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Section 1 : Le processus d’intégration communautaire

ADIAL

Au fur et à mesure que l’intégration communautaire s’est amplifiée, les Etats et l’Union Européenne ont dû faire face à des soucis d’interaction entre les législations internes et les lois européennes. De plus, chaque ordre souhaitait voir appliquer ses règles et luttait pour conserver une certaine marge de manoeuvre dans divers domaines.

Dans l’objectif de résoudre ces conflits de compétences, des principes ont été dégagés dont un des plus importants est la primauté du droit communautaire sur le droit interne. Par ailleurs, nous verrons que d’autres mécanismes permettent le maintien de l’application du droit de l’Union Européenne au détriment du droit national. (§1) Toutefois, cette primauté peut être entravée par l’existence de lois de police au sein de l’Etat membre. (§2)

§ 1: Le maintien de l‘application du Droit communautaire

L’ordre juridique communautaire a une nature spécifique. Celle-ci va permettre la reconnaissance de la primauté du Droit communautaire sur le Droit interne des Etats membres. (A) Ce principe de primauté va permettre d’octroyer aux particuliers la possibilité de demander au juge du for d’interpréter le droit national à la lumière du droit communautaire. La détermination des sphères de compétences (B) nous permet de déterminer la frontière entre la compétence de l’ordre juridique interne et celle de l’ordre juridique communautaire.

A) La primauté du droit communautaire sur le droit interne

Ce principe a été dégagé par la Cour de Justice Des Communautés Européennes dans son arrêt Costa contre Enel(68) (6/64) en date du 5 juillet 1964. C’est une primauté absolue. Elle est nécessaire à l’existence de l’ordre communautaire puisque sans elle les Etats ne seraient pas forcés d’appliquer le droit communautaire.

L’ordre juridique communautaire se retrouverait remis en cause. Par ailleurs, sans la consécration de la supériorité de l’ordre communautaire, les Etats pourraient, à leur guise, se désengager des obligations qu’ils ont pris enlevant toute uniformité d’application du droit communautaire et donc toute force au traité.

La consécration du principe de primauté du droit communautaire a pour conséquence la mise en place d’invocabilités de régulation du droit national. Celles-ci permettent de limiter voir d’annihiler l’application de la loi française au profit des normes européennes. Il est possible de distinguer :

L’invocabilité d’interprétation conforme qui implique que le juge national soit tenu d’interpréter le droit national existant de manière à permettre l’application effective des normes communautaires.

L’invocabilité d’exclusion qui consiste pour le législateur ou l’Administration à se mettre en conformité avec le droit communautaire, s’il le faut, en abrogeant ou en annulant de leur propre initiative une norme nationale contraire.

Si les autorités législatives ne procèdent pas à l’abrogation ou à l’annulation de la norme nationale contraire, il appartient au juge national de veiller au respect du principe de primauté du droit communautaire, ceci en laissant la norme nationale contraire inappliquée.Il en résulte qu’une loi nationale contraire au droit communautaire devrait être écartée.

Enfin, avec l’invocabilité de réparation, certains droits vont être reconnus aux ressortissants des Etats membres. Parmi ces droits se trouve le droit au juge qui consiste à assurer aux justiciables la protection provisoire des droits qu’ils peuvent tirer du droit communautaire. Il y a également, l’action en répétition de l’indu qui permet aux particuliers d’obtenir le remboursement des sommes qui ont été indûment versées ou reçues en violation du droit communautaire. Enfin, est octroyé le droit à réparation des préjudices subis du fait d’une violation du droit communautaire posé respectivement par les arrêts FrancovichetBonifaci(69) et Factortame et Brasserie du pêcheur(70) ».

Ce principe de primauté rappelle aux Etats membres qu’en signant le Traité, ils ont créé une Communauté dont les caractéristiques (durée illimitée, institution propre, capacité juridique, limitation des compétences nationales et transfert d’attribution) implique la limitation de leurs droits souverains et l’émergence d’un ordre juridique nouveau. Il en résulte qu’ils ne sont plus autorisés à intervenir dans des domaines où des transferts d’attribution ont été consentis.

Il semble qu’en vertu du principe de primauté du Droit communautaire sur le Droit interne, et plus particulièrement de l’invocabilité de régularisation du droit national, un constructeur européen puisse demander au juge français d’écarter la norme nationale lui imposant la souscription d’une assurance décennale. Donc, de laisser inappliqué l’article L.241-1 du Code des assurances.

B) La détermination des domaines de compétences

La frontière entre le domaine de compétence de l’Union Européenne et celui des Etats membres est difficile à partager. Nous sommes au coeur de l’enchevêtrement entre le Droit communautaire et le Droit national. La détermination de la catégorie à laquelle appartient le secteur de l’assurance est un préalable indispensable pour mener à bien notre étude.

Certaines compétences ont expressément été attribuées à l’Union européenne par les Etats et le Traité de Lisbonne a permis d’établir une liste des différentes catégories de compétence attribuée à l’Union Européenne. Parmi ces compétences, certaines sont exclusives (1), d’autres partagées (2) ou dites d’appui. (3)

1- Les compétences exclusives

Ces compétences exclusives de l’Union Européenne se traduisent par une dépossession de la part des Etats membres de leur capacité à légiférer sauf sur habilitation de l’Union Européenne.

Ces compétences sont énumérées à l’article 3 du TFUE(71) qui dispose que « L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les domaines suivantes :

a) L’union douanière ;
b) L’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ;
c) La politique monétaire pour les Etats membres dont la monnaie est l’euro ;
d) La conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche ;
e) La politique commerciale commune.

2. L’Union dispose également d’une compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l’Union, ou est nécessaire pour lui permettre d’exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d’affecter des règles communes ou d’en altérer la portée. »

2- Les compétences partagées

En présence de compétences partagées, l’Union Européenne ainsi que les Etats membres peuvent adopter des actes contraignants et légiférer dans le domaine concerné. L’article 4 du TFUE(72) fixe une liste des compétences concernées.

« Les compétences partagées entre l’Union et les Etats membres s’appliquent aux principaux domaines suivants :

a) le marché intérieur ;
b) la politique sociale, pour les aspects définis dans le présenté traité ;
c) la cohésion économique, sociale et territoriale ;
d) l’agriculture et la pêche, à l’exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer ;
e) l’environnement ;
f) la protection des consommateurs ;
g) les transports ;
h) les réseaux transeuropéens ;
i) l’énergie;
j) l’espace de liberté, de sécurité et de justice ;
k) les enjeux communs de sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans le présent traité(73)[…]. »

3- Les compétences dites d’appui

Elles ont été instaurées par le Traité de Lisbonne. Dans ce cas, l’Union Européenne appuie, coordonne ou complète l’action de l’Etat membre sans pour autant remplacer des compétences nationales.

Font partie des compétences d’appui selon l’article 6 TFUE(74): la protection et l’amélioration de la santé humaine, l’industrie, la culture, le tourisme, l’éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport, la protection civile, la coopération administrative.

L’étude des domaines de compétence nous permet de déduire que le secteur de l’assurance est une compétence partagée au titre du marché intérieur, prévu à l’article 4, 2. a). Donc, dans le cas de notre étude, l’Etat français ainsi que l’Union Européenne peuvent légiférer et adopter des actes contraignants.
Nous noterons que le domaine de la protection du consommateur donne également lieu à une compétence partagée.

§ 2: Les lois de police : une entrave à l’application de l’ordre juridique communautaire.

Les lois de police sont celles « relatives à l’organisation étatique et lois pénales qui, à ce titre, obligent tous ceux qui habitent le territoire(75). »

Elles permettent au droit interne de conserver sa compétence. Le juge saisi d’un litige impliquant une relation privée internationale, devant l’existence de telles lois devra appliquer les lois de son for. C’est une obligation qui lui incombe.

La qualification de loi de police a donc un intérêt (A) puisqu’elle permet l’application de la loi du for au détriment des normes communautaires. Les articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances, ont soulevés des interrogations quant à leur éventuel caractère de loi de police. Il sera donc opportun d’étudier s’ils constituent effectivement des lois de police. (B)

A) L’intérêt de la qualification de loi de police de l’article L.241-1 du Code des assurances

La législation française prévoit en son article 1792 du Code civil que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination(76). »

Le Code des assurances en son article L.241-1 impose une obligation d’assurance « pour toute personne physique ou morale, dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil(77). » Il en résulte que tout constructeur souhaitant exercer en France à l’obligation de souscrire une police d’assurance décennale. La garantie décennale est d’ordre public, elle n’est pas supplétive.

Toutefois, ces règles internes viennent en contradiction avec des directives et règlements européens. En effet, la directive 2006/123/CE dite « directive service(78) » ainsi que le règlement (CE) n°593/2008 dit « règlement Rome I(79) » prônent la suppression des obstacles au développement du marché unique.
Ceci est légitime dans le sens où la résultante de l’intégration européenne n’est autre que l’application des principes de libre établissement et de libre prestation de service. Cette suppression des entraves aux principes précédemment cités implique de laisser exercer en France tout constructeur ressortissant d’un autre Etat membre de l’Union Européenne.

Cependant, les législations relatives à l’assurance des constructeurs diffèrent d’un Etat à l’autre. Si certains pays ont légalisé une telle obligation d’assurance, d’autres n’en ont fait qu’un usage voir même n’en ont pas prévue du tout.

Or, permettre aux deux principes de libre établissement et de libre prestation de service d’être exécutés impliquerait de ne pas faire de différence entre les constructeurs assurés pour le risque de nature décennale en France et ceux qui ne le seraient pas.

La résultante de cette indifférence n’est autre qu’une insécurité juridique du consommateur national sinistré qui, ayant eu affaire à un constructeur non assuré, verrait son indemnisation compromise en cas d’insolvabilité de ce dernier.

Nous arrivons au coeur du problème : la sécurité juridique du consommateur. Les textes européens, précédemment présentés, doivent-ils s’appliquer au nom de l’intégration européenne et au détriment de la lex fori qui vise à protéger le consommateur ? La réponse à cette question dépendra de la nature de l’article L.241-1 du Code des assurances.

Les lois dites de police s’appelaient à l’origine « loi d’ordre public, dans l’oeuvre de Mancini, qui admet que les lois de droit public, de droit pénal ou de responsabilité civile s’appliquent d’une manière générale aux étrangers comme aux nationaux sur le territoire(80). »

M. Patrick Courbe définit la loi de police comme « une règle de droit interne appliquée aux relations internationales sans passer par la règle de conflit81. » C’est une règle substantielle en ce qu’elle résout directement le conflit et son application est immédiate.

La détermination d’une loi de police peut s’effectuer par voie légale c’est-à-dire que la loi affirme clairement que telle loi doit être considérée comme loi de police. A titre d’exemple, nous pouvons citer l’article L.135-1 du Code de la consommation, prévu par la loi du 1er février 1995. La reconnaissance du caractère de loi de police peut également résulter de la qualification qui en est donnée par la jurisprudence. A cette fin, la Haute Juridiction par une interprétation téléologique, s’attache à l’objectif à atteindre pour déterminer s’il s’agit d’une loi de police.

Selon Patrick Courbe, une loi revêt un tel caractère lorsque d’une part, « par une loi interne l’Etat poursuit un objectif politique, social ou économique qui lui paraît essentiel pour la collectivité de ceux qui vivent en France, cette règle de droit interne est une loi de police, qui exclut par conséquent toute intrusion d’une loi étrangère(82). »

D’autre part, lorsque « l’observation d’une loi interne peut paraître si nécessaire à la sauvegarde de l’organisation économique ou sociale du pays que sa mise en oeuvre est confié à des structures organisées par l’Etat ou certaines autorités publiques(83). » « Ces règles de droit, seront considérées comme des lois de police(84). »

En France, les principaux domaines où se rencontrent des lois de police sont la protection d’une partie faible et la protection des intérêts généraux. La protection du consommateur serait donc un résultat à atteindre pour pouvoir ériger une simple loi en loi de police. Or, l’article L.241-1 du Code des assurances permet, en ce qu’il protège l’usager de la construction de l’insolvabilité d’un constructeur mal intentionné, de remplir cet objectif.

Selon un avis de M. Guérin, avocat général, « la construction est enserrée dans des lois nationales d’ordre public(85) ». Toutefois, celui-ci considère que même si les règles relatives à la responsabilité décennale et l’assurance construction sont d’ordre public, elles « visent moins la protection d’une partie « faible » que des « bonnes règles » en matière de construction(86) ».

Le règlement (CE) n°593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome 1), est venu apporter une définition de la loi de police en son article 9.

Celui-ci dispose qu’ « une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement(87). »

Il est précisé que « les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l’application des lois de police du juge saisi(88). »

Cette notion de loi de police est importante car elle va obliger le juge du for à faire application de la lex fori. C’est la raison pour laquelle la qualification revêt un intérêt particulier lorsque cette loi octroie aux citoyens une sécurité juridique nécessaire. Tel est le cas pour les articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances.

L’éventuel caractère de loi de police de l’article 1792 du Code civil, a déjà fait l’objet de nombreux articles doctrinaux. En effet, suite à la reconnaissance du caractère de loi de police de la loi du 31 décembre relative à la sous-traitance(89), une partie de la doctrine a estimé que l’article 1792 du Code civil se verrait, par analogie, également reconnaitre la qualification de loi de police. Celle-ci serait motivée par le fait que l’immeuble, objet de la construction, se situerait sur le territoire français.

La doctrine reste divisée sur ce point. Les uns estiment que « ce dispositif a pour finalité la protection du bien immobilier au-delà de la qualité du maître de l’ouvrage et du droit applicable au contrat du constructeur. Dans ce contexte, le choix des parties ou les choix supplétifs s’effaceront devant le caractère crucial accordé par la France à la sauvegarde des intérêts publics relatifs à la protection, dans le temps, de l’ouvrage et, subsidiairement des acquéreurs successifs de l’immeuble(90). »

Les détracteurs de cette théorie, considéraient de leur côté, que la qualification de loi de police de la loi relative à la sous-traitance était contestable. D’une part, parce qu’ils estiment que la notion de « construction d’un immeuble » porte à confusion et constitue « un critère inadapté(91) » à la sous-traitance industrielle. De plus, celle-ci engendre « une discrimination entre les différents types de sous-traitance qui n’est pas conforme à la ratio legis de la loi de 1975 (92) ». (Annexe 1 p.144) D’autre part, parce que « le contrôle de conformité au droit communautaire(93) » n’est pas respecté.

La Direction des Affaires Juridiques, Fiscales et de la Concurrence de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance, dans une note(94) en date de 2009, s’était penchée sur la question de savoir si l’article 1792 du Code civil devait revêtir la qualification de loi de police.

En effet, en se fondant sur les multiples décisions(95) rendues par la Cour de cassation, affirmant que la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance devait être considérée comme une loi de police, elle en a déduit, par analogie, que l’article 1792 du Code civil devait également recevoir cette qualification.

Tout en poursuivant un raisonnement inductif, elle conclut que l’article L.241-1 du Code des assurances n’étant que l’accessoire de l’article 1792 du Code civil, celui-ci constituait également une loi de police. A notre humble avis, cette déduction paraît fondée dans la mesure où l’application des lois françaises se justifie par la construction de l’immeuble sur le territoire français.

Il serait malvenu de croire qu’il est possible de construire sur le sol français, tout en échappent au droit de l’état sur le territoire duquel est bâti l’immeuble. Et pourtant, le législateur n’est toujours pas venu consolider expressément ce raisonnement en droit positif.

Une décision de justice rendue le 8 avril 2010, par la sixième chambre de la cour d’appel de Paris, spécialisée en construction immobilière, a déclaré que « les dispositions impératives de la loi française sur la responsabilité décennale des constructeurs ne trouvent d’application qu’en droit interne, qu’elles ne constituent pas une disposition dont l’application est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique du pays, que ne s’agissant pas d’une loi de police ces dispositions ne sont applicables qu’en droit interne et non pas en droit international(96) ».

Elle conclut que « c’est dont à tort que les premiers juges ont décidé que « le droit français sera appliqué, dès lors que la garantie décennale du constructeur est un principe d’ordre public (97)» ». (Annexe 2 p.158)

Le débat quant à l’éventuel caractère de loi de police de l’article 1792 du Code civil reste donc ouvert.

B) Le silence des textes nationaux

Devant le silence des textes, le caractère de loi de police de l’article L.241-1 reste discutable. Sans avoir la prétention de résoudre le problème, il est intéressant de se pencher sur la question. D’une part, par une interprétation téléologique des articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances (1), d’autre part, en s’attachant à la lettre de l’article 9 du Règlement Rome I. (2)

1- L’interprétation téléologique des articles 1792 du Code civil et l’article L.241-1 du Code des assurances

L’interprétation téléologique des articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Codes des assurances, nous invite à nous interroger sur le but recherché par ces dispositions. A cette fin, il faut se pencher sur l’intention qui animait le législateur à l’époque de la Réforme de 1978 et se demander quel était l’objectif recherché par celui-ci, en instituant une obligation légale d’assurance de la responsabilité des constructeurs.

Mais, cette interprétation ne doit pas se limiter à une étude des articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances. Elle doit également prendre en compte la finalité de toute la loi Spinetta. Enfin, n’oublions pas que ces données doivent être replacées dans le contexte économique, politique et social de l’époque.

A la fin de la II ième Guerre Mondiale, il a fallu reconstruire. Dans les années 50, la France a connu une période d’essor économique appelée les « Trente Glorieuses » par l’économiste Jean Fourastié.

« Cette croissance était alors portée pour l’essentiel par les activités industrielles et de construction d’une part, les services principalement marchands d’autre part(98). » Le bâtiment était l’un des principaux secteurs jouant un rôle prépondérant dans l’expansion économique. En 1975, dix fois plus de logements furent construits en comparaison à l’après-guerre. « L’effort de construction a porté d’abord sur les immeubles collectifs, jusqu’au milieu des années soixante-dix, puis a privilégié les maisons individuelles(99). » (Annexe 3 p. 166)

Avec un revenu pratiquement doublé pendant la période des Trente Glorieuses, les français sont passés à une consommation de masse. Parallèlement à cet accroissement de la consommation des particuliers, il fallut augmenter leur protection en leur octroyant plus de garantie.

Observant combien le secteur de la construction de maisons individuelles s’intensifiait, le législateur a donc souhaité en 1967, renforcer la sécurité juridique des acquéreurs d’immeubles. Il fit ceci en intégrant les promoteurs vendeurs dans la liste des professionnels soumis à la responsabilité décennale des constructeurs. Toutefois, ce système restait lacunaire.

En effet, comme étudiée dans nos développements précédents, la loi de 1967 prévoyait d’une part, la possibilité pour les architectes ou entrepreneurs libéraux de s’exonérer de leur responsabilité sous réserve de rapporter la preuve qu’ils n’avaient commis aucune faute.

D’autre part, elle admettait la validité des clauses limitatives de responsabilités. Dès lors, les acquéreurs d’immobilier voyaient leur indemnisation compromise.

C’est la raison pour laquelle la loi Spinetta a modifié le régime de responsabilité dans le domaine de la construction et a institué une obligation légale d’assurance décennale.

La mise en place de cette obligation d’assurance est le fruit de la volonté d’un législateur qui se veut soucieux de ses citoyens. Pour preuve, tel un bon père de famille, il s’est attaché à protéger ses consommateurs des lacunes du système de responsabilité antérieur.

La loi Spinetta de 1978 est issue d’un projet de loi ayant fait l’objet de nombreux travaux préparatoires. Celui-ci fut déposé au Sénat en juillet 1977. Le Professeur Périnet-Marquet nous indique dans un de ses articles(100), après lecture des travaux préparatoires de la loi de 1978, que le Gouvernement souhaitait en ces temps-là, apporter trois améliorations majeures à la législation.

D’une part, « arrêter la constante dégradation de la qualité de la construction depuis 1963, d’autre part, essayer de mettre un terme à l’inadaptation de la loi à l’évolution rapide des techniques du secteur de la construction, enfin, offrir un règlement des sinistres dans un délai raisonnable(101). »

Des chiffres venaient appuyer ce projet. « Sous l’empire de la loi de 1967, 75% des sinistres n’étaient réglés qu’au bout de huit ans. Pour 25% d’entre eux, le délai pouvait aller jusqu’à vingt ans. La charge des sinistres avait doublé de 1969 à 1974.102 » Le montant des primes était plus important, « de 28 à 43 fois le niveau de 1952(103) ».

Compte tenu de tous ces travers, le projet de loi Spinetta, avait pour objectif de « responsabiliser davantage les intervenants ; renforcer les actions en faveur de la qualification et de la prévention ; réduire la charge globale de l’assurance ; à ce titre, le législateur affirmait que le coût de l’assurance baisserait de 50%(104). »

C’est dans ce contexte, que cette loi qui n’avait, au commencement, qu’une finalité curative demeure encore à l’heure actuelle.

La lecture du compte rendu de la première séance des débats parlementaires (Annexe 4 p.166) de l’Assemblée Nationale en date du 19 décembre 1977(105), nous permet de connaître la finalité de la réforme de 1978 et plus particulièrement, le but recherché par le législateur en instituant une obligation d’assurance de responsabilité décennale.

M. Richomme, rapporteur de la Commission des lois constitutionnelles de la législation et de l’administration générale de la République, indique à l’époque du régime de la loi de 1967, que « l’activité de la construction a considérablement évolué au cours des trente dernières années. L’accroissement de volume de cette activité et la règle des prix-plafonds ont influé sur la qualité de la construction et donné naissance à de nombreux litiges.

Actuellement, le système de garantie des dommages consécutifs à la construction – responsabilité et assurance – révèle son impuissance à assurer la protection effective de l’usager à permettre le développement du progrès technique et d’une structure industrielle adaptée ; enfin, à moraliser le secteur(106). »

Il regrettait d’autant plus la lenteur des délais de règlement des sinistres qu’il jugeait trop long et soulignait la paralysie de la réparation des dommages « par la recherche des responsabilités(107)». La multiplication des sinistres ne cessait de croître tandis que la réparation des dommages se faisait attendre.

Les assurances indemnisaient « les sinistres avec des retards pouvant atteindre plusieurs années : 25 p. 100 des sinistres ; 75 p. 100 en huit ans et demi ; le résiduel, c’est-à-dire 25 p. 100, en vingt ans(108). »

Enfin, il soulignait que « cette situation aboutit à une charge anormale des primes d’assurance, en même temps qu’elle freine le développement du progrès dans les techniques de la construction. Elle est lourde d’inconvénients aussi bien pour les usagers que pour la collectivité tout entière(109). »

Afin de remédier à ces difficultés, une réforme est donc proposée selon les termes de M. Gilbert Mathieu, rapporteur de la commission de la production et des échanges. Les éléments essentiels de ce projet de loi qui ont été approuvés sont « une clarification des mécanismes de responsabilité par la reconnaissance légale de la présomption de responsabilité des locateurs d’ouvrages ; l’ébauche d’un statut du contrôleur technique ; un système d’assurance obligatoire pour les travaux de bâtiment(110). »

Le débat parlementaire a mis en exergue la nécessité de rendre obligatoire l’assurance de responsabilité décennale des constructeurs en partant de la constatation qu’à l’époque, il arrivait souvent que la victime du dommage ne soit pas indemnisée, faute d’assurance par le constructeur qui avait réalisé l’ouvrage. L’affaire des « chalandonettes » avait sûrement permis de tirer des leçons.

La finalité de la loi de 1978 est résumée par les propos de M. Richomme lors des débats parlementaires du 19 décembre 1977. Il déclare que « la réforme proposée est conçue comme une réforme d’ensemble : il s’agit d’adopter une voie moyenne entre la socialisation totale des risques, qui aboutirait à la démission des responsables, et la personnalisation excessive des responsabilités, qui laisserait l’usager sans recours, de telle sorte que la protection de cet usager devienne réelle et que les professionnels soient incités à concourir à une amélioration qualitative des constructions(111)».

Enfin, dernier élément qui nous fait penser que le souci de protection du consommateur était la principale motivation de la réforme de 1978. M. Charnay, délégué général du Syndicat National des Constructeurs de Maisons Individuelles, lors de la journée d’étude et de formation sur la nouvelle réforme de l’assurance construction, affirmait que « les besoins des usagers ont été au premier rang des préoccupations des responsables de la loi en vigueur depuis 1978. (..) C’était la défense des consommateurs que l’on mettait en avant, surtout pour justifier l’Assurance de dommages(112) ».

Tous ces éléments suscités nous confortent dans notre raisonnement que la protection du consommateur a motivé la Réforme de 1978. Il nous est permis de conclure que ce qui animait la volonté du législateur quant à l’instauration d’une obligation légale d’assurance décennale était effectivement, la sécurité juridique du consommateur.

Par conséquent, il est possible de considérer que les articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances constituent des lois de police dont la justification trouve sa légitimité dans la protection des particuliers.

2- L’interprétation littérale de l’article 9 du Règlement Rome I

En procédant par un raisonnement cartésien, nous allons reprendre les conditions susvisées pour savoir si l’article L.241-1 du Code des assurances peut revêtir la qualification de loi de police. Selon la définition faite de la loi de police par le Règlement Rome 1, il est nécessaire que la loi en question ait pour finalité « la sauvegarde de ses intérêts publics(113) » dont son « organisation politique, sociale ou économique(114) ».

Le secteur de la construction représente 130 milliards d’euros(115) HT de travaux réalisés par 1 167 000(116) salariés au sein des 337 000(117) entreprises différentes. Ce qui est colossal. Ce secteur revêt à lui seul la moitié de l’industrie française. Aucun schéma n’est nécessaire pour se rendre compte que son impact socio-économique est indéniable. Depuis 2011, il y a « un rebond de l’investissement des ménages en construction (+2.7%)(118) ».

Sur le plan social, la protection du consommateur entre en première ligne. Comme souligné précédemment, un particulier qui aurait recours à un constructeur étranger non assuré pour les dommages de natures décennales, verrait son indemnisation compromise en cas d’insolvabilité de ce denier. De plus, rien ne garantis que le constructeur ne retournera pas chez lui une fois les dommages causés.

A ce moment-là, aucune garantie de retrouver le constructeur et ainsi d’obtenir la réparation du préjudice ne peut être donnée à la personne lésée. Par ailleurs, d’un point de vue concurrentiel, il serait injuste de permettre aux constructeurs étrangers de bâtir sans être assurés, alors que les constructeurs nationaux se voient imposer une obligation légale d’assurance décennale. D’autant plus, que celle-ci est onéreuse.

Sur le plan économique, il est possible que l’Etat voit sa responsabilité engagée et par conséquent, soit dans l’obligation de payer. En effet, des représentants de l’Etat qui délivrent à un constructeur étranger – ne remplissant pas l’obligation d’assurance décennale – un permis de construire, compromettent indirectement en cas de dommage, l’indemnisation du particulier qui a recours à ce professionnel de la construction.

D’autant plus, que l’absence de souscription d’une police décennale est pénalement punie. Cela reviendrait à légaliser une infraction. L’Etat serait alors criblé d’innombrables actions en justice, qui aboutiraient certainement dans un sens favorable aux consommateurs lésés.

Enfin, et non pas des moindres, le plan politique, dont il serait regrettable que l’Etat accepte qu’une entreprise étrangère se réclame de pouvoir exercer en France, au nom de la communauté, au détriment des lois nationales protectrices du consommateur. Comment légitimer le fait que l’Etat cautionne que ces propres citoyens puissent être abusés par des étrangers au nom du marché unique ? Une telle décision ne trouverait aucune justification légitime.

Au vu de toutes les raisons abordées ci-dessus, nous en déduisons qu’il existe des enjeux politiques, économiques et sociaux. Il semble qu’il en va de « la sauvegarde de ses intérêts publics dont l’organisation politique, sociale ou économique(119) » d’ériger l’article L.241-1 du Code des assurances, en loi de police.

Dans le cas où il recevrait la qualification de loi de police, il obligerait tout constructeur – sans distinction de nationalité et quelle que soit la loi de son pays d’origine-, désirant exercer sur le territoire français, à souscrire une police d’assurance décennale. En effet, l’article 3 du Code civil indique que « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire. Les immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française. Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger(120). »

Le Professeur Jean-Sylvestre Bergé, Professeur émérite dans le domaine du Droit international, européen et comparé, déclarait lors d’un entretien que
« la garantie décennale s’applique quelque soit la loi applicable au contrat d’entreprise, choisie par les parties, parce qu’elle a une assise territoriale, c’est-à-dire qu’elle s’applique aux constructions localisées en France. Le problème résulte dans le fait que ce n’est pas parce que la garantie décennale est une loi de police, c’est difficilement contestable, que nécessairement le régime d’assurance couvrant la loi de police sera le régime français d’assurance et de ce fait, effectué par une société française. »

Au vu, des développements précédents, le droit communautaire prime sur le droit interne des états membres. Or, les articles 1792 du Code civil et L.241-1 du Code des assurances peuvent constituer des lois de police permettant ainsi au droit interne, de recevoir application au détriment des normes édictées par l’Union Européenne.

Nous pouvons alors nous interroger quant à l’issue d’un conflit entre lois nationales et principes communautaires. En effet, l’intégration communautaire implique l’établissement d’un marché unique ayant ses propres principes, dont celui de liberté d’établissement et de libre prestation de service.

68 CJCE, 15 juillet 1964, Costa c/ Enel, C-6/64.
69 CJCE, 19 novembre 1991, Francovich et Bonifaci / Italie, C-6/90.
70 CJUE, Brasserie du pêcheur et Factortame, affaires jointes, 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93.
71 Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne
72 Ibid.
73 Article 4 TFUE.
74 Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne.
75 (G) Cornu, Vocabulaire Juridique, Association Henri Capitant, p.561.
76 Article 1792 du Code civil
77 Article L.241-1 du Code des assurances
78 Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
79 Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome 1).
80 COURBE Patrick, Droit international privé, 2 éd. Armand Colin, p.121.
81 COURBE Patrick, Droit international privé, 2 éd. Armand Colin, p.122.
82 COURBE Patrick, Droit international privé, 2 éd. Armand Colin, p.126.
83 Ibid.
84 COURBE Patrick, Droit international privé, 2 éd. Armand Colin, op. cit., p.126.
85 Avis de M. Guérin, avocat général, arrêt n°260 du 30 novembre 2007, www.courdecassation.fr, p.9.
86 Ibid.
87 Article 9, Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
88 Ibid.
89 C. Cass., ch. mixte., 30 nov. 2007 n°06-14006 ; C. Cass., 3è ch. civ., 08 avril 2008, n°07-10763 ; C.Cass., 3è ch. civ., 25 fév. 2009, n°07-20096.
90 AJACCIO François-Xavier et CASTON Albert et PORTE Rémi, « L’assurance construction », Le Moniteur, Juridique – construction, 2012.
91 PERREAU-SAUSSINE Louis, « Conflits de lois. – Contrat de sous-traitance. – Détermination de la loi applicable. – Loi de police. – Loi d’autonomie. – Loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance. – Article 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980. – Sous-traitant d’une société allemande. – Travaux confiés par une
société de droit français. – Chantier situé en France. – Action du sous-traitant à l’encontre du maître de l’ouvrage. », Journal du Droit International Clunet, n°4, octobre 2008, comm. 13.
92 Ibid.
93 Ibid.
94 Premières observations de la FFSA sur la compatibilité du système français d’assurance construction obligatoire avec les règles européennes applicables à la libre circulation des services dans l’Union Européenne, Direction des Affaires Juridiques, Fiscales et de la Concurrence, p.2.
95 C. Cass., ch. mixte., 30 nov. 2007 n°06-14006 ; C. Cass., 3è ch. civ., 08 avril 2008, n°07-10763 ; C.Cass., 3è ch. civ., 25 fév. 2009, n°07-20096.
96 C.A, Pôle 4, 6è ch., 8 avril 2010, n°07-17965.
97 Ibid.
98 BOUVIER Gérard et PILARSKI Charles, « Soixante ans d’économie française : des mutations structurelles profondes », division Synthèses des biens et services, Insee.
99 JACQUOT Alain, « Cinquante ans d’évolution des conditions de logement des ménages », La société française.
100 PERINET-MARQUET Hugues, « Un système en évolution », Colloque SMABTP du 14 octobre 2003.
101 PERINET-MARQUET Hugues, « Un système en évolution », Colloque SMABTP du 14 octobre 2003, p.5.
102 PERINET-MARQUET Hugues, « Un système en évolution », Colloque SMABTP du 14 octobre 2003, p.6.
103 Ibid.
104 Ibid.
105 Compte rendu intégral 92e séance, Débats Parlementaires Assemblée nationale, JO, 20 décembre 1977, n°123.
106 Compte rendu intégral 92e séance, Débats Parlementaires Assemblée nationale, JO, 20 décembre 1977, n°123, p.8967.
107 Ibid.
108 Compte rendu intégral 92e séance, Débats Parlementaires Assemblée nationale, JO, 20 décembre 1977, n°123, p.8968.
109 Ibid.
110 op. cit.
111 Compte rendu intégral 92e séance, Débats Parlementaires Assemblée nationale, JO, 20 décembre 1977, n°123, p.8967.
112 Centre d’éducation permanente de l’assurance, « Assurance construction, la nouvelle réforme », vendredi 15 avril 1983, p. 25.
113 Article 9, Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
114 Ibid.
115 Fédération Française du Bâtiment, « Le bâtiment en chiffres », juin 2011, www.ffbatiment.fr
116 Ibid.
117 Ibid.
118 www.insee.fr
119 Article 9, Règlement (CE) n°593/2008 du Parlement Européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
120 Article 3 du Code civil.

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