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1) Musulmans, juifs et chrétiens, tous égaux face aux médias?

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« L’islam, dont la pratique ” socialement repérable ” est une aubaine pour les médias, semble encore loin de son ” intégration médiatique “. »

Maria Lafitte, journaliste.

S’interroger sur une inégalité de traitement médiatique entre les religions c’est toucher un point sensible. Avancer que les médias n’offrent pas de traitement égalitaire des trois grandes religions peut en choquer plus d’un. Cette réaction est bien légitime, puisqu’à première vue il semblerait que le christianisme soit autant critiqué que l’islam ou le judaïsme.

Quand on a en tête les sketches des Guignols de l’info sur Canal+ ou les caricatures de Plantu dans Le Monde, on peut avoir l’impression que « tout va bien » en la matière et qu’il n’y a pas une religion qui se fasse plus critiquer, ou plus encenser, qu’une autre. Pourtant, beaucoup de professionnels et de particuliers ressentent un malaise concernant la couverture médiatique de l’islam en France. Beaucoup en sont convaincus : l’islam est majoritairement représenté de manière négative dans les médias. Mais peu arrivent concrètement à définir ce qui leur fait ressentir ce malaise. Et ce n’est pas étonnant car, quand l’on s’y intéresse, l’on s’aperçoit vite de la subtilité du phénomène, observable uniquement à travers les choix de termes, d’images et de sujets effectués par les journalistes.

En effet, ce n’est qu’en étant attentif, et non passif, face à l’information que l’on remarque les incohérences, les approximations et les défauts dans le traitement médiatique de l’islam. Nombres d’analyses pertinentes et documentées sont d’ailleurs disponibles en la matière (NDA : cf. partie I) 2-1 et I) 3 du présent mémoire) mais les exposer toutes ici serait inutile et prendrait trop de temps. C’est pourquoi nous allons plutôt nous attarder sur quelques exemples particulièrement emblématiques.

Le premier exemple, exposé par Pierre Tevanian dans La République du mépris, met en parallèle la couverture médiatique de deux faits divers et illustre parfaitement le comportement qu’ont majoritairement les médias vis-à-vis des actualités impliquant des musulmans.

En juillet 2003, un fanatique juif, prénommé Raphaël Schoeman, menace de mort treize personnalités qu’il juge trop « pro-palestiniennes ». Il prétend agir au nom de tous les juifs, mais aucun journaliste ne donne crédit à ses élucubrations. Personne ne l’associe à « tous les juifs ». A juste titre, l’intéressé est qualifié d’individu isolé, irresponsable et délirant. A aucun moment on ne considère qu’il représente vraiment l’ensemble des juifs.

En revanche, quand un jeune musulman orléanais menace de mort M. Redeker (NDA : un professeur de philosophie toulousain qui avait publié une tribune assez controversée intitulée « Face aux islamistes, que doit faire le monde libre ? » dans l’édition du 19 septembre 2006 du Figaro) par mail en septembre 2006, les médias semblent (en majorité) se désintéresser de sa personnalité et considérer, qu’effectivement, il agit au nom de l’islam et des musulmans, notamment puisqu’ « une fatwa [aurait] été prononcée ». Pourtant, jusqu’à ce jour, aucune autorité musulmane n’a jamais appelé au meurtre de Robert Redeker.

On peut donc remarquer que, dans deux situations similaires, la question de l’ « incarnation » religieuse ne se pose pas de la même manière. Quand un jeune homme juif, isolé et dérangé, profère des menaces de mort, le fait qu’il soit représentatif de tous les juifs n’effleure l’esprit de personne. Il n’en va pas de même concernant un jeune musulman. En quoi pourtant ces deux personnes sont-elles différentes ? En quoi le fanatique musulman serait-il plus représentatif de sa communauté religieuse que le fanatique juif ?

Pour Pierre Tevanian, qui commente l’affaire Redeker, les choses sont claires : on est passé « du combat contre un individu de vingt-cinq ans, qui a eu le tort de proférer des menaces de mort, à un combat contre l’ ” islamisme ” et contre la complicité passive ” des musulmans ” dans leur ensemble. »

A propos de l’affaire Redeker, on remarque également, si on la place en parallèle avec l’affaire Dieudonné (NDA : cet humoriste français, musulman, est assez controversé pour ses prises de position provocatrices et antisémites qui lui valent depuis les années 2000 une réputation sulfureuse qui a fait chuter sa carrière jusqu’au quasi point mort) que, là encore, il y a une différence de traitement médiatique entre l’islam et le judaïsme. En effet, quand les propos anti-juifs et antisionistes de Dieudonné suscitent un tollé et une réprobation générale, les propos anti-musulmans de Redeker, pourtant tout aussi extrêmes, sont vus comme une « manifestation courageuse » et « politiquement incorrecte » de la liberté d’expression, parfois même ils sont admirés.

De son côté, Alain Gresh, directeur adjoint au Monde diplomatique et auteur de plusieurs livres sur le Proche-Orient, fournit dans son article, « A propos de l’islamophobie », une analyse intéressante de l’inégal traitement médiatique entre islam et christianisme. Après une brève introduction sur la liberté d’expression, il écrit « D’autres publicistes s’indignent : on aurait le droit de critiquer le pape Jean-Paul II et l’islam serait au-dessus de tout jugement !

Mais cela est-il vrai ? Bien sûr, on peut trouver des caricatures insultantes du pape, mais l’image globale qui se dégage du personnage est-elle vraiment négative ? On a célébré récemment le vingt-cinquième anniversaire du pontificat de Jean-Paul II et les éloges ont très largement dominé ; pourtant, au même moment, un documentaire de la BBC révélait que des envoyés spéciaux du Vatican envoyés en Afrique expliquaient aux populations que le préservatif ne protégeait pas contre le sida ! Imaginons un instant l’inverse : un haut dignitaire musulman ayant envoyé des missionnaires pour tenir le même discours ; peut-on imaginer un instant que les médias français donneraient de ce personnage, indépendamment de ce prêche, une image positive ? ».

Cet extrait illustre parfaitement en quoi l’inégal traitement médiatique des religions, en France, est difficilement évident pour l’esprit. Et en effet, celui-ci relève tellement de subtilités et de choix dans la mise en exergue de telle ou telle information qu’il est difficile de le percevoir concrètement dans sa mise en action.

Ici, Gresh compare religion chrétienne et musulmane et constate que la religion musulmane souffre clairement d’un traitement médiatique négatif et différencié, mais la comparaison est transposable avec la religion juive. Par exemple, imaginons un instant un reportage sur un groupuscule extrémiste juif qui se serait établi dans une banlieue quelconque. Si à un moment le reportage sous-entend que ledit groupuscule, du haut de sa cinquantaine d’adhérents, constitue une menace à la sécurité nationale, il est probable que nombre de téléspectateurs se diraient « – Ce journaliste exagère, il monte quelque peu son sujet en épingle ». Pourtant, concernant l’islam et les musulmans, nombre de sujets similaires fleurissent dans les JT et tout le monde semble prendre cela au sérieux. Aussi, c’est en procédant à ce genre de comparaison que l’absurdité du traitement médiatique de l’islam saute aux yeux.

Il existe nombre de groupes religieux extrémistes, dans chaque religion, et, à juste titre, personne n’en fait état dans l’actualité. Mais concernant les religieux extrémistes musulmans c’est une toute autre histoire. Comme si finalement, les minorités religieuses musulmanes avaient plus de propension à s’avérer dangereuses que les minorités religieuses juives ou chrétiennes.

En matière de religion dans les médias français on a affaire à une fausse impression d’égalité. C’est ce que confirme d’ailleurs un sondage Ifop, réalisé au lendemain du 11 septembre 2001 qui démontre que, de même qu’il y a dix ans, les adjectifs à connotation négative restent majoritaires dans le discours médiatique sur l’islam. La seule différence étant qu’aujourd’hui les adjectifs semblent « moins choisis ».

Un autre phénomène, tout aussi symptomatique que les précédents, est l’inégalité de traitement médiatique des actes à caractère raciste selon qu’ils touchent des victimes juives ou musulmanes.

En effet, depuis le début des années 2000, les profanations de sépulture, incendies de lieux de culte et agressions physiques de juifs et musulmans se multiplient. A ce propos, la Commission nationale consultative des droits de l’homme parle d’ailleurs d’une véritable « intolérance à l’égard de l’islam ».

De son côté l’Etat français semble réagir de manière assez inégale selon que l’agression concerne juifs ou musulmans. C’est ce que rapporte un article intitulé «Antisémitisme, islamophobie l’inégal traitement médiatique » (SaphirNews, 7 juin 2004), où Nadia Ben Othman écrit qu’ « à l’inverse de la ferveur et de l’empressement qui caractérisent les manifestations de solidarité à l’égard de la communauté juive lorsqu’elle est victime d’actes racistes, une sorte d’inertie, de laxisme, voire d’omerta plane sur le monde politique lorsqu’il s’agit d’évoquer les mêmes incidents qui touchent les musulmans. » Selon elle les réactions gouvernementales sont tout bonnement « quasi inexistantes [ou] timides et discrètes » alors qu’elles « sont nombreuses et promptes à s’exprimer lorsqu’il s’agit d’expulser un imam ou de stigmatiser le foulard. […] ».

Ce comportement, concernant ici la classe politique, est assez similaire finalement à celui qu’ont les médias, ce qui laisse encore une fois penser que les religions ne bénéficient pas toutes du même traitement médiatique dans la France d’aujourd’hui. Et effectivement, il semblerait que les musulmans, contrairement aux juifs ou aux chrétiens, fassent régulièrement l’objet dans les médias, de questionnements concernant leur « allégeance », leur « sédition » ou encore leur citoyenneté. Cette remise en question quasi permanente de la citoyenneté des musulmans, pourtant français au même titre que tout un chacun, peut certainement être qualifiée comme procédant d’une certaine stigmatisation. Certains comme Pierre Brechon et Jean Paul Willaime n’hésitent d’ailleurs pas à parler d’« une certaine diabolisation de l’islam » (Médias et religions en miroir).

A la lumière de ces exemples caractéristiques, l’on peut émettre de très sérieux doutes quant à une soi-disant égalité de traitement entre les différentes religions dans les médias français. De manière assez systématique, l’islam est plus enclin à faire l’objet d’amalgames et à être vu comme une religion monolithique dont les adeptes auraient tous plus ou moins la même pensée et les mêmes envies.

Evaluer le traitement médiatique des religions n’est pas chose aisée, certes, mais un regard critique couplé à une attention toute particulière au vocabulaire et au choix des sujets permettent d’y voir plus clair. L’inégalité se trouve alors tant dans la qualité que dans la quantité. Si la religion juive semble assez peu présente en termes de quantité dans les médias, les articles et reportages qui la concernent sont en revanche assez positifs. La religion chrétienne, plus présente médiatiquement, affirme majoritairement sa présence médiatique à travers des émissions dédiées comme la messe du dimanche matin retransmise en direct. Son temps de présence médiatique est donc majoritairement positif, puisque c’est elle-même qui s’exprime directement. La religion musulmane, en revanche, bénéficie de la plus forte couverture médiatique en termes de quantité dans les actualités, mais les sujets abordés sont très largement négatifs à son encontre.

Ce constat, d’un islam médiatiquement à part comparé aux autres religions, est actuellement partagé par de plus en plus de monde. Particuliers, professionnels s’interrogent de plus en plus sur ce que beaucoup n’hésitent déjà plus à qualifier de « stigmatisation » de l’islam.

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