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1. Une logique de contrôle des tribunes pour pacifier le stade et ses abords

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Comme le notent les sociologues ayant rédigé le Livre vert du supportérisme (remis en octobre 2010 au secrétariat d’Etat aux sports), « la gestion du supportérisme en France consiste essentiellement en la volonté d’éradiquer la violence du football en chassant les hooligans hors des stades »(40). Le club de la capitale n’a pas échappé à cette politique. En effet, depuis la mise en place du plan « Tous PSG », la sécurité au Parc des Princes a été largement renforcée. « Il y a beaucoup plus de sécurité, on paye la police à chaque match et donc ce budget ainsi que celui pour les stadiers a augmenté »(41), déclare ainsi Stéphanie Bourhis, responsable du département supporter du club. La sécurisation de l’enceinte sportive, selon les principes de la prévention situationnelle, existe déjà depuis les années 1990 : vidéosurveillance très développée et installation d’un poste central de commandement, sectorisation et donc cloisonnement des tribunes, mise en place de hachoirs et de tourniquets pour contrôler les flux d’entrée, etc. Cet important dispositif tend à se déployer dans un périmètre toujours plus grand de telle sorte qu’il agit désormais sur la quasi-totalité de l’activité du supporter.

Ainsi, les soirs de match, le dispositif de sécurité se déploie bien avant l’entrée dans le stade, comme l’explique Stéphanie Bourhis : « il y a un périmètre de sécurité tout autour du stade, on ne peut pas y accéder si on n’a pas de billet, il y a des barrages au niveau des rues autour du stade, tenus par la police et des stadiers, ils vérifient que les gens qui s’y présentent ont bien un billet qui correspond à la tribune ». Autrement dit, en achetant un billet pour le virage Auteuil à la billetterie, il faut pour s’y rendre faire un large détour car on ne peut donc pas passer dans le périmètre de sécurité des autres tribunes (virages et latérales). Ce dispositif a été mis en place afin de « limiter les rencontres de supporters, et éviter ce qui s’est passé le jour du PSG-Marseille de l’année dernière », ajoute Stéphanie Bourhis. La circulation piétonne autour du stade est donc fortement limitée : le dispositif de sécurité dicte ses contraintes.

Depuis la mort de Yann Lorence en mars 2010, les pouvoirs publics se sont donné pour objectif de mettre un terme à « l’hooliganisme parisien ». Cette volonté s’est notamment traduite par des interpellations massives près du Parc et de nombreuses interdictions administratives de stade (IAS), plus de deux mille quatre cents distribuées en France depuis leur mise en place en 2006. Dans les semaines qui ont suivi le drame, les préfets ont pu prendre des arrêtés – avec un couvre-feu – interdisant à tout supporter parisien de circuler près des stades dans lesquels jouait le PSG. Ce fut particulièrement le cas à Caen lors de la demi-finale de coupe de France opposant le club amateur de l’US Quevilly à l’équipe de la capitale. Depuis le début de la saison 2010-2011, les déplacements des supporters lors des rencontres jouées à l’extérieur sont par ailleurs rigoureusement encadrés : ne sont ainsi admis que les supporters se déplaçant officiellement avec le convoi organisé par le PSG. Ceux-là sont accusés de trahison et surnommés « les Leproux’s Boys » par les supporters contestant ces mesures. Des policiers et des agents des renseignements généraux (qu’on appelle aujourd’hui les STIG) repèrent les fans dans les gares, aux péages, dans les aéroports, en France comme à l’étranger (lors des déplacements en coupe d’Europe), pour les dissuader de se rendre au match. « Nous avons des obligations d’ordre public, explique ainsi Michel Bart, directeur de cabinet du ministre de l’intérieur Brice Hortefeux (tous deux ont quitté leurs fonctions à l’heure actuelle). Nous avons l’air répressifs, mais nous ne sommes pas là pour laisser les gens s’entre-tuer » (42). Le contrôle des déplacements des supporters apparaît donc particulièrement serré et leurs activités toujours sous surveillance étroite.

Le principe d’un placement aléatoire dans les virages et quarts de virage du Parc des Princes a été instauré là aussi pour satisfaire cet objectif de contrôle. Cette mesure permet d’individualiser la venue au stade du supporter et son placement dans les tribunes, en empêchant très fortement (ou en les compliquant sensiblement) les regroupements collectifs. Ben, de la brigade Paris, déclare : « Ça empêche tout rassemblement ! Voilà la vraie motivation du plan Leproux : la fin des associations, afin qu’elles ne communiquent plus »(43).

Loïc, 32 ans, ancien abonné de la tribune Auteuil, est lui aussi de cet avis : « Très clairement, c’est “diviser pour mieux régner”, c’est très classique comme procédé. On va vers ce principe, le but c’est d’avoir des groupes de 3 ou 4 personnes qui viennent de temps en temps, qui achètent des produits dérivés, qui sont prêts à payer plus cher leurs places et qui viendront si le climat de sécurité est là »(44). Le club ne s’en cache pas non plus d’ailleurs : « L’objectif principal, c’est la sécurité, éviter les problèmes qu’on a rencontrés l’année dernière, et donc faire qu’il y ait moins de groupes dans les tribunes », déclare Stéphanie Bourhis. Du fait de ce placement aléatoire, toutes les associations présentes dans les virages sont concernées par le plan Leproux. Niant la diversité des tendances et des positionnements dans l’univers du supportérisme parisien, le PSG n’a pas fait aucune distinction entre les différents supporters, qu’ils aient fait preuve de violence ou non dans le passé. Ainsi toutes les associations se sont retrouvées mises sur le même plan : « Le groupe des Lutece Falco, par exemple, qui n’a rien à voir avec les incidents, a été pénalisé et s’est auto dissout parce qu’il ne cautionnait pas le plan », déplore Loïc.

Selon Antoine Lech, sociologue et auteur d’une thèse sur le supportérisme, « SOS racisme encourage l’individualisation, car il dénonce des groupes qui ne font rien, il stigmatise les supporters, font des statistiques d’insultes grotesques ». Et cette individualisation n’est pas sans conséquences, « Le plan a détruit la fraternité, les pulsions de vie de la communauté du Parc des Princes », constate-t-il. Ainsi les groupes d’amis qui avaient l’habitude d’aller au stade ensemble ne se regroupent plus, ils ont perdu cette habitude.

Désormais, si l’on veut assister à un match du PSG au Parc des Princes dans un des virages ou quarts de virage, il faut obligatoirement détenir la carte « Tous PSG ». Cette dernière est nominative. Pour l’obtenir, il faut se rendre à l’espace service du Parc des princes muni de sa pièce d’identité. Une photographie est prise à cette occasion. Il est stipulé que « le titulaire de la présente carte déclare avoir pris connaissance des Conditions Générales de Vente de la Billetterie et les accepter. Cette carte est strictement personnelle ». Notons cependant qu’à aucun moment le vendeur ne nous a parlé de ces conditions lorsque nous avons retiré la nôtre pour le match PSG-Toulouse, Lorsqu’un client achète une place en virages, il peut se voir attribuer aléatoirement une place en tribune Boulogne ou en tribune Auteuil. Lorsqu’il achète une place en quart de virages, il est placé aléatoirement dans les secteurs A, G ou K. En plus de ce placement aléatoire, l’abonnement est limité à cinq personnes, autrement dit, seul les groupes de cinq personnes ou moins peuvent prendre un abonnement ensemble dans ces tribunes. Il est difficile dans ce cas pour les supporters, les membres d’une association, de se regrouper dans le stade. C’est là la volonté du club.

Nous l’avons vu précédemment, désormais, pour qu’une association de supporter soit officiellement reconnue par le club et donc pour qu’elle puisse exister dans les tribunes, elle doit signer une charte nommée « 12e homme » qui les enjoint à ne pas dépasser les cent membres (en donnant nom, adresse et copie de la pièce d’identité de chacun des membres à la direction du club) et à « bannir dans leurs expressions/actions publiques tout message injurieux contre le club et toute action causant un préjudice au club ». À ce jour, trois associations ont signé cette charte, les Hoolicool, les Titifosi et les Viking. Situées en tribunes latérales, ces associations (dites officielles car cherchant à construire un rapport plutôt consensuel et bienveillant avec le club) existaient déjà bien avant la mise en place du plan Leproux en 2010. « Nous espérons désormais qu’un maximum d’associations nous rejoindront, expliquent en choeur les présidents des Titifosi et des Viking. Nous avons signé cette Charte 12e Homme dont les grandes lignes sont déjà présentes dans nos statuts. Cela nous semblait donc parfaitement légitime. Nous nous réjouissons du retour au Parc des Princes de nos membres », concluent-ils(45). Cette signature permet à ces trois groupes de supporters d’être officiellement reconnus par le club et d’avoir une activité associative lors des matchs du PSG. La Charte comme la procédure d’achat des abonnements et des places (via la carte) permettent donc au club de contrôler plus efficacement ses supporters. Il sait exactement qui est placé à tel endroit dans le stade, et en cas de problèmes, peut donc trouver facilement le fauteur de troubles.

A ce jour, le plan « Tous PSG » semble efficace, aucun incident n’ayant été déploré depuis l’ouverture de la saison 2010-2011 du championnat de France. Loïc fait ce constat : « Oui c’est efficace. Quand tu vires 13 000 personnes d’un stade, il y a moins de foule, moins de phénomène de groupe donc forcément il y a moins d’incidents ». Selon Antoine Lech, « le plan maintient l’ordre public, mais n’a pas déraciné le problème ». Processus classique, souvent relevé par les chercheurs travaillant sur le hooliganisme, la violence aurait-elle juste été déplacée en dehors du stade, la situation étant certes sous contrôle dans l’enceinte mais l’étant nettement moins en dehors de cet espace clos ? Patrick Mignon partage cet avis : « La dissolution des groupes de supporters apparaît, elle, comme une fausse bonne idée. Les associations de supporters ne sont pas des partis politiques qui donnent des ordres. De ce fait, elles peuvent aussi être impuissantes face aux actes de certains de leurs membres ou sympathisants. Leur dissolution n’entraîne pas un éloignement de leurs membres, mais un éparpillement, les rendant plus difficiles à contrôler, surtout lorsqu’ils rejoignent des groupes non officiels et plus violents »(46). Lors de notre observation, nous avons pu constater l’efficacité tout du moins relative de ce plan. A la sortie du stade par exemple, tout le monde est sorti dans le même sens, très calmement, et il n’y avait aucun groupe de plus de cinq personnes. Chacun allait rejoindre tranquillement son moyen de transport, sans même fêter la victoire du PSG par des exclamations, des chants ou autres. La logique de contrôle pour la pacification du stade et de ses proches abords semble donc une réussite jusqu’à l’heure actuelle. Reste toutefois que nous n’avons pas pu mener d’observations lors de déplacements des supporters pour les rencontres jouées à l’extérieur.

40 N. Hourcade, L. Lestrelin, P. Mignon, op. cit., p. 53.
41 L’entretien retranscrit de Stéphanie Bourhis figure dans l’annexe n°6, p. 13
42 Le Monde, 21 mars 2011.
43 Arno P-E, « Lutte anti-plan Leproux : mode d’emploi », PSGMAG, 16 août 2010.
44 L’entretien retranscrit de Loïc Morvam figure dans l’annexe n°2, p.
45 www.psg.fr, 20 janvier 2011
46 P. Mignon, « Pour une désescalade des réponses sécuritaires dans le football – un modèle pour les questions de sécurité urbaine », www.tnova.fr, janvier 2010.

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