 10 CIP. Cela ne contribue pas à l’unité du groupe professionnel, au-delà de la socialisation professionnelle initiale, vécue de manière individuelle dans la transmission des savoirs.

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