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1. Les ordures, les boues et les vidanges : un gisement de matièrespremières pour la première révolution industrielle

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Afin de mieux appréhender sous quelles modalités les matières rejetées par la ville se
recyclaient, il est nécessaire de détailler les différents sous-produits qui faisaient l’objet d’une
collecte par les différents acteurs concernés (chiffonniers, municipalités, paysans collecteurs) et
d’une réutilisation par l’industrie ou l’agriculture. Les deux résidus les plus convoités par les
chiffonniers durant la première révolution industrielle sont sans aucun doute les chiffons et les os,
mais de nombreuses autres matières étaient valorisées et trouvaient une seconde vie.

1.A. Les chiffons

Jusqu’à l’aube du XXe siècle, la papeterie ne savait fabriquer le papier qu’à partir de vieux
chiffons glanés par les chiffonniers, grâce à une technique de transformation artisanale qui restait
« longue, complexe, coûteuse, et nécessitait un savoir-faire extrêmement précis. »(15). Après de
nombreuses tentatives infructueuses pour trouver des substituts à cette matière première, la
mécanisation progressive et les innovations techniques dans la production du papier entrainèrent
une croissance rapide de la demande en chiffons. On parle alors d’« âge d’or » du chiffonnage, si
bien que, jusqu’à la fin des années 1850, de nombreux pays européens – tels que la France, la
Belgique, la Hollande, l’Espagne et le Portugal – interdisent l’exportation des vieux tissus par peur
de pénurie et cherchent à tout prix à augmenter leurs importations.

1.B. Les os

Contrairement au chiffon, les utilisations des os sont multiples. Depuis toujours, l’os permet
« la fabrication d’une multitude d’objets utiles, peignes, boutons, manches divers […], de décoration
et d’agrément. »(16). Depuis le XIXe siècle, on produit à partir d’os, du charbon animal (ou noir
animal) qui est destiné « à décolorer le sirop obtenu de la betterave »(17) afin de faire face au blocus
continental qui prive la France du sucre de canne qu’elle importait de ses colonies. Par la suite, le
charbon animal sera aussi utilisé pour améliorer le procédé de fabrication du sucre de canne. Dans
le même temps, la consommation du sucre se banalise et on assiste à une explosion de la production
et de la demande, ce qui donne une plus grande valeur aux os et contribue ainsi à l’« âge d’or » du
chiffonnage. L’os trouve également de nombreux autres débouchés. En amont de la fabrication du
charbon animal, le suif des os est extrait dans le but de produire des savons. Les os, qui sont une
matière relativement riche en phosphate, peuvent aussi être broyés pour fabriquer des engrais
destinés à fertiliser les champs, marquant ainsi la naissance de l’industrie des superphosphates
(mélanges de phosphate avec de l’acide sulfurique pour une meilleure assimilation par les
végétaux). L’extraction du phosphate permet également l’invention de l’allumette par frottement en
1832. Enfin, à partir de la fin du XVIIIe siècle, on commence à produire de la colle à partir de la
gélatine contenue dans les os.

1.C. Autres matériaux collectés par les chiffonniers

Les chiffonniers collectaient également de nombreuses autres matières. Le vieux papier était
transformé en emballage, en carton ou en papier de qualité inférieure. Les boites en fer étaient
dessoudées pour séparer et revendre l’étain et le fer blanc. Les bouchons de liège se recyclaient en
produits neufs. Les coquilles d’huitres, riches en carbonate de calcium, étaient broyées pour
amender les champs. Les cendres étaient également utilisées pour nourrir les sols mais constituaient
aussi un excellent produit pour la lessive. Les chiffonniers récupéraient aussi certains métaux –
comme le cuivre, le zinc, le plomb, la fonte -, le verre, la porcelaine, le caoutchouc… Bref, ces
différents exemples n’ont pas une portée exhaustive mais montrent seulement la diversité des
matières qui pouvaient être collectées en raison d’une certaine valeur économique.

1.D. Sous-produits issus de l’industrie ou de l’élevage

Au XIXe siècle, l’activité industrielle se concentrait principalement aux abords des villes et
les résidus inhérents au processus de production trouvaient presque toujours une seconde vie.

L’exemple le plus significatif se trouve dans la fabrication du gaz d’éclairage par la distillation de la
houille qui laissait de nombreux sous-produits tels que le coke qui servait de charbon, des goudrons
utilisés comme antiseptique ou teinture, ainsi que de l’eau ammoniacale transformée en sulfate
d’ammoniaque destiné à fertiliser les champs. De même, la ville abritait aussi les animaux en pleine
rue et ceux-ci produisaient un fumier urbain qui était revendu à la campagne. Malgré le
développement des abattoirs en périphérie des villes au début du XIXe siècle, les sous-produits
animaux ne cessèrent pas pour autant d’être valorisés : les peaux étaient tannées, les sabots et le crin
réutilisés, les graisses transformées en suif pour fabriquer des bougies et des savons, on extrayait
l’albumine du sang pour le raffinage du sucre et la teinture ou alors on le faisait sécher pour le
transformer en engrais, les boyaux servaient à la fabrication de cordes harmoniques pour certains
instruments de musique ou pouvaient être transformés en préservatifs, et enfin, avec les tendons, de
la colle était produite.

1.E. Les boues

A partir de la fin du XVIIIe siècle, les boues18 font l’objet d’un intérêt croissant de la part
d’entrepreneurs qui organisent la collecte et l’acheminement de cette matière vers des voiries situées
en périphérie de la ville et de la part des paysans qui viennent s’approvisionner en fertilisant sur ces
voiries. Dans certaines villes, les paysans collectent directement la boue sur la voie publique et il
n’y a pas de système de voiries. A Paris, dans les années 1870, un conflit va éclater concernant le
droit d’exploitation des boues urbaines « entre les habitants de la banlieue, les adjudicataires du
nettoiement et la police, […] les premiers arguant du fait que les boues appartiennent solidairement
aux habitants de la banlieue »(19), ce qui démontre l’attractivité de cette matière à l’époque. Au final,
l’évacuation des boues de la capitale s’organise en un système complexe de sous-traitance de la
collecte entre entrepreneurs et paysans. Ainsi, « les 500 itinéraires de tombereaux(20) sont affermés
un, deux, ou au maximum trois jours par semaine à un cultivateur qui apporte ses produits aux
halles de grand matin, et s’en retourne avec les boues de rue. »(21).

1.F. Les vidanges

De même, les vidanges sont « stockées plus ou moins longtemps dans les fosses, [où] elles
sont périodiquement enlevées, au XVIIIe siècle, par des compagnies spécialisées ou par des
cultivateurs selon les villes. »(22). En 1784, Bridet invente une technique pour transformer ces
vidanges liquides en « poudre végétative ou poudrette »(23). Ce procédé possède l’avantage de
convertir les vidanges à un état solide, ce qui facilite leur transport, améliore la salubrité de cette
matière et atténue les odeurs qui en émanent. « La ville est une mine d’engrais »(24) et les excréments
peuvent même acquérir une valeur marchande positive à cette époque : « des chimistes en ont
estimé la valeur par personne à 20 c. par jour »(25). Cette manne économique, destinée à grandir avec
l’augmentation de la population urbaine, a entrainé le passage d’un modèle artisanal de collecte,
transport et transformation des vidanges, à un modèle entrepreneurial, avec la fondation de grandes
compagnies qui se consacrent exclusivement à cette activité. Par exemple, la compagnie Richer,
fondée en 1847, « emploie environ la moitié des équipes de vidanges opérant à Paris »(26). Ce mode
de traitement des vidanges a connu un déclin dans la seconde moitié du XIXe siècle avec
l’apparition de réseaux d’évacuation. Dans un premier temps, chaque « maison doit alors être
raccordée au réseau d’évacuation et être équipée d’une tinette filtrante qui retient les matières solides
et laisse passer les liquides qui se rendent directement à l’égout, sans intervention manuelle. »(27). Les
compagnies s’occupent encore de collecter les vidanges solides. Dans un second temps, toutes les
matières contenues dans les vidanges seront évacuées par ces réseaux hydriques avec l’instauration
du tout-à-l’égout. Mais ce nouveau système n’est pas pour autant synonyme d’abandon des matières
fertilisantes. « En effet, ce qui est frappant, c’est que la quasi-totalité des solutions envisagées
repose sur un principe fondamental : on ne saurait laisser perdre ces matières .»(28). Ainsi, les
techniciens de l’époque réfléchissaient presque systématiquement à des systèmes de canalisations
permettant d’acheminer cette matière jusqu’à des champs en province. La gestion des vidanges
citadines s’imbriquait donc dans une double problématique : celle de la salubrité et celle de
l’agriculture.

15 Ibid., p. 27.
16 Ibid., p.39.
17 Ibid., p.36
18 Les boues sont les excréta liquides dus à l’absence de pavage des chaussées. Elles se composent principalement de
matières organiques et d’excréments (a la fois humains et animaux).
19 Ibid., p. 91.
20 Les tombereaux sont de grandes charrettes, souvent tractées par des chevaux, qui servaient à collecter et évacuer les
boues.
21 Ibid., p. 100.
22 Ibid., p. 66.
23 Ibid., p. 67.
24 Ibid., p. 71.
25 Ibid., p. 71.
26 Ibid., p. 75.
27 Ibid., p. 79.
28 Ibid., p. 85.

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