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INTRODUCTION

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Ce mémoire propose une réflexion sur les publics de fans de séries télévisées, et sur la façon dont la passion qu’ils entretiennent pour ces dernières, influent leurs modes de vie et leurs goûts. Le but est de nous interroger quant à la relation qui tend à s’établir entre les téléspectateurs investis et les programmes dits « de culte » qui sont les leurs. Par « téléspectateurs investis », on entendra plus particulièrement les individus qui, outre le fait de regarder un programme à la télévision, développent des pratiques liées à celui-ci, et ont un attachement profond pour son univers. L’essor d’internet a considérablement modifié les habitudes et les usages des téléspectateurs et des internautes, et par conséquent des fans. En France, l’enquête d’Olivier Donnat(1) montre qu’en 2008, 56% des français utilisaient un ordinateur à des fins personnelles. Parmi eux, près d’un tiers se connectaient tous les jours. Ce pourcentage élevé témoigne de cet intérêt croissant pour les loisirs issus des nouvelles technologies. L’enquête souligne par ailleurs que le temps d’utilisation à des fins autres que pratiques (Études, travail…) se creuse selon l’âge des utilisateurs. Ils sont en effet 89%, de 15 à 24 ans à se connecter à des fins personnelles, contre 56% de 45 à 54 ans, en 2008, sur une période d’un mois. De ces résultats, ressort la façon dont les jeunes nés avec l’ère du numérique, s’approprient plus massivement l’outil informatique. Il en est de même avec internet, puisque 91% des jeunes âgés de 15 à 19 ans et 85% de ceux âgés entre 20 et 24 ans utilisent internet pour leurs loisirs, contre 38% des 55/64 ans. Il est important, avant de nous interroger sur les pratiques des fans, de comprendre que de tels chiffres ne sont pas anodins. A travers les exemples et les définitions que nous verrons dans ce mémoire, il s’agira de relever à quel point les dispositifs du numérique sont essentiels pour les pratiques quotidiennes (culturelles, sociales…) des fans.

Le rapport des français avec la télévision est encore plus fort, puisque 98% d’entre eux la regardent fréquemment en 2008. Malgré le poids de ce pourcentage, un constat est mis en exergue par Olivier Donnat. Il s’agit de la diminution du temps consacré à la télévision chez les téléspectateurs âgés entre 15 et 24 ans. Cette tranche d’âge correspond en effet à la génération qui a grandi avec internet, et qui a appris à allier une multitude d’écrans dans ses loisirs. De ce fait, et parce que l’accès à internet en haut-débit a explosé au début des années 2000, les internautes ont naturellement appris à diversifier les supports de leurs loisirs, et même à les allier, comme se propose de l’étudier ce mémoire.

Les séries télévisées quant à elles, ont triomphé sur le petit écran, et occupent aujourd’hui, une majorité des primes-time. Grâce à l’essor du nombre des chaînes et l’apparition des services câblés, on assiste dans les années 1980, à une véritable explosion de leur popularité et du nombre d’heures dédiées à leur diffusion à la télévision. C’est à cette époque qu’Aaron Spelling construit son empire, avec des séries aussi cultes que Dallas et Dynastie. Petit à petit, surtout à partir des années 1990, avec l’apparition de séries plus centrées sur les jeunes de 15 à 25 ans (Beverly Hills, Melrose Place, puis Buffy contre les vampires et Dawson par exemple), le genre va devenir incontournable. On rajeunit la cible des séries, pour toucher toute la génération des « Digital Natives », qui baigne dans un monde multi-écrans depuis son plus jeune âge. Depuis les années 1990, les séries télévisées ont connu de nombreux renouveaux, mais il s’agit néanmoins de soulever certains mécanismes qui appuient la façon dont la forme reste inchangée : les séries évoluent, mais leurs thématiques restent les mêmes (Médecine, campus, démons, politique…). Plus que jamais, le genre constitue un vecteur d’identité culturel décisif. Les séries abordent des sujets qui sont pensés pour faire échos à la société dans laquelle vivent leurs téléspectateurs, que ce soit sur le plan politique, social ou culturel. Elles fidélisent surtout, un public autour de l’histoire et par conséquent, des valeurs qui y sont liées. Les éléments caractéristiques de la série (la personnalité des individus de fiction, leur style vestimentaire, les musiques qui habillent les épisodes) deviennent récurrents et familiers (plus particulièrement) aux fans, qui se les approprient. Ainsi, il n’est pas rare de voir les groupes et musiciens des bandes originales, demeurer en bonnes places parmi les artistes préférés du publics de fans, ni les objets de merchandising figurer parmi leurs accessoires fétiches.

Le travail sur les « fan studies » a commencé à se développer au cours de ces vingt dernières années, notamment autour des communautés de fans dédiées à certaines oeuvres littéraires et cinématographiques majeures (dans le sens où elles ont remporté un succès immédiat et international). Les chercheurs ayant travaillé sur cet objet d’étude (Janet Staiger, Henry Jenkins, Umberto Ecco, pour ne citer qu’eux) ont fait le constat que les oeuvres de « culte » étaient majoritairement issues de la culture populaire. C’est la raison pour laquelle, choisir les séries télévisées comme étude de cas, semble particulièrement opportun. Les fans de séries sont particulièrement actifs sur internet. On retrouve en effet le succès des séries sur le web, puisque les espaces numériques offrent aujourd’hui des lieux de rencontre pour les fans, qui discutent et partagent ainsi leurs théories et leurs opinions, sur des forums, des sites non-officiels et les réseaux sociaux. En cela, le web apparaît comme un acteur essentiel pour les téléspectateurs et en particulier pour les fans de séries.

Le premier impact de l’arrivée du numérique, que ce soit en France où dans le reste du monde, concerne l’accès des utilisateurs à une grande partie des contenus – notamment culturels. Internet a en effet permis à l’information d’être démocratisée et accessible, que cela concerne l’information d’actualité ou les savoirs plus généraux. La difficulté de ce flot incommensurable et continu, réside dans la nécessité d’organiser ces informations pour pouvoir les exploiter. Le web s’enrichit de 1 à 7 millions de pages chaque jour(2), et le nombre de références dès lors que l’on tape un mot clé dans un moteur de recherche, n’a de cesse d’accroître. Parmi elles, le nombre de pages personnelles et d’informations mises en ligne par le grand public est considérable. Internet est aujourd’hui un « réseau d’expression et de communication » incontournable. D’expression d’une part, car il s’agit d’un « réseau de réseaux »(3). En tant que tel, le dispositif internet dépasse les frontières et les limites géographiques, politiques et économiques fixées par les sociétés dans lesquelles les individus s’inscrivent. Internet permet de communiquer plus facilement d’un bout à l’autre du monde, et donne la possibilité à quiconque l’utilise, de s’exprimer librement. Il s’agit d’autre part d’un réseau de communication, de par la profusion des sites de socialisation en tout genre qui s’y développent. Des réseaux sociaux aux forums de discussion, Internet permet en effet d’échanger avec ses « amis » et de nouer de nouvelles relations autour – par exemple – de sujets d’intérêt communs. Ces deux aspects, que sont l’expression et la communication, se retrouvent dans de nombreux dispositifs du web, et sont à l’origine de l’apparition de plusieurs millions de communautés de fans.

La télévision depuis sa création, a toujours constitué une figure de lien social fort, à l’oeuvre dans le processus de démocratisation culturelle. Si internet est un média à part entière, on peut aussi dire qu’il est complémentaire aux autres médias, et à la télévision en particulier. Les fans, comme nous le verrons dans ce mémoire, sont les premiers téléspectateurs à s’en servir, pour assouvir leur besoin de vivre pleinement leur passion en ayant des pratiques culturelles et sociales liées à leur objet de culte. Internet créé justement du lien social, et renforce entre autres, le contact entre les différentes générations. Ce point commun nous amène à observer le rapport complexe qui existe entre la télévision et internet, et à nous intéresser aux différents types de publics, et d’usages. Internet créé du lien social, et de plus en plus de contenus, permettent aujourd’hui aux téléspectateurs de poursuivre leur expérience de réception d’un programme sur le web. Grâce à de nombreux sites, on peut observer que les amateurs d’un programme peuvent se retrouver sur Internet, pour partager autour de celui-ci. La toile regorge d’espaces communautaires, où s’incarne une nouvelle représentation de soi et où apparaissent des débats et des discussions animées autour d’émissions, de séries et d’autres programmes télévisés. Ce mémoire s’intéresse à la façon dont les fans de séries télévisées utilisent ce lien qui unit la télévision et internet, et à la façon dont ils tendent à développer des pratiques susceptibles d’influencer ou d’orienter leurs goûts et leurs modes de vie au quotidien.

La passion des fans s’installe de sorte que différents degrés et types d’influence peuvent être étudiés. Que ce soient d’un point de vue social, en observant le temps passé devant son écran d’ordinateur à échanger avec d’autres fans ou au niveau de ses goûts, directement prescrits par la bande originale de sa série préférée, le téléspectateur « fan » développent des pratiques connexes à celle-ci. Dire des fans que leurs goûts sont en partie, prescrits par leur passion, ne signifie pas nécessairement qu’ils sont naïfs et incapables de trouver d’autres prescripteurs. Ces représentations relèvent de stigmatisation tenaces qu’il s’agit, dans ce mémoire, de relever et d’expliquer. Enfin, être fan, c’est aussi dans de nombreux cas, se poser comme un « artiste » : de fictions dont le cadre est posé par la série, mais aussi d’oeuvres vidéo, de graphiques, de sites internet etc. Internet permet ainsi aux fans de créer du contenu, de le partager sur la toile, et même de créer ensemble au sein d’une communauté. Youtube par exemple, se pose comme un site d’hébergement, de partage et d’échange social particulièrement engageant, puisqu’il peut conférer à ses utilisateurs une certaine notoriété, grâce au nombre d’abonnés à un usager en particulier par exemple, mais aussi grâce aux nombre de personnes ayant visionné une vidéo. Les fans de séries sont particulièrement friands de Youtube. On peut en effet voir que les utilisateurs qui hébergent des vidéos sur une série (essentiellement les plus plébiscités et les plus vues) sont tous reliés entre eux par le biais des dispositifs du site, qui leur permettent non seulement de s’abonner entre eux, mais aussi de devenir «amis». Ces mécanismes leur permettent de voir les mises à jour de chacun et de voir quelles sont leurs activités sur Youtube (Quelles sont les vidéos qu’ils regardent, qu’ils commentent et qu’ils notent). Naissent ainsi des communautés de «Youtubers» qui communiquent et développent leur fibre artistique avec deux objectifs principaux: Partager leur passion d’un programme ou d’un aspect en particulier de celui-ci (un couple, un événement, un personnage…) et exprimer leur créativité et leur vision des choses.

Youtube, comme les autres sites communautaires, se transforme alors en véritable «village global»(4), un lieu de rendez-vous où les internautes affichent leur passion et se connaissent, à travers le monde.

L’intérêt d’analyser les pratiques de fans sur internet, et leur relation avec l’oeuvre qui les passionne, réside dans ce positionnement «à priori» légitime qui place les institutions (La télévision en générale, mais aussi ses composantes que sont les programmes et les chaînes) comme dominantes, face à la «sphère publique» que décrit Eric Macé(5). Pour le sociologue, le public et les médias ne sont pas sur le même plan. «Le contre-public subalterne» se développe au sein d’un réseau propre, avec souvent ses propres supports médiatiques». Il est intéressant de voir que ces rôles sont bouleversés grâce à internet, mais aussi et surtout, grâce à l’engagement d’un public bien particulier, puisque investi dans les programmes de la télévision. Les fans seuls, développent des pratiques qui leur sont propres, et ensemble, mènent des combats pour rendre visible leur attachement à une série.

De ce fait Ce mémoire part du postulat que la réception d’une oeuvre culturelle par un public d’amateurs, s’accompagne d’expériences d’usages au quotidien. Les modes d’appropriation sont particulièrement intéressants à étudier, lorsqu’il s’agit d’un public de fans.

L’attachement à l’oeuvre se traduit alors par une réception personnelle, puis communautaire, où l’expression sociale apparaît comme un besoin culturel. L’oeuvre, qui s’inscrit comme fédératrice et identitaire pour un groupe de fans, met en lumière la façon dont les fans se l’approprient sur le plan socioculturel. Que signifie « être fan de » ? Cette question met en relief la valeur et la manière dont le fan lui-même va se définir, consciemment ou inconsciemment, par rapport à l’objet culturel dont il est passionné. Cette mise en valeur pose un certain nombre d’interrogations : La façon dont un fan se définie dans la société dépend-t-elle de son attachement pour l’oeuvre culturelle en question ? Ses goûts sont-ils influencés par les éléments et l’univers qui la caractérise ? Fait-il étalage de son savoir sur l’oeuvre ? Juge-t-il la culture en fonction de son objet de culte ? Ces questions sont le point de départ de la problématique suivante : Comment le culte d’une série télévisée orchestre-t-il les modes de vie des fans ?

L’objectif est d’analyser les différents rapports aux oeuvres qui existent, et l’industrie culturelle qui s’est développée autour des fans. Ce deuxième point permettrait de voir dans quelles mesures, les fans suivent cette organisation de marché pour affirmer leurs goûts, et leur attachement pour l’oeuvre. L’expression sociale d’un public de fans s’illustre par le fait que son intérêt pour l’oeuvre culturelle « déborde » du cadre de réception pure. Le public d’un film de cinéma par exemple, a conscience que son intérêt pour celui-ci dépasse la salle de cinéma et le moment de la projection. Le public de fans va construire un discours autour du film, l’analyser peut être, ou créer à partir de celui-ci. Le but de ce mémoire est de mesurer l’intensité de ce « débordement » affectif, afin d’étudier la façon dont les éléments caractéristiques d’un objet culturel vont s’intégrer dans ce qui définit l’individu au quotidien.

Ce mémoire essaiera de décoder la signification de ces appropriations d’objets de culte, et de comprendre en quoi la passion que l’on peut avoir pour un programme, peut façonner la personnalité d’un public établi. Que ce soit par le biais de nos goûts, qui vont être orientés par rapport aux contenus du programme, ou par une façon d’être et de s’investir. L’intérêt de ce mémoire, est, en d’autres termes, de comprendre dans quelle mesure les séries peuvent être prescriptrices de nos goûts et plus encore : jusqu’à quel point elles peuvent construire notre personnalité. A titre d’exemple, nous pourrons notamment nous intéresser à la musique et à la façon dont des genres musicaux imposés par une série vont permettre à des fans de découvrir, d’apprécier et de s’approprier un univers musical. En ce sens, l’étude de l’industrie culturelle liée aux oeuvres de culte participe et encourage cet enthousiasme communautaire, et définie en partie ce que nous appellerons un « fan investi ». Le rapport aux productions industrielles joue un rôle important dans le degré d’investissement, et dans les rapports sociaux que les fans vont avoir entre eux. Nous ne nous intéresserons pas à une série en particulier, mais aux séries américaines en général, car elles dominent aujourd’hui sur le petit écran français, et constituent un modèle économique et culturel de réussite, ancré dans nos connaissances et adopté par notre quotidien.

Après une typologie détaillée de la signification du terme « fan », nous nous intéresserons donc aux pratiques de ceux-ci, et nous essaierons de voir en quoi le programme peut avoir un impact sur leurs modes de vie. Ce travail sera illustré et enrichi d’une enquête par questionnaire sur les fans de la série Supernatural, diffusée lors d’une convention à Paris.

1 DONNAT Olivier (2008) « Les pratiques culturelles des français à l’ère du numérique », La Découverte.
2 JOST François (Sous la direction) (2009) « 50 Fiches pour comprendre les médias », Bréal.
3 http://barthes.ens.fr/scpo/Presentations99-00/Bjorstad/index.html
4 Expression empruntée à Marshall McLuhan dans «Pour comprendre les médias», 1964.
5 MACE Eric (2006), «As seen on TV, les imaginaires médiatique: Une sociologie post-critique des médias», Amsterdam.

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