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Section 1 – Crainte d’une fraude à l’instigation du souscripteur du contrat d’assurance

ADIAL

Le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu définit la fraude au sens général comme de
la mauvaise foi qui traduit une intention frauduleuse, ou un acte accompli dans le dessein
de préjudicier à des droits que l’on doit respecter. C’est le sens de la fraude à la loi qui
retient notre attention. Celle-ci est définie comme « un acte régulier en soi (ou en tout
cas non sanctionné d’inefficacité) accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative
ou prohibitive et qui, pour cette raison, est frappé d’inefficacité par la jurisprudence ou
la loi. » (93) La fraude, en application de l’adage fraus omnia corrumpit, corrompt tout.

Elle est donc sanctionnée par la jurisprudence. Et nul ne peut se prévaloir de sa propre
fraude ou nemo auditur propriam turpitudinem allegans.

La fraude est donc employée pour contourner la loi. Il est question de fraude à
la loi en cas de détournement de règles d’ordre public ce qui est le cas avec l’article
L132-7 du code des assurances. Comme le rappelle le professeur Alain Bénabent, cette
fraude nécessite un élément matériel avec un acte qui contourne la disposition législative
impérative et un élément intentionnel avec la volonté de contourner celle-là. C’est en
application de l’adage précité fraus omia corrumpit que la jurisprudence sanctionne les
actes frauduleux.

Dans le cas présent la garantie du suicide est refusée sauf dans le cadre de la souscription
d’un emprunt en vue de l’acquisition d’un bien à titre de résidence principale. Les
dispositions sont impératives car d’ordre public. L’article L132-7 du code des assurances
exprime la crainte du législateur que si le suicide n’est pas privé de garantie, l’assuré ne
souscrive un contrat et se suicide en laissant ainsi aux bénéficiaires un capital beaucoup
plus important que la provision. C’est en cela qu’il y aurait fraude. Il convient alors de
déterminer s’il y a eu ou non préméditation. Celle-ci est définie (94) comme le dessein
réfléchi qui a précédé l’exécution d’un acte, c’est l’acte de préparer avec soin et calcul.

C’est en considérant l’acte comme prémédité donc obéissant à un dessein particulier
que l’on peut déterminer l’existence ou non d’une fraude. Nous avons précédemment pu
constater au cours de notre étude que certains facteurs étaient de nature à générer un geste
suicidaire indépendant de la volonté de l’individu. Ces sujets, s’ils pensent bien, au terme
d’une réflexion suicidaire à choisir le moment et la méthode pour passer de vie à trépas,
ne réfléchissent pas à l’acte en lui-même. Il n’y a pas de préméditation au sens strict. Ce
serait le cas si les candidats au suicide ne souffraient pas de trouble psychologique. Dans
un souci de rigueur intellectuelle il faut bien sûr reconnaître qu’une petite partie des
sujets concernés sont indemnes de ces troubles. C’est toutefois une minorité, trop faible
pour s’en inspirer dans le cadre d’un régime juridique du suicide. Comme l’explique
le docteur Jacques Postel (95) le suicide est soit un acte rationnel, exécuté en fonction de
considérations morales, sociales, religieuses, philosophiques ou personnelles, soit ou un
acte pathologique survenant au cours de l’évolution d’affections mentales, comme la
dépression, le délire chronique, la démence ou d’une crise existentielle aigüe.

Certains ont bien noté la différence, comme Axelle Astegiano-La Rizza qui note
qu’une préméditation exclusive d’aléa ne peut être déduite de la simple souscription
d’une garantie en cas de suicide. (96) Le professeur Beignier en tire une analyse qui nous
semble très juste : « l’article L132-7 du code des assurances est manifestement disproportionné
dans ses effets quant au but assigné : les suicidés sont des victimes, non
des fraudeurs. » (97) Une décision rendue par la Cour de cassation le 11 octobre 1994 est à
l’inverse particulièrement désolante : « mais attendu que l’arrêt a retenu qu’il résultait de
l’enquête de police que Jean-Paul Moinet était très dépressif, que cet état était antérieur
à la signature du prêt et à l’adhésion au contrat d’assurances de groupe ; qu’il était dû
en grande partie à l’alcool et expliquait que Jean-Paul Moinet ait fait plusieurs tentatives
depuis plusieurs mois ; que le mode de suicide choisi en était la preuve ; que la Cour
d’appel, qui a ainsi répondu aux conclusions invoquées, a estimé que Jean-Paul Moinet
avait consciemment voulu se donner la mort ». (98) Or une chose est de refuser la garantie
du suicide en raison du tempérament dépressif de l’assuré souscripteur, état antérieur à la
souscription, c’en est une autre de considérer que le tempérament dépressif constitue un
suicide conscient ! Le suicide n’est donc pas un acte « a priori intentionnel » comme a
pu le considérer Maître Molard dans son dictionnaire. Les dispositions de l’article L132-
7 ne sont donc qu’une mesure de précaution prise par le législateur.

93. Gérard CORNU, op. cit.
94. Le Petit Larousse, 1993
95. J. POSTEL, Dictionnaire de la Psychiatrie, 2011
96. Actu assurances, numéro de janvier-février 2012
97. Recueil Dalloz 2000 partie jurisprudence, commentaires
98. Cass, civ. 1ère, 11 octobre 1994

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