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1. Définir les lieux, saisir son organisation

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Dans les témoignages de Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental l‟on retrouve toujours la description d‟un même lieu « à l‟écart des hommes(114)», et qui rassemble en majorité des « détenus juifs » comme l‟indique Lewental. Il s‟agit là d‟une description du baraquement spécialement réservé aux membres du Sonderkommando. Le manque d‟information fait qu‟il demeure difficile d‟en situer exactement la position. Selon l‟étude des différentes sources(115), les lieux spécialement affectés aux SK changeaient chronologiquement.

Aussi, il apparaît que dans un premier temps, les membres du SK administrés au Krematorium(116) d‟Auschwitz I(117) avaient été regroupés au Block 11(118). De là, ils étaient directement conduits dans les cellules du sous-sol. Filip Müller décrit d‟ailleurs l‟une d‟elle en ces termes : « Il y régnait une puanteur étouffante. […] Elle mesurait environ 3 mètres sur trois et n‟avait ni fenêtre, ni système d‟aération(119). » Dans un second temps, les membres du SK furent logés aux Blocks 22 et 23 du camp BIb(120) de Birkenau, du moins jusqu‟en juillet 1943.

C‟est suite au déplacement des prisonniers du secteur BIb, que le SK sera logé au Block 13(121). Un ultime transfert eut lieu au début de l‟été 1944, quand le SK fut installé à l‟intérieur même des crématoires. Selon ce classement, il est possible d‟affirmer que Lewental, Langfus et Gradowski, tous trois affectés au SK en décembre 1942-janvier 1943, étaient tous logés au BIb de Birkenau, bien qu‟il ne soit jamais clairement cité par les auteurs. Puisque la période d‟écriture s‟étend jusqu‟en octobre 1944, chacun des trois auteurs connaitra aussi l‟existence du Block 13, et des différents Crématoires.

Bien qu‟il s‟agit de lieux différents, il apparait tout de même possible de distinguer plusieurs similitudes entres chacune des affectations : comme nous l‟avons vu par le témoignage de Filip Muller, le Block 11 était totalement isolé du reste du camp, tandis que le BIb était, comme le répète encore une fois Lewental dans son témoignage « à l‟écart des hommes(122) » tout comme le Block 13, « totalement fermé » comme l‟atteste Alter Feinsilber. Cela témoigne avant tout qu‟il était primordial qu‟aucun contact ne puisse être établi entre les membres du Sonderkommando et les autres prisonniers du camp. Personne ne devait connaître l‟existence de ces unités « Au camp ce personnel avait des boxes spéciaux et tout contact leur était interdit(123). »

Ce qui se passait dans les chambres à gaz ainsi qu‟au sortir de celles-ci, ne pouvaient être connu que par les SK. Aussi, s‟agissait-il de « préserver le secret et dissimuler le meurtre(124) » afin que l‟extermination des Juifs ne soit jamais répandue. Autrement dit rien ne devait sortir des camps d‟extermination. Voilà pourquoi peu de personnes devaient être au courant, même au sein de l‟administration du camp.

Dès lors, s‟il y avait des détenus malades, aucun d‟entre eux ne pouvaient être admis à l‟hôpital du camp : « Il était interdit d’en sortir, il avait sa propre infirmerie(125) ». Même une équipe de gardes SS était spécifiquement affectée au SK(126). Aussi l‟utilisation des différentes notions telles que « Sonderbehandlung » (traitement spécial) ou encore Sonderkommando, souligne d‟une part la volonté de camoufler le meurtre commis, d‟autre part, l‟intention de créer une véritable distance entre victimes et bourreaux.

L‟on devait(127) de fait, face à la difficulté qu‟engendrait un tel travail, préserver le « moral » des différents SS. Il fallait en effet, une force mentale immense ou une dégénérescence de l‟esprit, pour vivre avec la vision de ces corps vivants jetés dans les flammes, ces visages d‟enfants tout juste exécutés, autrement dit pour vivre avec toutes ces scènes d‟horreur qu‟engendrait l‟exécution de la Solution finale. Même les nouveaux membres du Sonderkommando tout juste affectés à leur Block ignoraient encore l‟existence de ces immondismes.

Chacun des trois auteurs s‟est attardé à la description d‟un lieu que Lewental situe précisément « […] dans le petit bois […] à l‟écart, à cent cinquante mètres, il y avait une chaumière villageoise innocente(128). » Il s‟agit en réalité de la description d‟un des Bunker de Birkenau. S‟il est difficile de distinguer de quel Bunker il s‟agit, c‟est du fait que chacun d‟entre eux étaient situé l‟un à côté de l„autre. Le Bunker I(129) était une ancienne chaumière appartenant à un paysan polonais et reconvertie dès mars 1942, en chambre à gaz.

Situé juste en dehors de la limite nord, à l’extrémité ouest du camp de Birkenau(130) et caché derrière un bosquet de bouleaux, ce petit bâtiment(131) permettait d‟exterminer les nouveaux arrivants tous justes sélectionnés. Encore une fois, il s‟agissait là de « cacher » le lieu du crime. Aucun déporté excepté les membres du SK, n‟était alors en mesure de connaître l‟existence de telles infrastructures.

Ainsi, comme le décrivent en majorité les survivants du SK, mais aussi Gradowski, Langfus et Lewental, l‟intérieur du Bunker I était réduit à deux pièces ayant chacune une porte, celles-ci étant étanchéifiée et munie de deux solides barres de fermeture. Les fenêtres « obstruées» comme l‟indique Lewental(132), sont murées et remplacées par de petites trappes faites de plaques de bois, étanches elles-aussi, destinées au versement du « poison mortel au gaz » : le Zyklon B.

Le Bunker II(133) opérationnel dès juin 1942, fonctionnait de la même manière. Il était d‟ailleurs situé à seulement cent mètres du premier Bunker. Selon différentes sources(134), quatre chambres à gaz étaient directement placées en parallèle et chacune d‟entre elles, possédait « une petite lucarne(135) » permettant aux SS d‟introduire le Zyklon B.

Ces détails apportés par les différents membres du Sonderkommando, sont d‟une importance capitale, car il ne reste absolument plus rien du Bunker I. Les SS en 1943, l‟on volontairement détruit suite à la mise en fonctionnement des crématoires de Birkenau(136), et dans l‟habituelle décision déjà évoquée, de laisser le minimum de traces. Le Bunker II, fût quant à lui sporadiquement utilisé quand les victimes se trouvaient alors en surnombre(137). Aussi, Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental affectés au SK de décembre 1942 à octobre 1944, ont été administrés aux différents crématoires de Birkenau puisque les autres n‟étaient plus véritablement en fonctionnement.

Cela dit, aucune description véritable n‟est donnée sur ces différents lieux : il semble que seul Lewental ait désiré en fournir une typographie « les crématoires 1-2 à l‟angle sud-ouest, les crématoires 3-4 à l‟angle nord-ouest(138) ». C‟est uniquement autour de la description des tâches à effectuer qu‟il est alors possible d‟en distinguer son organisation et sa composition(139). Qu‟il en ait conscience ou non, chacun des auteurs en décrivant et situant les lieux affectés à l‟extermination, a ainsi donné une valeur pleinement historique aux écrits. Ils fournissent alors, un témoignage précieux et inestimable sur l‟organisation du camp d‟Auschwitz.

114 Selon Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre…, op.cit., p. 141.
115 Notamment grâce aux informations précieuses apportées par les dépositions de Filip Müller et d‟Alter Feinsilber au procès de Cracovie.
116 Selon Jean-Claude Pressac, le Krema I achevée à l‟été 1940, avait pour rôle de faire disparaître les corps des prisonniers assassinés. Les premiers « gazages de masse » commencèrent en janvier 1942, après l‟expérimentation du Zyklon B dans le sous-sol du Block 11 en fin 1941. Jean-Claude Pressac, Les crématoires d’Auschwitz. La machinerie du meurtre de masse, Paris, CNRS Éditions, 1993, p. 16 – 24.
117 Situé sur une ancienne caserne polonaise, Auschwitz I apparaît depuis sa construction (nouveaux bâtiments et remise en état des bâtiments existants) en mai 1940, comme le « camp souche » sois le Stammlager (le camp d‟origine). Il se constitue alors de 28 blocks et d‟un seul crématoire : le KI.
118 Communément appelé par les déportés « Block de la mort », le Block 11, relié au Block 10 par le fameux « mur noir », était aménagé en plusieurs secteurs. Il s‟agit en réalité du Block des arrêts soit la prison du camp.
C‟est dans les cellules du sous-sol que sont enfermés les prisonniers condamnés pour diverses raisons. C‟est aussi dans ces sous-sol qu‟étaient enfermés les membres du SK afin qu‟ils soient isolés des autres prisonniers.
Selon Jean-Claude Pressac, op.cit., p. 18 – 21.
119 Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d’Auschwitz, op.cit., p. 52.
120 Le camp de Birkenau se divise en trois parties : BI, BII, BIII, elles-mêmes divisées en sous-camps. La partie BI est constituée de bâtiments cimentés et d‟écuries préfabriquées en bois tandis que les parties BII et BIII sont uniquement construites de baraques en bois. Le BIb est uniquement réservé aux hommes du camp de Birkenau. Ce n‟est qu‟en 1943 qu‟il deviendra celui des femmes.
121 Afin de faciliter la représentation de chacun des blocks de Birkenau, il convient de se rapporter à l‟annexe III présente en fin de cette étude.
122 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre…, op.cit., p. 138.
123 Citation d‟Olga Lengyel, Souvenirs de l’au-delà, Paris, Edition du Bateau Yvre, 1946, p. 132.
124 Selon la formule employée par Yves Ternon in « Le spectre du négationnisme. Analyse du processus de négation des génocides au XXe siècle. » in Catherine Coquio (dir.), L’histoire trouée : négation et témoignage, Nantes, L‟Atalante, 2003, p. 210.
125 Alter Feinsilber, Des Voix sous la cendre…, op.cit., p. 318. Miklos Nyisli a ainsi été affecté au SK en tant que médecin, en mai 1944.
126 Comme l‟indique Georges Didi-Huberman : « les SS non-initiés, […] ignorants du fonctionnement des chambres à gaz et des crématoires » ne devaient en aucun approcher des SK. Georges Didi-Huberman, Images malgré tout, Paris, Ed. de Minuit, 2003, p. 12.
127 Sous-entendu la bureaucratie Allemande, auteur du programme de la « Solution finale ».
128 Zalmen Lewental, Des Voix sous la cendre…, op.cit., p. 133.
129 Entrées en service en mars 1942, c‟est en septembre que deux grandes baraques construites en briques rouges, ont été ajoutées à proximité de celui-ci, afin que les victimes puissent se déshabiller. Voilà pourquoi le Bunker I, est aussi surnommé la « Maison rouge ».
130 Selon, l‟ouvrage de Robert Jan van Pelt et Debórah Dwork, Auschwitz, 1270 to the Present, Londres, Yale University Press, 1996, p. 123.
131 Dans les souvenirs de Filip Müller et de David Olère, il s‟agissait d‟un petit bâtiment d‟à peine plus de 15 mètres sur 6, soit 90 m².
132 Zalmen Lewental, op.cit., p. 133.
133 Le Bunker II était aussi une ancienne chaumière de paysan Polonais. Il demeure tout de même plus grand que le Bunker I, puisqu‟il mesure un peu plus de 17 mètres sur 8, soit 120 m².
134 Notamment, à travers les plans dessinés par David Olère et les descriptions très précises, données par Filip Müller.
135 Zalmen Lewental, op.cit., p. 133.
136 A la suite des demandes expressément ordonnées par Himmler en 1942 lors de la convocation de Rudolf Höss à Berlin, de faire d‟Auschwitz le lieu principal d‟extermination de la population Juive d‟Europe, la construction des crématoires II, III, IV et V est ordonnée et fixée à la date du 1er juillet 1942. Ils seront achevés en mars – avril 1943.
137 Selon les informations réunies dans le l‟ouvrage de Georges Wellers, Les Chambres à gaz ont existé. Des documents, des témoignages, des chiffres, Paris, Gallimard, 1981 p. 32 et celui de Yisrael Gutman (dir.), Anatomy of the Auschwitz Death Camp, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Presse, 1998, pp. 157 – 245.
138 Zalmen Lewental, op.cit., p. 153.
139 Il est en effet possible d‟employer le singulier lorsque cela s‟applique à la description des crématoires car ils demeurent tous effroyablement semblables. Les crématoires I et II comprennent quinze fours chacun, les crématoires III et IV, six fours, avec les salles de déshabillage et les chambres à gaz. Un « four » ne correspond pas à un foyer de crémation : les fours utilisés à Auschwitz comportaient selon les cas deux ou trois foyers. Selon Jean-Claude Pressac, Les crématoires d’Auschwitz…, op.cit., pp. 38 – 40. Une représentation du crématoire III est disponible en annexe IV de cette étude.

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