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I. Définitions et spécificités par rapport à un public « lambda »

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A. Les « Fan Studies » : définitions de quelques auteurs clés

Resserrer une étude sociologique autour de publics particuliers de la culture est un processus courant, mais qui peut également s’avérer laborieux. Le travail sur les publics de fans a commencé à se développer au cours de ces vingt dernières années, notamment autour des communautés de fans dédiées à certaines oeuvres littéraires, cinématographiques et musicales majeures (dans le sens où elles ont remporté un succès immédiat et massif) et populaires. Mais c’est véritablement l’avènement de la télévision et le couronnement des séries télévisées, qui comme nous le verrons plus loin, ont été propices au développement de l’investissement du public d’amateurs. Le rapide développement des activités de fans grâce à internet, a permis à ce public bien spécifique de véritablement apparaître comme intéressant et incontournable, en sociologie de la culture.

Certains auteurs se sont penchés sur la discipline qui consiste à analyser les publics de fans. Leurs définitions et leurs différentes approches, nous permettrons de mener une étude de la réception et d’appréhender le rapport qui les lie à un objet culturel issu de la télévision.

L’année 1992 marque le temps durant lequel les sociologues de la culture ont commencé à faire passer les fans, au centre de l’analyse des publics de la culture. Ils leur confèrent ainsi une légitimité nouvelle, et tentent de comprendre et d’interpréter les formes d’appropriation qui leur sont propres. Henry Jenkins est un sociologue américain et, (entre autres) directeur du département d’études comparatives de média au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dans son ouvrage Textual Poachers: Television Fans and Participatory Culture(9), il fait ressortir un certain nombre de conclusions permettant de donner une première définition de la notion que nous travaillons. Celles-ci correspondent notamment à un ensemble d’activités qui sont propres au public de fans. Un fandom s’illustre par ailleurs, par un mode de réception particulier. Si cette première réflexion semble évidente, la traduire en pratiques l’est moins. H. Jenkins met l’accent sur ce besoin des fans de critiquer et d’interpréter dans le détail, l’oeuvre culturelle qu’ils admirent. Il relève par ailleurs le fait que les communautés de fans possèdent leurs formes propres de productions culturelles, de traditions et de pratiques. Il s’agit de souligner, à travers cette idée, que le mode d’appropriation propre au public des fans se créé à partir de l’objet de culte. Celui-ci distille des valeurs et rassemble ses plus fidèles (télé)spectateurs autour de pratiques communes. Enfin, H. Jenkins conclue que les caractéristiques des fandoms peuvent en faire une forme de communauté sociale alternative. Il s’agit ici de voir que le rapport à l’oeuvre tend à modifier les relations sociales des individus, qui vont se définir par rapport à une dimension collective basée sur un même intérêt. Chaque membre d’une communauté de fans va agir, penser, débattre et soutenir des modes de vie où la passion et la connaissance de l’objet de culte constitue un référent essentiel. Celui-ci, comme l’explique Lisa A. Lewis dans son livre The Adoring audience: fan culture and popular media(10) leur permet de s’illustrer dans des activités propres à leur condition de fans : Écrire des récits dérivés de l’oeuvre qu’ils aiment (et que l’on appelle fan fiction), dessiner, s’essayer aux montages vidéos, créer un blog ou encore disséquer et analyser l’objet télévisé.

Nous pouvons compléter cette analyse, par la définition que donne le théoricien Stanley Fish(11) des « communautés d’interprétation ». Il s’agit de considérer qu’un collectif va réagir de la même manière, face à un objet culturel et symbolique. Les stratégies d’interprétation s’illustrent pareillement pour un groupe qui possède un vécu similaire, ou des clés spécifiques communes pour « recevoir » une oeuvre. Lorsque nous parlons des fans d’une série télévisée, il s’agit donc de considérer ceux-ci comme liés au sein d’une même communauté, où les stratégies communes résultent d’une appréciation et d’un engagement particulièrement fort.

C’est donc le savoir et la capacité d’analyse qui en découle, qui vont permettre aux fans d’un même programme télévisé, de se sentir appartenir à une communauté. L’auteur et universitaire Matt Hills(12) (insiste particulièrement sur la notion d’engagement et sur les différents niveaux par lesquels celui-ci se manifeste. Cet engagement, dans tous les cas, va audelà de la réception du programme et de l’assiduité du téléspectateur. L’implication se traduit par un attachement profond et des pratiques liées au programme : il peut s’agir de découvrir et d’approfondir sa connaissance de l’univers en faisant des recherches et en développant son savoir analytique. Il peut également s’agir des discussions, débats et autres relations que l’on va développer autour de ce même objet culturel, ou créer à partir de celui-ci. Cet engagement, quel qu’il soit, implique que les fans transmettent une culture et des règles de comportement propres à celui-ci. Philippe Le Guern(13) quant à lui, tend à montrer que les fans se développent autour d’oeuvres issues de la culture populaire. L’étude des fans « participe au renouvellement » des études liées à cette culture souvent stigmatisée à l’état de médiocre. Les fans sont des connaisseurs d’oeuvres de la culture populaires, et participent à la création de codes d’interprétation qui permettent de donner un nouveau sens à l’oeuvre, de la rendre plus riche. On peut parler d’une réception « créatrice » pour aborder ce phénomène qui permet de rendre compte de la capacité des fans à s’emparer d’un objet de culte pour y allouer leur savoir analytique et produire du contenu en lien avec celui-ci. Enfin, parlons de Dominique Pasquier(14), sociologue des médias, dont les travaux montrent que la télévision constitue le médium dont les programmes sont les plus propices aux échanges, et les plus aptes à développer des pratiques collectives. La télévision correspond en effet à ce que Jean-Pierre Esquenazi(15) appelle un objet de « ritualité », puisque se développent autour des pratiques télévisées, des rituels de consommation et des besoins d’échanges autour de ses contenus.

Nous reviendrons sur cet aspect des programmes de culte, dans une prochaine partie. Les éléments de définition que nous venons d’aborder nous permettent de visualiser d’ores et déjà le type de téléspectateur auquel ce travail de mémoire s’intéresse. Les approches scientifiques ne suffisent pourtant pas à effacer ces visions du public de fans, qui persistent dans l’imaginaire collectif. Ces stigmatisations perdurent et constituent peut-être la raison pour laquelle aujourd’hui, les travaux sociologiques commencent à peine à affluer. Les traits sont grossis, et les qualificatifs se maintiennent autour de certains grands critères de définition. La partie suivante abordera ces différentes représentations que l’on retrouve couramment accolées à la notion que nous explorons.

B. Les différentes représentations des « fans »

La sociologie s’est beaucoup intéressée aux questions de normes, à la déviance et aux stigmatisations. Pour comprendre cette dernière notion, notamment travaillée par Howard Becker(16) dans son ouvrage Outsiders, il est important de nous intéresser à ce que les deux autres termes signifient. L’édition 2012 du dictionnaire en ligne Larousse(17) définie une « norme » comme « une règle, un principe, un critère auquel se réfère tout jugement ». La déviance est un comportement qui s’inscrit par rapport à la norme. On parle de « déviance » pour aborder le comportement d’une personne qui s’éloigne des normes admises au sein de la société dans laquelle elle évolue. Pour qu’il y ait déviance, il faut donc qu’il y ait des normes, un comportement jugé transgressif par rapport à celles-ci, et un processus visant à stigmatiser cette transgression. Les définitions que nous pouvons apporter à ce processus de stigmatisation sont particulièrement vastes, mais nous retiendrons les critères émis par Goffman(18) à ce sujet. Un « stigmate » se traduit par « la situation de l’individu que quelque chose disqualifie et empêche d’être pleinement accepté par la société » pour désigner certains individus porteurs d’éléments de déviance. Ceux-ci s’inscrivent donc dans un processus d’exclusion sociale, comme si les attributs de déviance, les figeaient dans une catégorie d’individus spécifiques et reconnaissables. Attribuer des mots pour signifier le type de déviance d’un individu, revient à essayer de définir l’identité de celui-ci : aussi bien sur le plan social que sur le plan personnel (les éléments de déviance correspondant à l’image que l’on renvoie aux autres).

Parler de stigmatisation pour aborder ces représentations courantes auxquels sont sujets les publics de fans, revient à soumettre l’idée selon laquelle ces derniers sont des individus déviants. Ce constat pose d’abord la question des transgressions que nous leur octroyons dans l’imaginaire collectif. En effet, comme nous l’avons vu, la déviance est vue comme un élément d’exclusion sociale, ou en tout cas comme un comportement allant à l’encontre des normes. Sachant que les fans se définissent par un pacte de réception particulièrement fort, où ils s’impliquent dans l’objet de culte en développant des usages autour de celui-ci, il s’agirait de définir la norme comme le pacte de réception primaire : celui qui consiste simplement à « recevoir » une oeuvre télévisée au moment où celle-ci est diffusée. Dès lors, la déviance se caractérise par cet investissement, qui s’illustre par un attachement profond et « débordant ».

Plusieurs représentations sont assimilées à cette façon spécifique d’appréhender l’objet culturel. Elles correspondent à autant de stigmatisations que nous allons essayer d’expliquer.

a. Obsession et démesure

La première représentation sur laquelle nous nous arrêtons correspond à la plus courante. Il s’agit de celle qui dénonce le fan comme étant un individu naïf et dont l’engagement s’inscrit dans la démesure. Le terme de « fan » est une contraction du mot anglais « fanatic » [fanatique en français], qui sous-entend un « dévouement absolu et exclusif, un attachement passionné, et un enthousiasme excessif pour quelqu’un ou quelque chose »(19). L’ensemble des adjectifs qualificatifs employés ici, suffit à comprendre la représentation que nous nous efforçons d’explorer. Il s’agit en fait de dénoncer, par le biais de ces admirateurs investis, tout un penchant de la société moderne, dans laquelle des dysfonctionnements révélateurs se manifestent. Dans cette vision relativement manichéenne du monde, les fans transgressent l’ordre normé de l’attachement à une oeuvre culturelle en y joignant des pratiques plus poussées. Les fans sont déviants et en quelques sortes « exclus » du monde social. Ils correspondent aux « autres » et renvoient par conséquent, à une catégorie négative d’individus. Pourtant, s’il est vrai que cette image continue d’être étiquetée aux fans, il n’en résulte pas moins que ces derniers correspondent à un ensemble de personnes très étendu. A l’image des paroles de Jean Claude Passeron à propos de la culture populaire, quand la sociologie s’attaque aux publics de fans, « la morale s’en mêle ». En effet, traiter la culture populaire est souvent source de débats où le populisme doit faire face au légitimisme. Les idées collectives ne prennent pas le rapport au nombre comme prétexte lorsqu’il s’agit des publics de fans, et la sous-exploitation de cette catégorie de public en matière de recherche scientifique n’aide pas à rétablir une quelconque vérité contraire. Les fans demeurent pour beaucoup, des spectateurs naïfs et des dévots culturels.

Ainsi, pour prendre un exemple concret, un fan d’une star de la chanson aura au sein de la société, l’image d’un individu obsédé par celle-ci, sujet à une véritable dévotion marquée par des désirs spécifiques : acheter tout ce qui se rapporte à la star, se vêtir de façon semblable, étaler sa passion ou encore ne faire qu’en parler, avec un enthousiasme démesuré. Bien sûr, il est important de dire que les stigmatisations prennent sources dans des agissements existants. Ceux-ci sont cependant exacerbés pour les besoins des représentations qui en découlent.

b. Pathologie et dépossession de son identité propre

Le mot « symptôme » est utilisé pour parler d’une maladie ou d’une pathologie, telle qu’elle se manifeste chez un individu. Il renvoie à une affirmation subjective qui nécessite d’être confirmée ou infirmée par un examen médical. En psychologie, on parlera de symptôme pour aborder la place qu’un individu occupe dans la société dans laquelle il vit, ainsi que pour établir son rapport à celle-ci. Joli Jensen(20), enseignant-chercheur à la faculté de communication, au sein de l’université de Tulsa, parle de « symptôme pathologique » pour décrire la façon dont les fandoms peuvent être perçus. Un peu comme un prolongement de la personnalité, l’attachement à un objet culturel va orienter le mode de vie et la place sociale de l’individu.

Celui-ci, qui peut être qualifié de déviant, se verra aussi attribuer par certains de « dangereux ». En effet, faire constamment la différenciation entre « nous » (les téléspectateurs dits normaux) et « eux » (les fans), peut entraîner ce genre de caractérisation. Celle-ci peut s’expliquer par cette habitude élitiste qui consiste à se mettre en valeur par rapport à un groupe d’autres individus qui va percevoir l’oeuvre d’une certaine manière. La normalité du « nous » apparaît ainsi comme raisonnable et saine, tandis que le culte d’amateurs est perçu comme pathologique.

Le terme de « pathologie » est souvent assimilé à celui d’aliénation, pour désigner le fan. Celui-ci est vu comme quelqu’un de solitaire, qui subit l’influence des médias et qui développe une intense relation avec une oeuvre pour laquelle il peut devenir obsessif. Cependant, le fait que les fans soient identifiables, nombreux et liés à autant d’oeuvres culturelles qu’il n’en existe, peut laisser penser qu’il s’agit d’une nouvelle norme culturelle, témoignant d’une réalité à la fois sociale et psychologique. La normalité des téléspectateurs « lambda » se caractérise, tout comme la déviance des fans, par un besoin de s’identifier à des personnages.

Il s’agit en effet de combler un manque par le biais d’un rattachement à l’autre. Le processus d’identification permet de nous construire en tant qu’individu et par rapport aux autres.

Ainsi, si le fan ressent ce besoin d’une façon plus marquée, cela n’en demeure pas moins, un mécanisme « normal ». Cette façon qu’il a de développer davantage cette nécessité peut résulter d’une fragilité plus importante dans la construction de son identité propre et sociale. Les degrés de « fanitude » dépendent de l’importance de ces fragilités. En effet, il s’agit de distinguer parmi ces fans, les adolescents des adultes (dont la démarche n’est pas la même (plus réfléchie, moins fragile…)) et la « groupie » du « stalker ». Ce dernier terme désigne un individu que l’obsession pour un artiste peut conduire à se montrer dangereux. Nous parlerons donc de pathologie pour marquer la différence entre des degrés d’attachement. Il y a « fan » et « fanatique ». Il y a « groupie » et « stalker ». Voir les fans comme des gens dangereux résulte le plus souvent, de cette absence de distinction entre ces degrés menant à la pathologie et au danger.

c. Rôle d’expert et phénomène de mode

Être fan, nous l’avons vu, a le plus souvent une connotation négative. Le rapide développement des technologies numériques a vu apparaître et s’accroître de nouvelles pratiques culturelles sur ces nouveaux supports. Ces nouvelles pratiques s’expliquent par cet accès des utilisateurs à une grande partie des contenus – notamment culturels. Internet a en effet permis à l’information d’être démocratisée et accessible, que cela concerne l’information d’actualité ou les savoirs plus généraux. La difficulté de ce flot incommensurable et continu, réside dans la nécessité d’organiser ces informations pour pouvoir les exploiter. Le web s’enrichit de 1 à 7 millions de pages chaque jour, et le nombre de références dès lors que l’on tape un mot clé dans un moteur de recherche, n’a de cesse d’accroître. Parmi elles, le nombre de pages personnelles et d’informations mises en ligne par le grand public est considérable. Internet est aujourd’hui un « réseau d’expression et de communication » incontournable. D’expression d’une part, car il s’agit d’un « réseau de réseaux ». En tant que tel, le dispositif internet dépasse les frontières et les limites géographiques, politiques et économiques fixées par les sociétés dans lesquelles les individus s’inscrivent. Internet permet de communiquer plus facilement d’un bout à l’autre du monde, et donne la possibilité à quiconque l’utilise, de s’exprimer librement. Des réseaux sociaux aux forums de discussion, Internet permet en effet d’échanger avec ses « amis » et de nouer de nouvelles relations autour – par exemple – de sujets d’intérêt communs. Ces deux aspects, que sont l’expression et la communication, se retrouvent dans de nombreux dispositifs du web, et sont à l’origine de l’apparition de plusieurs millions de communautés.

A partir de là, il est donc facile sur Internet, de se développer en tant qu’individu social. Les fans se caractérisent par un engouement personnel, mais aussi par des mouvements de foules, et par la recherche de semblables avec qui partager et s’engager dans différents degrés de productions sémiotiques. Le web apparaît comme l’interface la plus efficace pour permettre aux fans de s’intégrer aux communautés liées aux intérêts qui les animent. Avec internet, ils accèdent aux forums et autres réseaux de partage qui les mettent en relation avec d’autres fans, mais se donnent aussi la possibilité d’afficher leur savoir et de partager leurs théories à propos de l’oeuvre qu’ils admirent. Du fait même qu’Internet offre aux téléspectateurs « fans » la possibilité de vivre pleinement leur passion, on peut constater (ou tout du moins suggérer) qu’ils sont particulièrement à l’aise pour y évoluer en tant qu’individus numériques. On parle aujourd’hui de « génération Y » pour aborder ceux et celles qui ont grandi avec ces nouvelles technologies (ordinateurs, téléphones portables, jeux vidéo…), et qui naviguent aisément sur la toile. Si cette expression désigne un comportement souvent assimilé à une appartenance générationnelle (les 15/25 ans), elle ne désigne en revanche pas l’ensemble des fans, dont l’âge n’apparaît pas comme un déterminant décisif. Il faut pour cela, admettre que l’âge des fans dépend davantage de l’oeuvre de culte, qui apparaît comme l’une des caractéristiques principales pour analyser les publics de fans.

Les fans peuvent se retrouver sur internet, comme dans la réalité, à travers notamment, les fanclubs. Qu’ils soient sur internet ou dans la vie réelle, les espaces communautaires ont pour vocation de remplir ces besoins de partage et d’épanouissement de soi. Il est cependant important de souligner le fait que l’essor d’internet a ouvert l’accès et renforcé le sentiment d’appartenance des fans. Ces derniers, une fois réunis au sein de communautés virtuelles, partagent des valeurs autour d’un intérêt commun. Sur Internet, il existe aujourd’hui un nombre conséquent de pages de fans dédiées à l’oeuvre ou à une partie de celle-ci. Ce développement est particulièrement important, car il rend compte de l’importance que les technologies du numériques ont aujourd’hui, en particulier lorsque l’on est fan. Il s’agit véritablement d’outils permettant de se réaliser et d’exister vis-à-vis de sa passion.

Cette partie nous donne à voir que la majorité des activités dédiées à une série en particulier sur internet, repose sur l’intérêt que lui porte une minorité de personnes : Les fans. Aussi, il s’agit de souligner le fait que ces passionnés sont pourvus d’enjeux identitaires fortement liés à la société contemporaine dans laquelle ils évoluent. Leur engagement leur permet de s’inscrire en tant que véritables experts dans leur domaine. La passion se transforme ainsi en vecteur identitaire, élément de construction de soi et pivot essentiel pour la série elle-même, puisque son image est avant tout véhiculée par ces amateurs fidèles. Comme nous le verrons dans une prochaine partie, les fans sont au coeur du fonctionnement des marchés économiques qui entourent le programme. Lorsqu’il s’agit d’une série en particulier, les amateurs investis demeurent les premiers à pouvoir en parler de façon riche, détaillée et fournie. Non seulement parce qu’ils ont des pratiques liées à la série (le désir d’approfondir leurs connaissances sur le sujet) mais aussi parce qu’ils théorisent à partir de celle-ci. Les fans prennent à coeur leur rôle d’« expert », puisque comme le montre l’enquête effectuée auprès du public de fans de la série Supernatural, c’est majoritairement ainsi qu’ils définissent le fait même d’être fan.

Question 25 : Pour vous, que signifie « être fan » ?

Pour vous, que signifie « être fan »

*Sur les 55 personnes interrogées, 87 réponses différentes sont apparues.

Comme le montre ce tableau, 26,44% des individus interrogés définissent leur condition comme le fait d’être « passionné » par la série, et comme le fait de tout savoir, en suivant l’actualité. Si de nombreuses représentations subsistent quant à la notion de « fan », les principaux intéressés se définissent comme des experts, et revendiquent uniquement cet aspect positif.

Si aujourd’hui, le « fan-expert » est l’une des représentations les plus courantes, c’est donc grâce à la montée en puissance des industries culturelles et des nouveaux moyens de communication qui permettent une plus large diffusion de leurs pratiques. Cette reconnaissance donne lieu à de nombreux stéréotypes. Les fans sont souvent assimilés aux « geeks ». Ce mot anglicisé désigne un type d’individus répondant à un certain nombre de caractéristiques. La première est leur attachement à l’informatique et la fréquence d’utilisation élevée et quotidienne qui rythme leur vie(21). Les individus geeks baignent dans un contexte culturel et informatique particulier : ils sont désignés ainsi, car ils développent des pratiques expertes de la technologie, basées sur un fond de culture issu des oeuvres littéraires, cinématographiques, musicales, télévisuelles… Le stéréotype du geek regroupe donc les individus qui jouent aux jeux vidéo de façon intensive, pratiquent les jeux de rôle régulièrement, et s’intéressent à un objet culturel avec un intérêt poussé et souvent illustré de pratiques qui y sont liées. Ce dernier trait tend à expliquer pourquoi les fans sont souvent assimilés aux geeks. Soulignons également le fait que le développement des sites de streaming sur internet a contribué à compléter la définition du geek : il est aujourd’hui de ceux qui regardent les épisodes de séries directement après leur diffusion dans leur pays d’origine. Comme les fans, ils s’assurent ainsi une connaissance et une réactivité particulière vis-à-vis du programme, et apparaissent en quelques sortes comme les héritiers précurseurs de la culture qui les anime.

Pour rejoindre la première représentation que nous avons mise en avant, la culture geek a longtemps eu une connotation négative, le terme « geek » renvoyant à l’image du rat de laboratoire, prisonnier d’un univers de connaissance que le commun des mortels ne comprend pas. Aujourd’hui, c’est bien d’une « culture geek » dont nous parlons. Il ne s’agit plus d’une appellation renvoyant à certains individus écartés de la société, mais d’une expression relayant l’idée d’un mouvement identitaire propre à une génération de « digital natives ». Cette définition correspond donc aujourd’hui davantage à une tranche d’âge qu’à un cercle fermé pourvu d’une représentation péjorative : en tant que tel, l’archétype du fan-geek est devenu une spécificité que l’on retrouve fréquemment dans les schémas narratifs, à la télévision en particulier. Plusieurs exemples illustrent ce phénomène de popularisation : la série américaine Chuck, diffusée aux États-Unis sur la chaîne NBC, témoigne de cet intérêt portée à l’image du fan et geek pourvu d’une certaine représentation auprès du grand public.

Le personnage principal mène un boulot ennuyeux dans une boutique de matériel informatique, jusqu’au jour où l’ensemble des informations secrètes d’une agence fédérale lui sont transférées dans le cerveau. Il devient alors un espion, mais conserve sa fraîcheur et son attachement pour tout ce qui constitue son univers, notamment culturel : sa passion pour Star Wars de Georges Lucas, mais aussi pour l’informatique et pour les jeux de rôle avec son meilleur ami. Le personnage de Chuck regroupe tous les éléments caractéristiques de l’étiquette que nous avons étudié. De plus, il est important de nous arrêter sur la décision d’attribuer cette spécificité au héros de la série. Comment en effet, concevoir que cette représentation souvent jugée péjorative soit aujourd’hui en vogue, au point de porter un personnage (et par surcroît, une série) au succès ? L’une des réponses tend à expliquer ce phénomène par l’expansion rapide et massive des médias de masse, outils de prédilection des fans. Pour en revenir à la problématique de cette étude, il convient d’appuyer le fait que si la culture s’inspire de ces caractéristiques que portent les publics de fans, l’inverse s’applique également. Les fans aujourd’hui utilisent les moyens de communication à leurs portées, pour revendiquer leur appartenance à un groupe communautaire affilié à l’oeuvre culturelle dont ils sont les amateurs. Ce processus d’auto-légitimation est d’autant plus flagrant que la culture accepte et porte au rang de héros, les publics de fans.

C. Rituels, valeurs et expériences de réception : une approche sociologique

La problématique de ce mémoire met l’accent sur la façon dont assez naturellement, les fans sont influencés par la série télévisée qu’ils admirent. Le terme « d’influence » renvoie l’idée que quelqu’un ou quelque chose modifie ou adapte les normes de comportement des individus. Ici, il s’agit de la série télévisée et de l’univers qui la fait vivre.

Ces éléments d’influence peuvent être les styles vestimentaires des personnages de fiction, ceux des musiques entendues dans les épisodes, ou bien comme nous allons le voir dans cette partie, l’existence de rites sociaux autour de la réception du programme.

Avant de nous intéresser à cette notion sociologique essentielle, il est important de nous pencher sur ce que les séries télévisées signifient aujourd’hui, dans la société occidentale contemporaine. Pendant longtemps, comme l’explique Jean Pierre Esquenazi dans son ouvrage sur les séries télévisées, le genre des séries était perçu comme « dégradant » et « commercial » uniquement. Aujourd’hui, l’explosion du nombre de séries télévisées et le temps d’antenne conséquent qu’on leur accorde, témoigne clairement de l’enthousiasme qu’elles provoquent. Les séries télévisées sont des sujets de discussion au même titre que le cinéma ou la littérature. En France, depuis le début des années 2000, période à laquelle on associe cette évolution massive du genre, les séries ont les meilleurs taux d’audience à la télévision. Si d’une part, cet engouement coïncide avec l’avènement d’Internet, il s’agit également de noter qu’il réunit autour de programmes devenus fédérateurs, toutes les classes sociales et tous les âges. Il convient donc d’aborder l’éclatement des séries télévisées comme un véritable mouvement populaire. En rassemblant tous les âges, il s’inscrit dans le quotidien des français, comme un rendez-vous. Un rendez-vous souvent familial et un élément de construction et de coalition de la vie collective.

En matière d’apprentissage culturel, la famille s’inscrit souvent comme le premier prescripteur de goûts. Le « vivre ensemble » et la confiance mutuelle sont des éléments qui favorisent la création d’habitudes. En tant que tel, il est important de souligner l’idée de François de Singly(22), qui en 2005, parle de la famille comme d’un « instrument de développement personnel ». Lorsqu’il s’agit de l’expérience de réception, le noyau familial garantit donc un moyen pour les fans, de se réaliser en tant qu’individus passionnés. Ceux-ci, parce que leur implication et leur attachement pour la série sont plus grands, peuvent avoir besoin de l’assentiment donné par le groupe familial, pour se réaliser en tant qu’êtres sociaux et spectateurs épanouis. Ajoutons que la notion de rituel, comme nous allons le voir, est protégée et encouragée par la famille, dont la régularité est une symbolique forte.

Pour Erving Goffman, il y a deux façons d’analyser le rite social. Il s’agit d’une part de voir l’ensemble des rituels propres à un individu. Il s’agit par ailleurs d’interpréter la signification du rite accompli, en fonction des situations. On peut dire, dans le cadre de cette deuxième méthode, que le rituel se spécialise, s’adapte et devient commun à une situation donnée. Il s’agit alors d’un processus encadrant « une fonction interactionnelle ». E. Goffman(23) parle de « rituel » pour aborder la façon dont l’individu va contrôler « les implications symboliques lorsqu’il se trouve en présence d’un objet qui a pour lui, une valeur particulière » [Goffman 1974 : 51] Dans ce mémoire, la notion de rituel nous intéresse, car l’attachement que les fans ont pour une série télévisée, se traduit notamment par le besoin de créer des habitudes. C’est d’ailleurs, comme la prochaine sous-partie essaiera de le montrer, le rôle de l’aspect sériel (ou feuilletonnant) : créer des habitudes autour d’une diffusion réglée et régulière.

Pour les fans, le rituel ne passe pas seulement par le besoin d’être au rendez-vous (ceci peut sembler être une évidence), mais par l’adoption d’actes intimement liés à la série qu’ils regardent : ce que Goffman appelle une implication symbolique liée à un objet ayant une valeur particulière. Cette analyse du rituel selon Goffman se retrouve dans l’enquête par questionnaire que nous avons passé auprès des fans de la série Supernatural. A la question « avezvous des rituels, des petites habitudes lorsque vous regardez un épisode ? », les réponses sont mitigées. Même si cela ne représente pas la majorité des personnes interrogées, on peut constater que 45, 5 % d’entre elles avouent avoir des habitudes liées à l’expérience de réception du programme.

Question 8 : Avez-vous des rituels, des petites habitudes lorsque vous regardez un épisode ?

Avez-vous des rituels, des petites habitudes lorsque vous regardez un épisode

Sachant qu’un public de téléspectateurs “lambda” a par définition, un attachement moins marqué pour une série en particulier, on peut penser que ses habitudes « propres » à la réception de ce programme trouveraient un pourcentage bien inférieur à celui-ci. Ceci souligne l’importance des rituels chez les publics de fans, et par extension : la place et l’importance que la série prend dans leur quotidien (le besoin de rituel apparaît parce que la série a une valeur spéciale). Cette question était suivie d’une réponse libre permettant aux fans de préciser leurs habitudes s’ils en avaient :

Question 8 (suite) Si oui, lesquels ? (plusieurs réponses possibles)

Si oui, lesquels (plusieurs réponses possibles)

Ce tableau, qui complète les premiers résultats obtenus, donne à voir plusieurs éléments intéressants. La première partie du questionnaire, intitulée « fréquence et place occupée par la série » est soulignée par la réponse la plus citée, ici. 20% des réponses données correspondent en effet aux conditions de réception. Deux types de conditions ont été donnés par onze personnes : le fait de vouloir être dans un lieu calme et de ne pas vouloir être dérangé, et le fait de vouloir éteindre les lumières de la pièce pour recréer une ambiance intime entre eux et la série télévisée. Les conditions de réception correspondent au besoin de retrouver un univers pour lequel nous éprouvons un attachement particulièrement fort. Elles sont par ailleurs l’illustration de l’approche en réception, telle que la sociologie de la communication et des médias s’y intéresse. Il s’agit en effet d’étudier ce que les gens font avec les médias, et dans notre cas : quels usages les fans font-ils des séries télévisées ? La sociologie de la réception doit pouvoir s’analyser à partir de questionnements très concrets : que font les téléspectateurs lorsqu’ils regardent la télévision ? Cette partie du questionnaire nous aide à soulever et à comprendre les pratiques relatives au fait d’être fan. Trois réponses arrivent ensuite à égalité pour six personnes différentes à chaque fois : le moment de la diffusion, qui semble être la première habitude liée à la réception du programme. Les personnes ayant donné cette réponse précise le jour et le moment de la journée à laquelle ils ont l’habitude de regarder l’épisode. Si pour la plupart, nous pouvons faire le lien avec la diffusion américaine de l’épisode (le regarder le samedi après sa diffusion aux Etats Unis, le vendredi), d’autres ont un jour lié aux valeurs familiales dont nous avons parlé : le regarder en famille. A chaque fois, il s’agit de voir qu’il y a une véritable prise de décision par rapport au fait même d’être fan.

La deuxième réponse est celle qui correspond à « manger » pendant l’épisode. Certains précisent qu’ils mangent toujours la même chose les jours de diffusion (pizza, friandises…), confortant ainsi l’hypothèse qu’il y a une véritable dimension symbolique quant aux pratiques liées à la réception. Manger le même plat/aliment le même jour pour chaque nouvel épisode renvoie au besoin de régularité et de rituel. Pour Emile Durkheim(24), les rites sont des éléments du sacré, dont l’interprétation donne à voir une conception personnelle et propre du monde, tel que nous le concevons par rapport à des dogmes ou des objets qui nous entourent. Il convient ici de voir l’objet de « culte » comme un objet « sacré ». Les deux mots appartiennent d’ailleurs au lexique religieux et permettent de souligner le respect et l’importance que revêtent certains objets culturels dans la vie des publics investis. Ils correspondent à des points de repères que nous complétons de rituels, et qui permettent de les enrichir et de les vivre plus intensément. La troisième réponse est la plus intéressante aux vues de ce que ce mémoire se propose d’étudier. Six personnes (soit 24% des personnes admettant avoir un rituel) ont pour habitude de manger des M&M’s pendant la diffusion d’un épisode. Comme nous ne cessons de le voir, la notion de rituel renvoie pour les fans, à une symbolique liée à la valeur de l’objet. Les fans de la série Supernatural, dont nous avons étudié les pratiques de réception, ont donné ici, une réponse précise et directement liée à l’univers de la série. L’étude de celle-ci nous apprend que l’un des deux personnages principaux, mange régulièrement des M&M’s et s’en amuse dans plusieurs épisodes. Si un seul fan avait donné cette réponse, il aurait été difficile de la relier à cette référence particulière de la série. 24% en revanche, est une donnée qui nous permet d’émettre l’hypothèse qu’il s’agit bien là pour les fans, d’un clin d’oeil et surtout, d’un rituel symbolique propre à leur attachement pour la série et son univers. Sur les six réponses, quatre d’entre elles sont par ailleurs complétées de la précision : « comme Dean » (le personnage en question). Il s’agit de voir ici, un processus d’identification passant par un acte symbolique et rituel, lié à l’expérience de réception des fans. Manger tel aliment en référence au personnage, est une manière de revendiquer sa condition de fan de la série. Il est intéressant de voir dans cette réponse, un processus d’identification au personnage, à un modèle qui ne peut pas être réduit à un déterminisme culturel. La notion d’identification rend compte d’un processus similaire sur plusieurs personnes ayant un attachement identique pour la série. Un processus qui naît donc de la passion que l’on a et que l’on cultive (par ce genre de petits rituels), mais qui traduit aussi un besoin de marquer des points de repère dans sa vie, en fonction de la série, et ce, grâce à des références mises en pratique dans le quotidien. On pourrait interpréter ces petites habitudes liées aux séries, comme étant propres aux publics de fans.

D. Aspect feuilletonnant : fidéliser le « noyau dur » du public

Nous l’avons évoqué, le désir d’associer régularité et rituels à un objet de culte résulte pour les fans, d’une nécessité pour se retrouver et s’épanouir. Il s’agit donc bien d’un besoin. Les séries télévisées sont particulièrement propices à l’accomplissement de celui-ci, de par le genre même des oeuvres fictionnelles qu’elles constituent. En effet, comme le rappelle Jean-Pierre Esquenazi(25) dans son ouvrage sur les séries télé, c’est grâce à leur aspect « feuilletonnant » que celles-ci arrivent à fidéliser leur public. L’aspect sériel, c’est ce qui va tenir le téléspectateur en haleine, et l’amener à une nouvelle étape, à chaque saison. On peut parler de ce processus comme d’une « rhétorique féconde »(26), puisque l’argumentation des séries se construit autour du « pacte de réception » que nous avons déjà évoqué. Il s’agit de développer une histoire et un suspens, grâce à l’aspect feuilletonnant qui va pousser le téléspectateur à prendre la décision de revenir à chaque nouvel épisode. On parle donc d’un pacte rhétorique entre le public et la série télévisée, car la forme que prend l’objet culturel donne à celui-ci, l’envie de revenir et de continuer à regarder le programme. La configuration de la série créé de nouveaux rapports sociaux entre les publics et l’oeuvre, puisque les téléspectateurs prennent une décision et attendent le retour de celle-ci avec une certaine impatience. Dès lors, l’étude des grilles de programmation des chaînes de télévision française s’avèrent très intéressantes :

Si nous prenons l’exemple de TF1, et que nous regardons la grille TV pour la semaine du 18 au 24 juin 2012, nous pouvons constater deux choses : d’une part, quatre « prime-time » sur 7 sont occupés par des séries télévisées. Par ailleurs, toutes les secondes parties sans exception donnent à regarder des séries (en général, des rediffusions).

Grille des programmes de TF1, du 18 au 24 juin 2012

Grille des programmes de TF1, du 18 au 24 juin 2012. (source : www.tf1.fr)

Jean Pierre Esquenazi écrit : « Chacun construit ses rendez-vous, qui répartissent les heures d’écoute pour chacun des membres du groupe familial et qui respectent l’ensemble des habitudes… » [Esquenazi ; P.19]. On peut interpréter le fait que si la plupart des séries sont diffusées en France en début de soirée, c’est parce qu’il s’agit de l’heure d’écoute qui rassemble le plus grand nombre d’individus devant un poste de télévision. Comme nous l’avons vu, les séries constituent les meilleures audiences, et les plus grands succès des chaînes hertziennes en France. Le choix des programmateurs de les diffuser à ces moments de grande écoute, participe à la création de moments dits « cérémoniels » ou « rituels ». Pour les fans entre autres, dont le besoin de rendez-vous régulier est si important, cela constitue une stratégie pertinente et révélatrice de leur positionnement dans la société d’aujourd’hui. Les séries télévisées sont accordées aux rites familiaux et individuels, et la ponctualité correspond à l’un des facteurs pouvant influencer les téléspectateurs à apprécier une série plus qu’une autre, à développer des pratiques ou des usages autour de celle-ci, et à en devenir fan.

Pour comprendre le rôle et les impacts de l’aspect sériel sur les fans, il faut remonter à un genre autre que les séries télévisées. Depuis l’invention de l’écriture, l’industrie culturelle n’a eu de cesse de se développer et de s’enrichir. Au XIXe siècle, la presse écrite est le médium privilégié de communication. Elle permet d’une part, de démocratiser la vie publique, mais est aussi rendue plus accessible grâce aux progrès techniques tels que l’impression et la diffusion. (Notons dès lors, une volonté de rendre populaire, un art d’abord jugé comme élitiste). C’est dans le contexte d’un essor grandissant de l’écriture qu’apparaissent les romans feuilletons. Ils sont indexés dans la presse dite « sensationnaliste », et se caractérisent par de la fiction très longue et nécessitant d’être coupée et diffusée sur plusieurs exemplaires.

Ces coupures ont pour effet de fidéliser le lectorat et d’élargir la cible à des classes plus populaires. Au départ, si les romans feuilletons étaient des romans existants découpés pour être publiés dans la presse (Balzac, Dumas…), ils se sont rapidement développés pour n’être plus que des oeuvres issues de l’imaginaire collectif, en vue de ces publications dans la presse.

Le succès de l’aspect feuilletonnant est tel, que la presse utilise ce procéder pour communiquer les faits d’informations (on met en scène des faits divers pour les faire durer plus longtemps). L’une des conclusions émanant de ce début du genre, est que le pouvoir médiatique ne passe jamais outre les réseaux et les influences sociales déjà constituées. Le message médiatique n’est rien s’il n’est pas pris en relais par des leaders d’opinions. Les séries télévisées fonctionnent selon le même constat : elles fonctionnent parce qu’elles font appels à des rapports sociaux (la vie en communauté, la famille…) existants et se développent via des configurations spécifiques élaborées par des institutions télévisées puissantes et légitimes. On peut parler de programmes « fédérateurs » à des heures « fédératrices » et particulièrement propice à la constitution et au maintien d’une base solide de fans.

9 JENKINS H. Textual Poachers: Television fans and participatory culture, Routledge, 1992.
10 LEWIS L. A., The Adoring audience: fan culture and popular media (p. 12), Routledge, 1992.
11 FICH S., Is there a text in this class ? Cambridge, Harvard university press (p. 171) , 1980.
12 HILLS M. Fan Cultures (Sussex Studies in Culture and Communication)
13 LE GUERN P. Dans le monde des fans, Sciences Humaines n°170 Qui a peur de la culture de masse?) 2006.
14 PASQUIER D. La culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents, La maison des Sciences de l’Homme, 1999
15 ESQUENAZI J.-P. Les séries télévisées – l’avenir du cinéma ? Armand Colin, 2010. (P.27)
16 BECKER H. Outsiders, Metailie, 1991.
17 Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/norme/55009 (consulté en février 2012)
18 Goffman E. Stigmates – Les usages sociaux des handicaps, Ed. De Minuit, 1975 (P.7)
19 Dictionnaire Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/fanatisme/32811 (consulté en février 2012)
20 JENSEN Joli dans l’ouvrage de LEWIS L. A. The Adoring audience: fan culture and popular media (p. 09), Routledge, 1992.
21 Annexe p 89
22 DE SINGLY F. Le soi, le couple et la famille, Armand Colin, 2005. (P.10)
23 GOFFMAN E. Interaction Ritual: Essays on Face to Face Behavior, New York, 1974. (P.51)
24 DURKHEIM E. Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, Quadrige, 5e édition, 2005
25 op. cit. Note 15 (page 15)
26 http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00681910 le 14/06 (Consulté en mars 2012)

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