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1. Comprendre les auteurs, définir le texte

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Qui sont les auteurs ? Voilà une question centrale, car est-il possible de saisir toute la portée du témoignage si l‟on ignore tout de celui qui l‟écrit ? Ce premier point volontairement descriptif, va ainsi permettre de situer les auteurs et leurs écrits.

Zalmen Gradowski(57), nous apprend dès l‟ouverture de son manuscrit, qu‟il a été déporté avec le reste de sa famille le 8 décembre 1942(58). Si l‟on s‟attache à l‟étude de cette date, il apparaît que Gradowski faisait partie du convoi venant du camp de transit de Kielbasin(59) transportant alors plus de 1000 personnes. Selon les recherches effectuées par Danuta Czech(60), sur un millier de Juifs déportés ce jour-là au camp d‟Auschwitz, 796 personnes – en majorité des enfants, des femmes et des vieillards – furent directement menées vers la chambre à gaz.

Seuls 231 hommes furent immatriculés au camp d‟Auschwitz. Autrement dit, Gradowski fût le seul membre de sa famille à avoir pénétré dans le camp. L‟auteur s‟efforce alors de décrire son arrivée au camp mais tente dans un premier temps de retranscrire sa vie avant la déportation. Aussi, dans les premières pages de son manuscrit, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas étant de fait anachroniques, l‟auteur témoigne de ce que fût l‟horreur des persécutions(61) en novembre 1942 dans la région de Grodno(62). Zalmen Gradowski a ainsi pleinement conscience des étapes qui l‟on mené jusqu‟au camp d‟Auschwitz. Il se pose ainsi en tant qu‟historien en tentant d‟en retracer une continuité logique. C‟est donc tout naturellement qu‟il reprend son travail d‟écriture à travers un compte rendu précis détaillant les étapes de sa déportation, de sa vie au camp de concentration puis de sa sélection au sein du Sonderkommando.

L‟on peut en réalité apercevoir une rupture dans ce travail d‟écriture entre la description faite de la déportation, du camp etc. avant l‟affectation au SK (ce qui fait l‟objet d‟un premier manuscrit) et la retranscription des faits une fois arrivé au SK(63) (second manuscrit).

De fait, le premier manuscrit écrit de façon plus journalistique qu‟historique s‟opposerait presque dans sa forme stylistique au second manuscrit sur lequel l‟on s‟attardera précisément dans cette étude et qui témoigne avant tout d‟un réel travail de transmission historique. Gradowski souhaite ainsi retranscrire l‟horreur de son quotidien à travers les divers éléments qui l‟ont marqué et ce jusqu‟à sa mort fixée autour de la révolte du 7 octobre 1944.

De façon plus modeste, le manuscrit de Lejb Langfus témoigne avant tout d‟un désir de rapporter des faits le plus simplement possible. Aussi très peu d‟indications ne sont données sur sa vie personnelle : seul le souci de retranscrire ce qu‟il a vu l‟importe.

En fonction des dates citées dans le texte et de la description faite des convois l‟on comprend malgré tout que Langfus a été déporté d‟Auschwitz en décembre 1942. Si l‟on effectue le même travail que pour Gradowski, l‟on se rend compte qu‟à cette date, les Juifs arrivant à Auschwitz avaient été déportés du camp de transit de Mlawa(64).

Dès lors, Langfus tente de décrire ce qu‟il a vu et vécu dans ce camp de transit : l‟écriture de son manuscrit commence alors dès le 31 octobre 1942 où moment même où les persécutions s‟accentuent dans le camp de Mlawa. Autrement dit, l‟auteur prend conscience très tôt qu‟il lui faut retranscrire ce qu‟il voit : les premières pages servent alors à décrire la situation de terreur existant dans le camp de transit. Un attachement particulier semble être porté à la communauté de Maków Mazowiecki(65), dont il semble originaire(66) : il y décrit ainsi avec stupéfaction et horreur les faits relatifs à cette déportation forcée.

Mais la partie sur laquelle l‟on se penchera pleinement est celle qui met un point donneur à retranscrire les faits relatifs au camp d‟Auschwitz. Il semble en réalité que Langfus ait avant souhaité témoigner au nom des victimes qu‟il a vu exterminée. A partir de ce moment, une multitude de discours sont rapportés par l‟auteur, autour de dates et de faits précis, afin de rendre compte de l‟horreur dans laquelle il était plongé. Il témoigne alors de ce qu‟il a vu de l‟extermination en tant que membre du Sonderkommando jusqu’à sa mort en 1944(67).

Il se pose de fait comme un journaliste retransmettant des faits : au-delà de la souffrance vécue et du désir de vouloir laisser une trace de son existence, il tente de devenir un véritable chroniqueur qui se fait le dépositaire de la mémoire(68) de ceux qui ont croisé son chemin. Aussi l‟auteur devient à la fois témoin et journaliste : le choix de diviser le témoignage en paragraphes titrés marque le désir de l‟auteur de retranscrire les faits tels qu‟il les a vécus et tels qu‟il les a vus. Chaque mot employé par Lejb Langfus mêle à la fois le regard de la victime – du condamné – et le regard du témoin.

Contrairement à Zalmen Gradowski et Lejb Langfus, Zalmen Lewental(69) qui a tenté de retranscrire ce qu‟il a vécu depuis sa déportation au camp d‟Auschwitz jusqu‟au soulèvement du Sonderkommando du 7 octobre 1944, utilise une expression relativement complexe, entrecoupée de répétitions et de passages incompréhensibles, qui tend à rendre très difficile l‟analyse de son témoignage(70).

Mais au-delà de ces difficultés, l‟on comprend que Zalmen Lewental souhaitait avant tout rendre compte des persécutions incessantes qu‟il subissait depuis le début de la guerre.

L‟on apprend ainsi qu‟il était originaire de Ciechanów(71) dont il fût déporté en novembre 1942 vers le camp de transit de Malkinia(72) avant d‟être transféré à son tour au camp de Mlawa, le 7 décembre 1942. C‟est trois jours plus tard, le 10 décembre 42 qu‟il sera immatriculé au camp d‟Auschwitz. Ce même jour, les membres de sa famille qui avaient été transférés avec lui au camp d‟Auschwitz, furent directement gazés.

La particularité du manuscrit de Lewental est qu‟il a pu connaître, certes durant un court laps de temps, la vie concentrationnaire avant d‟être sélectionné pour le SK en janvier 1943. Cela permet ainsi de mieux saisir les étapes de sélections opérées entre le nouvel arrivant, et le futur SK.

A partir de ce moment et ce jusqu‟au 10 octobre 1944(73), l‟auteur fournit une analyse personnelle sur le Sonderkommando, autour d‟évènements précis et chronologiques qui ont ainsi marqué sa vie. Il permet alors à l‟historien de mieux saisir l‟univers de ces hommes pris entre volonté de vivre et désespoir.

Les conditions de travail, les conditions de vie mais aussi les différents changements matériels opérés au sein d‟Auschwitz y sont partiellement évoqués.

Zalmen Gradowski, Lejb Langfus et Zalmen Lewental ont alors souhaité retranscrire des informations précises sur leur vie avant et pendant Auschwitz en structurant leurs témoignages de façon chronologique. Dès lors, il convient d‟analyser pleinement les diverses étapes de leur vie au camp afin de comprendre les différents facteurs qui ont conduit ces hommes à devenir Sonderkommando.

57 Zalmen Gradowski est né en 1910 dans une petite ville de Pologne nommée Suwalki.
58 Comme il l‟indique lui-même en préambule de son manuscrit, Zalmen Gradowski, op.cit., p. 37.
59 Construit en premier lieu pour les prisonniers de guerre soviétiques, le camp de transit Kielbasin – situé en Biélorussie à une vingtaine de kilomètres de la frontière polonaise – est converti dès l‟automne 1942, en camp de concentration pour les Juifs de Grodno et les villes environnantes. Au moins 35 000 personnes ont ainsi été transférées vers ce camp. Il est important de rappeler que la Biélorussie, envahie par l‟Allemagne nazie le 22 juin 1941, a vu disparaître près de 25 % de sa population dont plus de 800 000 juifs.
60 Danuta Czech, Kalendarium der Ereignisse im Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau 1939 – 1945, Hamburg, Rowohlt, 1989, p. 354.
61 L‟auteur fait ainsi référence aux milliers de Juifs persécutés et amenés au ghetto de Grodno puis au camp de Kielbasin. Il donne ainsi des informations importantes sur l‟Aktion Judenrein mise en place dans cette région.
62 L‟on y apprend ainsi que Zalmen Gradowski, pris dans le ghetto de Grodno, dirigeait le département santé. Cette fonction lui sera de nouveau attribuée au camp de Kielbasin jusqu‟à son départ pour Auschwitz.
63 Il est impossible de connaître exactement la date à laquelle fut affecté Gradowski au SK. L‟on sait simplement qu‟il a été immatriculé au camp de concentration d‟Auschwitz en décembre 1942 et qu‟au moment où il écrit en automne 1943, il fait déjà parti du SK.
64 Situé dans le nord de la Pologne, le camp de transit de Mława devait dès 1940 recueillir les 2450 juifs officiellement recensés dans cette ville par les Allemands. Peu à peu, les autres juifs des villes environnantes vont venir grossir les rangs de ce camp si bien que les conditions de vies deviennent rapidement chaotiques. Les premières déportations de Mlawa ont lieu en novembre pour Treblinka, puis pour Auschwitz (Langfus fait ainsi parti des 6000 juifs déportés vers Auschwitz).
65 Situé en Pologne, Maków Mazowiecki était constitué en 1939 de 7000 personnes dont 3000 juifs et 4000 polonais.
66 Comme nous l‟indique Szlama Dragon, un des rares survivants du Sonderkommando, Lejb Langfus était surnommé le Maggid de Maków ou encore le Dayan de Maków en référence aux fonctions qu‟il exerçait en tant que juge rabbinique. Il prit cette fonction à la mort du père de son épouse Devota Rosenthal.
67 Il est impossible de situer avec précision la date exacte de la mort de Lejb Langfus : comme nous l‟indiquent les dates inscrites dans son témoignage, Langfus aurait réussi à échapper à la liquidation des membres du Sonderkommando du 26 novembre 1944. Il a donc été tué très certainement à la fin de cette même année.
68 Bien qu‟il ne soit jamais allé au camp de Belzec, Lejb Langfus a souhaité retranscrire le témoignage précieux qu‟il avait recueilli auprès d‟un homme qui y avait été déporté.
69 Zalmen Lewental est né le 5 janvier 1918.
70 Le manuscrit de Zalmen Lewental a été attaqué par la moisissure. Ainsi, seulement 10 % était lisible, le reste a alors été soumis à une analyse rigoureuse et parfois, malheureusement, interprétative.
71 Située à plus de 100 km environ au nord de Varsovie, Ciechanów a été occupée par les Allemands dès 1939. Elle a été ainsi rebaptisée Zichenau avant d‟être placée sous la responsabilité de la province Prusse-Orientale.
72 Malkinia est une petite ville de Pologne qui se trouve le long de la voie ferrée principale Varsovie-Bialystok, à 80 kilomètres environ au nord de Varsovie. En réalité, le camp de transit de Malkinia servait de point d‟arrêt avant la déportation vers les camps de la mort. Entre juillet et septembre 1942, les nazis ont déporté plus de
300 000 Juifs du ghetto de Varsovie vers le camp de transit de Malkinia avant d‟être conduits directement au camp de Treblinka. Ces informations sont pleinement détaillées dans l‟ouvrage de Peter Longerich, The Holocaust. The Nazi Persecution and Murder of the Jews, Oxford University Press, 2010, p. 332 – 364.
73 Zalmen Lewental a lui aussi survécu à la répression qui suivit la révolte du Sonderkommando du 7 octobre 1944. Aussi, la dernière date qui apparaît dans son manuscrit est le 10 octobre 1944. Il a très certainement été tué quelques jours après.

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