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Introduction

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Depuis le début des années 2000, l’émergence d’un certain type de film d’horreur a quelque peu dérouté les spectateurs et critiques de cinéma. Formule found footage déclenchée par le succès de The Blair Witch Project (de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, 1999), il fut rapidement possible d’aller voir dans ces salles devenues un peu plus obscures, de nombreux films héritiers de ce qui est aujourd’hui résumé à un effet de mode. Trouvant son apogée avec la sortie de REC (Paco Plaza et Jaume Balagueró, 2007), Paranormal Activity (Oren Peli, présenté en 2007 au Screamfest Horror Film Festival), Diary of the Dead (George Romero, présenté également en 2007 au Screamfest Horror Film Festival) et Cloverfield (Matt Reeves, Janvier 2008), cette vogue n’en était alors qu’à ses balbutiements. De moins en moins passagère, cette dernière est aujourd’hui surexploitée, exsangue, même si de plus en plus approfondie par les réalisateurs qui la mettent en jeu (nous pensons notamment à Chronicle de Josh Trank sortie cette année), et pourtant en grande partie mise de côté par la critique et les théoriciens.

Néanmoins, de nombreuses choses ont été dites sur ces films, dans la précipitation, presque dans l’urgence, sur leur mode de fonctionnement tout d’abord, et surtout sur ce qu’ils paraissaient emprunter, à droite et à gauche. Sans pour autant présager de l’intérêt que pouvait constituer The Blair Witch Project, les poursuivants ont souvent été la cible de raccourcis dépréciatifs, et aujourd’hui même dévalorisés alors que si peu appréhendés, étudiés. Nous verrons alors que les six films présentés ont mis en place l’évolution d’un dispositif bien particulier, et en ont véritablement relancé l’intérêt. Nous partirons ici de deux idées reçues, qui même si elles ne se révèleront peut-être pas totalement fausses, semblent au début de notre propos pour le moins simplistes, voire réductrices. La première est de considérer ce type de film en tant qu’il utiliserait la caméra subjective d’une manière conventionnelle (« je vois à travers les yeux d’un personnage ») ; la seconde, que le caractère immersif serait une pâle copie du système vidéoludique, des First Person Shooter (FPS) et autres jeux à la première personne.

L’ensemble lui octroie une sentence immédiate, celle d’une tentative d’immersion considérée comme archaïque : je m’identifie au monde du personnage car je vois « comme » lui, et devenu « spectateur-acteur », je peux désormais m’impliquer complètement dans le processus filmique. Il est vrai que la volonté d’établir un rapport immersif profond, entre le spectateur et l’univers représenté, est depuis longtemps l’une des ambitions de la production cinématographique, de nombreux films ayant pris part à la quête d’intégration du spectateur à l’intérieur du « système film », comme ceux du cinéma dit de la « transparence » ou encore des films ayant recours à la caméra subjective de manière plus ou moins spontanée. Pour certains, le cinéma s’évertuerait donc à jouer d’une ressemblance avec un système précis du jeu vidéo, même si l’on oublie un peu vite que des films ont depuis longtemps exploré les voies de la subjectivité totale (La Dame du Lac, Robert Montgomery en 1947 ou La Femme défendue de Philippe Harel en 1997). Le jeu vidéo semble quant à lui avoir réussi son pari en permettant au spectateur (acteur éventuel) de mettre à bas les frontières entre deux niveaux de réalité distincts (ici le réel et le virtuel), puisque l’acte même de jouer rend l’un et l’autre de ces espaces concomitants. Créant même un nouvel espace, celui institué d’abord par l’acte de jouer (espace en apparence inaccessible pour le spectateur de film).

Il serait alors bien aisé de dire que les différents films qui nous intéressent (The Blair Witch Project, REC, Cloverfield, Diary of the Dead, Paranormal Activity et Chronicle) utilisent pleinement ces procédés. Et pourtant n’importe lequel de ces films, que l’on peut facilement regrouper compte tenu de leurs modes de fonctionnement, nous permet de reconsidérer toutes ces données sous un nouvel angle. Si bien sûr il est ici question de subjectivité, d’immersion, de perception, ils mettent avant tout en forme un nouveau dispositif interne : il s’agit de suivre les différents protagonistes d’une fiction grâce à des caméras référencées comme telles par le récit, et uniquement grâce à elles (contrairement à des films comme Redacted réalisé par Brian de Palma en 2007 ou District 9, de Neill Blomkamp en 2009). Nous voyons ainsi grâce et à travers la caméra diégétiquement identifiée, sans pour autant que ce regard soit rattaché à un personnage, sans que le point de vue de quelqu’un d’autre n’entache notre vision. C’est comme s’il s’agissait alors d’une nouvelle forme de subjectivité, bien loin de celle mise en avant dans le système vidéoludique et d’autant plus éloignée de celle de la caméra subjective habituelle, puisqu’il se joue un double regard, du moins le pense t-on, celui de la caméra d’abord, du protagoniste ensuite (bien que les deux soient simultanés).

De ces premières propositions, nous dégagerons deux hypothèses : la première serait que l’utilisation de la caméra subjective trouverait ici une tout autre spécificité, et que l’on aurait aussitôt omis certains aspects primordiaux de ce nouveau dispositif en préférant y voir l’utilisation d’un procédé et d’un concept qui ne lui semblent pas tout à fait adaptés. En d’autres termes, il ne s’agirait plus de caméra subjective, notre regard de spectateur n’étant plus concentré sur la vision du personnage à proprement parler, mais induit par celle de la caméra. La seconde, à la lumière des aspects dégagés de notre première idée, serait de voir comment ce que nous désignons pour le moment comme une nouvelle forme de « subjectivité caméra » permettrait la création d’une toute autre expression des modalités de l’immersion. Les nouvelles dimensions octroyées à ce que Pascal Bonitzer définissait comme un « oeil sans âme »(2), sont tout autant édifiantes que les facultés induites par cette disposition inhabituelle. La caméra est au coeur de cette mutation, et dans la pleine responsabilité de ce potentiel. Mais alors comment, et cela sera la problématique qui englobera la totalité de notre travail, le devenir physique de l’entité-caméra dans l’espace filmique, son accession au pouvoir des grandes instances, pourrait-il induire un bouleversement des conditions de vision ? Comment la focalisation sur, et par la caméra amorce-t-elle la transition vers d’autres expressions du visible ?

Ce type de cinéma a permis, et nous le verrons en détail, de réhabiliter les fonctions et attributs cinématographiques. Que cela soit dans la visibilité des procédés de création, ou dans la nouvelle place dédiée à celui qui filme et celui qui voit, un retour à la source s’opère, et bien qu’il s’agisse toujours dans l’histoire d’un film en train de se faire, il en résulte la création d’une nouvelle image, différente de celle que l’on côtoie habituellement. En termes d’immersion, de définition de la place de spectateur par rapport à l’image, il sera nécessaire de voir l’impact de cette image « contemporaine » sur les spectateurs de notre époque. Car même si nous vivons dans une société saturée par l’image, notre rapport à elle évolue, ce que révèle la création de cet « entre-deux monde » propre au jeu vidéo et que semblent atteindre les films de notre corpus, d’une manière bien différente. Cette tentative de créer un nouvel espace où spectateur et image cinématographique parviennent à se rejoindre n’a jamais été aussi vraie qu’aujourd’hui, la force étant que cette mutation se fait en pleine considération du médium cinématographique (il nous faudra caractériser cette jonction). On pourrait donc se demander comment l’évolution des liens entre spectateur et image permet au cinéma d’étendre ses frontières jusqu’à notre réalité, bien plus que par le simple biais de la zone écranique, dans une société où réel et virtuel tendent à se confondre.

Désormais sensibles à établir une différence entre l’objectivité et la subjectivité de l’« appareil », il nous faudra revenir sur la capacité que peut avoir la caméra à entretenir ou non un rapport objectif avec le réel et donc sur l’aptitude du cinéma à parler du réel dans notre monde. Peut-il rester le plus « réaliste » des arts dans cette époque du tout visible ? Tout en connaissant la difficulté de cet art en pleine reconsidération de son potentiel et devoir réaliste, ayant la volonté de ne plus simplement « faire croire » à la réalité de ses images. Nous ne tenterons d’ailleurs pas de savoir s’il faut croire à la réalité de cette image ou bien à l’image de la réalité, débat depuis longtemps épuisé, car le problème semble désormais bien plus complexe : faut-il croire à l’image comme réalité ? C’est-à-dire croire à l’efficience du visible comme système, comme quelque chose qui engendrerait une réalité dans son sens le plus pragmatique.

D’où l’intérêt de soumettre notre étude à une échelle du paraître vrai que le film peut fournir. Émergence donc d’une nouvelle dimension du cinéma, avec une caméra oscillant à la fois entre une vérité cinématographique potentielle et une trahison fictionnelle assurée (une fiction met en oeuvre par principe une feintise, sauf qu’ici la fiction semble profondément rejetée) : on sait très bien que ce qui se joue devant nous n’est pas réel et pourtant il semble se révéler quelque chose. C’est d’ailleurs sur ce double point qu’il faudra nous arrêter, celui du cinéma-vérité et du faux documentaire (désigné par Agnès Varda par le mot valise « documenteur ») en travaillant sur les différences fondamentales entre notre corpus et ces types de cinéma, les deux ayant des frontières poreuses ; de même que des films comme Borat (Larry Charles, 2006) ou C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, 1992) se rapprochent ostensiblement des films de notre corpus, en ce qu’ils prennent en compte la caméra dans leur dispositif. Même si, et c’est là où se tient peut-être l’enjeu principal, les effets de caméra, de « faux-montages », les questions de temporalité et d’espace sont bien différentes, tant la présence et l’importance de la caméra dans notre corpus rendent la forme particulièrement originale.

Il nous faudra impérativement passer par la question du cinéma de genre, entendu comme cinéma d’horreur et fantastique, puisque les questions de visibilité et de perception y sont usuelles. Partir ainsi d’études sur ce type de cinéma, de la question de la suggestion et de la monstration, pour établir les bases d’une forme iconographique qui dépasserait ces deux caractères, et supposerait l’exploration d’une nouvelle part du champ. S’arrêter enfin sur l’enjeu du visible et de l’invisible, du « montré » et du « suggéré » dans le cinéma fantastique et d’horreur, pour tenter de voir comment ce genre de dispositif parvient à retravailler les limites de ce qui est « donné à voir », du perçu et de ce qui sera « donné à vivre ». Alors, plus que de traiter de la question du point de vue, il nous faudra traiter de la question de la visibilité, de ce que l’on voit, ce que l’on ne voit pas, que l’on ne peut pas voir, sans omettre le rapprochement entre voir et savoir, et donc d’un rapport à la connaissance qui passerait par la vision. Sans oublier que l’on voit ce que l’autre (le personnage) ne peut pas voir, tout en sachant ce que la caméra nous permet de voir ou ce qu’au contraire elle dérobe.

Parallèlement à notre étude du genre horrifique (surtout pour tenter de trouver un point de convergence), nous traiterons de la question du cinéma amateur, en ce qu’il s’exécute ici comme un style à part entière. Complétant les différents points abordés précédemment, cette étude du cinéma amateur permettra de comprendre quelle forme peut revêtir la contamination de l’espace spectatoriel. Nous pourrons de ce fait commencer à saisir le dynamisme et la vitalité inhérents à la volonté de filmer de ces « amateurs de la réalité », et créer un lien intense avec le cinéma, et ce qu’il peut être profondément. Nous verrons dès lors si l’aspect found footage(3) ne serait pas cet état conjoint du film d’horreur et amateur, à même de générer un espace cinématographique à la « frontière ». Un espace où, à la lumière des spécificités de cette « focalisation caméra », de simples gestes comme un regard caméra ou un décadrage prendraient un sens nouveau dans un espace entre différents types de réalité. L’image acquiert alors un statut bien différent, en lien avec l’indépendance et l’efficience de la caméra, comme le seul objet à même d’améliorer la vision, d’offrir la vérité à son détenteur. En effet, les films du corpus s’attachent à garder une trace (rushes retrouvés), à revenir sur l’image en tant qu’elle conserve (retour en arrière) et en ce qu’elle vérifie (vaut pour preuve).

L’utilisation faite de la caméra dans ces films permettant de réaliser le vieux rêve du film impossible : celui d’un cinéma qui n’atteint la perfection qu’en s’identifiant totalement avec l’aventure de son tournage. Même si notre sujet ici n’est pas entièrement consacré au procédé du found footage, il est indéniable qu’il permet de considérer certains éléments primordiaux à notre démonstration, et nous amène à soulever un dernier problème : comment se forment les images ?

Comment se forment les images, et où se forment-elles ? Comment la place de cette nouvelle « entité-caméra » peut-elle intervenir dans la création de cette image ? Ce type de cinéma ne semble plus refléter la réalité, mais en inventer une part non négligeable, ou plutôt la réinventer. La caméra déclencherait-elle le phénomène, engendrerait-elle le paranormal ? La focalisation caméra permettrait dès lors d’entrevoir un au-delà des frontières, où il ne serait plus simplement question de réalité et de fiction, de vrai ou de faux, de réel ou d’irréel. En effet, dans ce nouveau mode de consommation de l’image, la structure du cadre, de l’écran, de l’image, d’entrée de jeu suppose un choix, une séparation entre ce qui est montré et ce qui est caché, une organisation de l’espace visible, et plus largement une mise en place de ce que nous appellerons le « territoire de vision ». Peut-être que les films de notre corpus parviennent à tendre vers une toute nouvelle forme de lien avec le spectateur, une nouvelle forme d’échange.

Ce territoire de vision, espace de rencontre entre le film et son spectateur, où le trajet et la place de ce dernier seront à préciser, nous permettra aussi de chercher dans les champs de l’énonciation. Pour caractériser la relation entre le sujet et l’objet de la perception, la vision du cinéaste et le regard du spectateur, nous tenterons de savoir si le regard que nous portons sur le monde du film est le nôtre, celui du cinéaste, ou celui d’un autre personnage ? Tout en s’attachant à ce que François Jost définit comme l’« ocularisation »(4), en étudiant la relation entre ce que montre la caméra et les instances du récit, narrateur ou personnage.

Entre visible et invisible, les films de notre corpus travaillent sur ces zones mortes de l’image, ce qui nous permet d’émettre une dernière hypothèse sur notre travail : le cinéma, avec la focalisation caméra, deviendrait un instrument fantastique, pas seulement du fait que son histoire et son mécanisme soient en lien étroit avec la peur de la vision, l’horreur de voir, mais par la suggestion d’un arrière monde, puis sa présentation là où la caméra semble devenir le personnage central du film. Cette « nouvelle » caméra se tient au coeur de l’altérité des mondes représentés où ce qui fait peur, ce n’est plus de ne pas voir, mais savoir que l’on va voir ce qu’il nous est impossible de voir habituellement : l’objet à la frontière, le phénomène(5). Avec une caméra devenue lentille, super oeil, mais pas seulement vu sa capacité à être indépendante, à connaître et à révéler en fin de compte les faiblesses de son porteur. Plus encore, c’est cette ouverture sur ce qui semble être un au-delà du regard que nous tenterons de cerner, sur ce que nous révèle le regard médiatisé, sur les dimensions qu’il offre, aux personnages et plus généralement à nous spectateurs, devenus intermédiaires et exécutants principaux du dispositif. Comme nous l’avons précédemment avancé, notre intérêt ne portera pas sur la caméra subjective (communément entendue comme le fait qu’un spectateur s’identifie au regard d’un personnage), mais sur le fait de savoir réellement ce que peut nous offrir ce nouveau mécanisme, avec une caméra comme nouveau mandataire du visible et des connaissances, comme nouvelle forme des possibles, et ainsi voir ce qui dans l’image nous regarde.

2 Pascal Bonitzer, Le champ aveugle, Essais sur le réalisme au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 1982, rééd. Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma, 1999, p. 65.
3 Littéralement « séquence trouvée ».
4 François Jost, L’oeil-caméra : Entre film et roman, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, coll. Regards et Ecoutes, 1987, 2ième édition 1989, p. 18. 5 C’est-à-dire ce qui apparaît dans l’horizon perceptif, mais qu’on ne peut identifier, déterminer.

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