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CHAPITRE II : LA DEMANDE DU CONSOMMATEUR

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INTRODUCTION : L’APPROCHE PAR LA DEMANDE DE CARACTERISTIQUES TROP SOUVENT LIMITEE A UNE APPROCHE MARKETING

Les divers modèles de la différenciation des produits qui ont développé une théorie de la demande du consommateur évoquée en terme de caractéristiques ont en effet été limités aux domaines du marketing et de la publicité. Lancaster présente lui-même, dans son modèle de base(129), le fait que le diagramme présenté, qui met en relation caractéristiques et produits, permet d’obtenir une analyse de l’entrée sur le marché d’un nouveau produit, le niveau de prix optimal, ainsi que les effets des variations de prix sur le choix du consommateur ou les effets des publicités, dont le rôle est d’optimiser la distribution des informations afin de compenser les effets négatifs sur la transparence du marché de la multiplication des caractéristiques qui y sont proposées. Le passage entre ce modèle de Lancaster et le marketing se fait en effet sans peine. Son modèle permet en effet d’appréhender le bien-fondé d’une volonté pour un producteur de connaître au mieux le marché sur lequel il se place, et ce modèle permet de mettre en relief les caractéristiques à développer dans le produit, ainsi que le prix correspondant à ce montant de caractéristiques.

Le modèle de Metcalfe et Saviotti(130) tente cependant de dépasser cette considération en un “développement d’indicateurs des outputs d’innovation technologique”(131). Comme nous l’avons vu, les auteurs considèrent non plus une matrice de caractéristiques, concept relativement floue selon eux, mais un ensemble de matrices : une matrice des caractéristiques du process, une autre des caractéristiques techniques et une troisième des services rendus. Ce système permet selon les auteurs de passer vers une analyse de l’évolution de la technologie.

Cependant, Lancaster a apporté un nouveau point de vue sur la demande du consommateur, en affinant l’analyse de type de choix de celui-ci. Les deux grandes nouveautés de Lancaster sont le vecteur de caractéristiques demandées par le consommateur et le diagramme de détermination du bien que celui-ci choisira. Le vecteur permet de déterminer le choix du consommateur en définissant de façon exhaustive l’ensemble des caractéristiques de base insérées dans le bien et en le comparant aux caractéristiques nécessaires à l’assouvissement d’un besoin.

Le modèle permet aussi de montrer que le choix ne s’effectue pas sur un bien particulier pour l’utilité intrinsèque qui lui est subordonnée, mais il se fait sur un bien parce que celui-ci lui propose de manière optimale l’ensemble des caractéristiques dont le consommateur a besoin(132). Le diagramme permet de comprendre le choix du consommateur et donne la possibilité pour le producteur de se placer sur le marché avec une bonne connaissance des besoins particuliers de chaque individu.

Le précédent modèle(133) nous présentait la différenciation comme étant subie par le consommateur et poussé par le producteur. Un modèle dominé par les caractéristiques suit une logique opposée. La concurrence monopolistique présentait un marché sur lequel un certain nombre de producteurs proposaient un produit et le consommateur avait alors à choisir entre ces différents produits. On peut comparer ce système de marché à un grand magasin dans lequel on propose au consommateur les produits disponibles dans un rayon, et le consommateur fait son choix en fonction de ses besoins. Dans un modèle de type de celui de Lancaster, ce sont les producteurs qui doivent se placer sur le marché en fonction des besoins de caractéristiques des consommateurs. Dans le grand magasin, ce serait les consommateurs qui se trouveraient dans les rayons à indiquer les caractéristiques voulues et les producteurs qui se dirigeraient vers les consommateurs correspondant le mieux au caractéristiques qu’ils proposent dans leurs biens.

Ce chapitre a pour objet de développer plusieurs impacts de la nouvelle théorie de la demande du consommateur. Dans un premier temps, nous pouvons percevoir les liens indéniables qui existent entre le modèle lancasterien et le marketing, pour ensuite voir les correspondances entre la théorie de la demande de caractéristiques et une nouvelle approche plus intégrée du marketing.

I – LE MODELE DE LANCASTER ET LE MARKETING

Comme nous l’avons vu précédemment(134), le modèle de Lancaster se bâtit en trois étapes : la mise en place des produits sur le diagramme puis l’élaboration de la frontière de caractéristiques en fonction des prix des biens et enfin le choix du consommateur par l’intersection entre le diagramme et la courbe d’indifférence. Nous pouvons ajouter une quatrième étape dans le cas où le producteur propose un nouveau produit sur le marché. Le marketing, par son statut d’entité dont l’objet est de déterminer les choix des consommateurs, a rapidement été un des aboutissements logiques du modèle de Lancaster(135) – avec bien entendu la différenciation spatiale développée par Lancaster.

Les définitions traditionnelles du marketing(136) mettent en effet en valeur le lien qui le lie avec le modèle économique. Nous allons donc montrer en quoi le marketing permet d’établir le diagramme de Lancaster et comment il peut s’en inspirer.

A – La mise en place du diagramme grâce au marketing

Certains des buts reconnus du marketing sont à mettre en relation avec le modèle de Lancaster. On peut entre autres citer le rôle d’étude du marché et du comportement du consommateur, de fixation des prix, de définition du produit, et de promotion des ventes.

En premier lieu, l’étude du marché et du comportement du consommateur permet de définir les caractéristiques importantes à étudier ainsi que les différents produits présents sur le segment de marché(137). La fixation des prix, entre un prix plancher et un prix plafond(138), se fait suivant le comportement des consommateurs face au produit. La politique de développement de la firme indique quel prix affecter au produit(139) : pour acquérir la plus grosse part de marché, pour obtenir un maximum de bénéfice, etc… La définition du produit reste la plupart du temps au niveau de l’emballage. On peut cependant améliorer le produit en fonction des demandes des consommateurs ou de changements du marché.

Ensuite, la promotion des ventes peut intervenir selon le placement du produit sur le diagramme. On peut différencier le diagramme perçu par le consommateur et le diagramme réel de positionnement des produits sur le marché(140). Le producteur peut réajuster la position du produit sur le diagramme du consommateur grâce à une campagne de promotion du produit, en faisant ressortir les caractéristiques réelles de celui-ci.

Les paragraphes suivants mettront en relief les liens qui peuvent être tirés entre le modèle de Lancaster et le marketing. Nous verrons donc l’influence des frontières de caractéristiques sur le prix du produit ainsi que sur les préférences de caractéristiques, puis la publicité dans un modèle de Lancaster, et enfin l’agrégation de la demande.

B – Les frontières de caractéristiques

Comme nous l’avons vu dans l’exposé du modèle, les frontières de caractéristiques dépendent, pour chaque individu, du rapport entre revenu et prix. Un producteur peut donc positionner un des biens qu’il propose, par rapport aux autres biens de sa catégorie, en prenant un revenu fixé(141).

La notion de frontière de caractéristiques permet au producteur d’observer le choix du consommateur en fonction des prix des biens, ce qui revient à déterminer le prix optimal du produit à fixer en fonction des réactions de consommation. En suivant le diagramme de Lancaster, on peut montrer qu’une “guerre des prix” n’est praticable avec succès que lorsque le bien possède les deux caractéristiques, dans le cas où celles-ci sont toutes les deux positives(142).

a – La guerre des prix

Dans le diagramme de Lancaster, on peut figurer le prix de chaque bien pour lequel celui-ci peut conquérir une partie du marché(143) : ce peut être le prix maximum au-delà duquel le bien n’apparaît plus sur la frontière de caractéristique, mais aussi les prix qui permettent de faire disparaître une partie (ou la totalité) des autres biens présents sur le diagramme. On peut alors aisément montrer que le prix “de conquête” d’un bien possédant les deux caractéristiques peut être plus faible que pour les biens plus spécialisés :

La guerre des prix

figure 22(144)

La figure ci-dessus montre quelle politique de prix un nouvel entrant, le bien G5, peut effectuer sur un marché. Il a comme possibilité de se positionner soit au-delà de B – tel que A – donc de ne pas avoir de frontière de caractéristiques concurrente, soit entre B et D, donc d’avoir des frontières avec G2 et G3, soit entre D et E, en éliminant G2 et G3 et ainsi de suite.

pour un prix p, le bien 3 élimine le bien 4

figure 23(145)

La figure ci-dessus montre bien que pour un prix p, le bien 3 élimine le bien 4, alors que celui-ci trouve toujours sa place par rapport au bien 2 ayant le même prix. Il est plus aisé pour un bien de pratiquer une guerre des prix lorsque celui-ci se trouve à proximité des autres biens que lorsqu’il est isolé, ainsi que lorsqu’il possède les deux caractéristiques que lorsqu’il est spécialisé dans l’une des deux(146).

Enfin, le prix restera un point technique, c’est-à-dire que le producteur n’aura, pour fixer son prix, qu’à évaluer les prix des autres producteurs – donc le prix plafond -, ses propres coûts – son prix plancher – et à fixer son prix en conséquence, en fonction de la politique du producteur. Si le producteur décide de faire une politique de conquête, il proposera un prix bas afin d’éliminer d’autres produits du diagramme, s’il désire avoir une bonne valeur ajoutée unitaire importante, il se placera plus prêt du prix plafond, etc…

On voit bien que dans ce modèle, le prix restera dans une fourchette assez étroite. On peut expliquer ce phénomène par le choix de l’auteur de comparer des biens de même catégorie – différenciation horizontale – sans considérer les biens des autres catégories – différenciation verticale. Il n’y a donc de concurrence possible qu’au sein d’un groupe fermé de biens. De plus, le modèle élimine totalement un type d’achat tel que l’achat de bien de luxe. La micro-économie traditionnelle décrit ce type de comportement par une courbe de demande croissante – jusqu’à un certain niveau bien entendu. Dans ce modèle, un article qui dépasse le prix de référence(147) est forcément éliminé du diagramme. On élimine donc la concurrence de produits tels que restauration à domicile et restaurant, automobile train et avion, bicyclette et motocyclette, etc…

b – Frontière et préférence de caractéristiques

Si on ajoute trois hypothèses au modèle de base, alors on peut obtenir une analyse de la préférence de caractéristiques. En posant donc comme hypothèses : (1) il existe un grand nombre de produits proposés au consommateur(148), (2) les produits considérés dans le diagramme se situent dans la même zone de prix et l’ajout de caractéristiques est un coût marginal dans le coût de production total(149), et (3) les prix constatés sur le marché sont les prix de marché donc représentent la rencontre entre l’offre et la demande(150).

A partir de ces hypothèses, on obtient un diagramme continu ou quasi-continu :

Frontière de caractéristiques

figure 24

Selon la forme de la frontière de caractéristiques de ce diagramme, on peut définir un certain nombre de propriétés des caractéristiques prises en compte :

propriétés des caractéristiques

figure 25

La figure ci-dessus montre différents types de caractéristiques. Nous avons le cas d’indifférence entre les caractéristiques (dans lequel quelque soit la proportion des caractéristiques dans le bien, le prix reste constant ou à peu près), le cas de caractéristiques opposées (où les produits ayant les caractéristiques isolées ont le prix le plus élevé et la combinaison des caractéristiques impliquent le prix le plus bas), le cas de préférence pour une caractéristique (avec un prix diminuant lorsque l’autre caractéristique croît en importance) et le cas de caractéristiques complémentaires (avec un prix croissant avec le mélange des caractéristiques). La dernière figure indique deux zones : la zone A montre les cas où les caractéristiques ont une tendance à la complémentarité, et la zone B où les caractéristiques ont une tendance à être opposées.

A partir de ce résultat, on peut soit déterminer son prix en fonction des caractéristiques du marché, soit changer les caractéristiques du bien proposé sur ce marché afin d’améliorer la rentabilité de celui-ci(151).

C – La publicité dans un modèle de type Lancasterien

Dans les modèles traditionnels de micro-économie, le choix du consommateur s’effectuait selon une courbe d’indifférence entre deux biens. Chamberlin, comme nous l’avons vu précédemment, présente la publicité comme un coût de vente permettant au producteur d’obtenir une zone de concurrence monopolistique pour son produit.

a – La publicité et le diagramme de Lancaster

Une grande nouveauté de ce modèle est que cette courbe exprime une utilité toujours identique entre un mélange de deux caractéristiques. L’optimisation du choix se fera sur une frontière de caractéristiques entre deux biens. Si ces biens sont divisibles – par exemple des aliments vendus au poids ou du tissu vendu au mètre – le consommateur peut se procurer le mélange des deux biens et obtenir ainsi un choix objectif. De plus, son choix permettra d’obtenir les quantités exactes de chaque caractéristique désirée par le consommateur. Si ces biens sont indivisibles – comme la plupart des biens -, le choix s’effectuera entre les deux biens qui entourent l’intersection entre la frontière de caractéristiques et la courbe d’indifférence, ce qui revient, pour le consommateur, à effectuer un choix subjectif entre les deux biens.

La publicité peut donc être considérée comme un système destiné à améliorer l’information reçue par le consommateur à propos des caractéristiques de chaque bien, donc d’optimiser le choix objectif de chaque consommateur(152). Comment expliquer, dans ce cas, certains faits tels que l’absence de la publicité dans la stratégie de certains producteurs(153) – en raison du prix prohibitif de celle-ci(154), ou de son inefficacité présumée, etc… -, ou bien l’aspect de certaines campagnes de publicités présentant non pas des caractéristiques techniques objectives (ce qui devrait pourtant être le cas si on se réfère au rôle qui leur est conféré par Lancaster) mais plutôt insistant sur des impressions(155).

On peut par contre considérer la publicité comme la tentative du producteur d’influencer le choix subjectif du consommateur. Si par exemple, un consommateur a une courbe d’indifférence qui le place à proximité de deux biens, lequel va-t’il choisir? Le consommateur doit alors effectuer un choix subjectif. On peut alors interpréter divers types de publicités en fonction de ce dilemme : une publicité technique peut soit indiquer que le produit répond le mieux aux caractéristiques dont le consommateur a besoin, ce qui revient à rendre “rationnel” le choix subjectif du consommateur, soit indiquer que, outre les caractéristiques minimales exigées, le produit propose d’autres caractéristiques utiles; une publicité non technique peut tenter d’influencer le côté irrationnel du choix.

Enfin, la publicité apparaît comme la tentative du producteur de modifier la pente de la frontière de caractéristique, ou bien de modifier l’importance perçue par le consommateur d’une caractéristique négative du produit(156). On peut analyser le phénomène de la publicité soit comme une tentative du producteur de parvenir à une information parfaite, donc d’obtenir un diagramme proche du diagramme réel, soit comme une tentative de parvenir à une information tronquée, en améliorant la position perçue du bien sur le diagramme. Cette dernière analyse nous oblige cependant à considérer une dichotomie entre le diagramme réel et le diagramme perçu.

b – Le marketing et la courbe d’utilité

Le modèle de Lancaster présente la courbe d’indifférence comme une zone où l’utilité est constante malgré une variation du rapport de degré de caractéristiques, et non plus une utilité constante pour des proportions de biens. Cette courbe peut être mise en évidence par le marketing grâce à certaines
méthodes(157) – en demandant au consommateur de proposer un prix acceptable pour telle ou telle caractéristique, le producteur peut estimer que la somme allouée par le consommateur représente l’utilité qu’il lui confère.

Le choix du consommateur se fera en grande partie selon la forme de la courbe d’indifférence, et ce sera le seul point qui différenciera le mode de consommation des divers individus, puisque la forme générale du diagramme est constante.

Lancaster prend d’ailleurs lui même en considération le changement de la courbe d’indifférence suite à une augmentation de revenu(158). On peut donc imaginer la publicité comme la tentative pour les producteurs d’influencer la forme de cette courbe. Une campagne de publicité a une influence sur le diagramme, en augmentant les frais de production, donc le prix sur le marché et le rapport entre revenu et le prix de marché; elle peut aussi influencer les ordres de préférence des consommateurs qui se pencheraient plus sur telle caractéristique qu’auparavant, donc se tourneraient vers une autre frontière de caractéristique :

campagne de publicité a une influence sur le diagramme

figure 26

La figure ci-dessus montre le type de réaction possible d’un consommateur face à une publicité. On peut prendre pour exemple une campagne de publicité commanditée par un syndicat professionnel et qui rend indispensable son produit(159).

Aucune des différentes considérations de la publicité décrite ci-dessus n’est la bonne. Il faut donner une définition par but suivi(160), ce qui empêche de généraliser le problème. En ce qui concerne la définition de la publicité par Lancaster – la tentative d’améliorer l’information du consommateur – on peut donner ce rôle plutôt à un certain nombre d’organismes dont le but est de tester différents produits selon des critères pré définis. Un bon exemple français est celui du magasine Que Choisir qui publie régulièrement des tests sur des produits d’une même gamme de prix. On obtient alors une application correcte du modèle, puisque ce magasine permet au consommateur de posséder les informations précises et impartiales. De plus, alors que les publicités ne basent leurs communications que sur les caractéristiques qui les intéresse – donc chaque message présente des caractéristiques propres -, ce magasine donne une étude comparative des biens suivant les mêmes caractéristiques.

D – L’agrégation de la demande

Afin de pouvoir utiliser le modèle au niveau du marketing, les producteurs doivent effectuer l’agrégation de la demande; En effet, le comportement d’un consommateur ne peut pas être utile pour un entrepreneur – sauf si ce consommateur représente une grosse partie de son chiffre d’affaires. Le but est donc de connaître le nombre de consommateurs prêts à acheter le bien du producteur, puisque la notion de consommateur représentatif a été abandonnée par Lancaster(161). Pour obtenir ces informations, les producteurs segmentent le marché et en étudient les comportements.

Un exemple d’agrégation de la demande(162) permet de déterminer les parts de marché de produits présentés sur un marché :

exemple d'agrégation de la demande

figure 27(163)

L’auteur propose un modèle de trois produits avec une courbe d’indifférence linéaire de la forme U=kz1+z2, transformable en une équation de droite z2=-kz1+U.
Afin d’obtenir les parts de marché des différents biens, il suffit de comparer les pentes des courbes d’indifférences des individus avec les pentes des frontières de caractéristiques. Dans le modèle ci-dessus, les pentes des frontières de caractéristiques sont de (-2/3) pour la frontière entre les biens P1 et P2 et de (-1) pour celle entre les biens P2 et P3. Si on considère F(a) comme l’ensemble des consommateurs pour lesquels k est au moins égal à a, mi est la part de marché du bien Pi, alors on a(164) :

formule

On voit donc un moyen d’agréger la demande afin d’obtenir la part de marché des différents biens à partir du modèle de Lancaster. Pour obtenir les courbes d’indifférences des consommateurs, les producteurs pratiquent des fragmentations du marché en types de consommation(165). Ce principe de segmentation permet de mieux adapter la politique marketing de communication. Au niveau de la publicité, on peut d’abord adapter le contenu de la publicité au public visé (non pas forcément la personne qui consomme mais plus souvent celle qui se procure le produit) – la mère de famille pour la lessive, la femme pour le parfum pour homme, le célibataire pour le plat pré-cuisiné, etc… -, mais aussi le public touché par la publicité. Le problème actuel de la publicité est sa quasi-incapacité à pouvoir toucher précisément le public visé(166). cela est du surtout à une incapacité technique relatif aux médias et à l’incapacité de savoir qui regarde la publicité à ce moment précis – ce qui explique les enquêtes effectuées par ces médias pour déterminer le public avec moins de floue.

II – VERS UNE NOUVELLE FORME DE MARKETING(167)?

Une tendance actuelle du marketing est d’affiner le plus possible les connaissances du marché, jusqu’à étudier le comportement d’achat et les besoins de chaque client du producteur. On peut citer pour mémoire les fichiers clients de certaines grosses firmes (telles que Toyota), dont le but est de connaître les besoins du moment et de pouvoir lisser une baisse de la conjoncture en contactant des clients potentiels, donc de limiter les effets de la récession.

Les producteurs tentent dans ce cas de connaître les diagrammes complets de chaque individu, sans passer par aucune agrégation de la demande. Dans ce cas, une firme qui présente une gamme étendue de produits pourra proposer celui qui optimisera la courbe d’utilité du consommateur. On aboutit dans ce cas à un système où ce n’est plus le consommateur qui évalue le diagramme en fonction des produits proposés, mais plutôt la firme qui évalue la courbe d’utilité du consommateur et qui, en conséquence, propose le bien le plus approprié à l’assouvissement du besoin du consommateur. A terme, le but sera d’anticipé par cette méthode la demande du consommateur et de fidéliser la clientèle en sachant lui proposer ce qu’elle désire.

George Stalk et Alan Webber(168) présentent des exemples de réussites de ce concept. En premier lieu, le quartier Akihabara(169), à Tokyo, est le centre commercial de produits électroniques le mieux approvisionné au monde. Celui-ci regroupe un ensemble de magasins de tailles fort diverses, qui, pour la plupart, ne font plus de bénéfice, et ceci malgré des rayons proposant des biens ultra-diversifiés. Dans cette crise se distingue un magasin, Daiichi, qui continue à réaliser de forts bénéfices, grâce à une forte proportion (70 %) de ses ventes effectuées avec des clients réguliers. Ce magasin propose un certain nombre de services que ses concurrents ne proposent pas (garantie de trois ans, garde des articles saisonniers – phénomène intéressant dans un pays où les habitations manquent singulièrement de place -, rapidité de livraison, etc…), cependant, sa réussite repose surtout sur sa connaissance de sa clientèle grâce à un fichier complet. Un des services proposés est d’envoyer un technicien chez un ancien client lorsqu’un des appareils provenant de ce magasin arrive en fin de garantie, afin de vérifier l’état de l’appareil et de le réparer si besoin est au frais du magasin. Le technicien propose de vérifier les autres appareils et d’effectuer de petites réparations. Le véritable but du technicien est d’évaluer l’ensemble des appareils que le client devra remplacer dans l’avenir afin de pouvoir lui proposer ce qu’il lui faut (en l’invitant par exemple à passer au magasin pour voir les derniers modèles de tel type d’appareil qu’on peut lui proposer). Toyota(170) a demandé, pour lancer un modèle haut de gamme, à un large éventail de consommateurs à hauts revenus d’indiquer les caractéristiques qu’ils attendaient sur un modèle de ce niveau. Enfin, une chaîne d’hypermarchés, 7-eleven, s’est rendu compte que la clientèle matinale se distinguait de la clientèle de l’après-midi, ce qui les a poussé à changer matin et soir l’ensemble des produits du magasin. Les trois exemples qui viennent d’être traités montrent bien la nécessité de s’adapter aux besoins du client grâce à une meilleure connaissance de ses besoins propres, et non pas ceux de sa catégorie socio-professionnelle ou de sa situation familiale.

Cette individualisation de la demande au niveau du marketing sera prolongée par une tentative accrue d’individualiser le niveau publicitaire. Outre les nouvelles technologies – télévision interactive … – qui permettront d’adapter la publicité au consommateur, les producteurs fournissent déjà un effort afin d’individualiser leurs publicités plus classiques – telles que le mailling ou le télé-marketing – en se référant à des fichiers clients complets. De plus en plus de firmes créent des services chargés de collecter les revendications des consommateurs afin d’améliorer la production. De même, il y a une tentative de créer des relations entre les consommateurs et les vendeurs, en orchestrant un suivi des clients par les vendeurs à qui ils ont eu à faire. Le rôle du vendeur n’est plus celui de convaincre à tout prix, mais de conseiller le consommateur pour assouvir un besoin le mieux possible.

On peut replacer ces tentatives dans un contexte micro-économique d’imperfection de l’information. Pierre Cahuc(171) nous décrit le risque moral comme apparaissant “dans les situations où certaines actions des agents, qui ont une conséquence sur le risque de dommage, sont inobservables par les assureurs” (p. 63), ou de manière plus générale, lorsque “l’agent non informé peut observer l’action, mais ne peut vérifier si elle est appropriée, car il ne peut observer les circonstances dans lesquelles l’action se déroule” (p. 64). Dans le cadre développé ci-dessus, le risque moral peut représenter soit l’inaptitude du producteur à définir le comportement d’achat, soit son incapacité à cerner les besoins réels du consommateur. La tentative des producteurs de connaître les consommateurs avec plus de précision correspond à une nécessité de diminuer les risques causés par le manque d’information – ou des informations erronées ou imprécises.

CONCLUSION

Les nouvelles tentatives d’individualiser la demande permet aux producteurs de se positionner avec plus de précision dans le processus de choix du consommateur. La tendance actuelle du marché est de proposer un éventail élargi des biens proposés aux consommateurs, de sorte que son diagramme de choix tend vers un diagramme continu. Cependant, un certain nombre de producteurs tentent d’inverser ce processus de choix en proposant au consommateur, grâce à une meilleure connaissance de ses besoins, un panel limité de biens maximisant sa courbe d’utilité. Ce phénomène permet de mieux accrocher le consommateur en lui permettant d’effectuer son choix en connaissance de cause. L’évolution de ces types de choix est résumée dans la figure suivante :

évolution des types de choix

figure 28

Cette nouvelle approche de la demande correspond aux nouvelles considérations des rôles et instruments du marketing :

nouvelle approche de la demande

Tableau 1(172)

CONCLUSION PARTIE II

On voit bien que la tendance du marché est de tendre vers un panel quasi continu de caractéristiques des produits proposés aux consommateurs. Les théories de Chamberlin et de Lancaster ne sont pas opposées mais plutôt complémentaires, l’une étant une théorie de la production, l’autre une théorie de la demande.

Cependant, il n’est pas aisé dans un contexte tayloriste-fordiste de production de produire des panels aussi étendus, puisque cela implique une diminution de la taille de production de chaque modèle. Comme on estime que chaque produit n’est proposé que par un producteur, l’augmentation du nombre de biens offerts sur un marché entraîne irrémédiablement une augmentation du nombre d’offreurs, une diminution des échelles de production donc une baisse des économies d’échelle, donc une baisse des profits à terme. C’est en partie pour résoudre ces problèmes que les économistes se sont penchés sur la différenciation socialement optimale(173).

Néanmoins, les nouvelles organisations de la production permettent une production de gammes étendues de biens diversifiés donc permettent de proposer ces panels continus de caractéristiques, sans pour autant augmenter le nombre d’offreurs sur le marché. Dans la troisième partie nous verrons donc les originalités de ces nouvelles méthodes d’organisation de la production et les liens qu’elles ont avec les théories de la différenciation des produits présentées ici.

129 Lancaster K., 1966, 1971, Op. Cit.
130 Metcalfe J.S. et Saviotti P.P., 1984, “A theoretical approach to the construction of technological output indicators”, Research Policy, pp. 141-51, North-Holland.
131 Metcalfe J.S. et Saviotti P.P., 1984, Op. Cit., p. 141.
132 Lancaster K., 1971, Op. Cit., p. 7 : “nous voyons la relation entre les gens et les choses comme une affaire avec au moins deux étapes. Elle est composée d’une relation entre les choses et leurs caractéristiques (objectives et techniques), et la relation entre les caractéristiques et les gens (préférences personnelles voire individuelles).
133 Chamberlin E.H., 1933, Op. Cit.
134 Cf Partie I, Chapitre 3.
135 Cf Vedrine J.P., 1978, “La nouvelle théorie économique du consommateur et son application en marketing”, Revue Française de Gestion, n° 14, janvier/février, pp. 100-8.
136 Lendrevie J., Lindon D. et Laufer R., 1983, Mercator, théorie et pratique du marketing, Dalloz, Paris. A la page 6, les auteurs définissent les missions du marketing :
“- Etudier le marché et le comportement des consommateurs.
– Définir le produit (ou le service) à vendre.
– Fixer le prix de vente.
– Choisir et gérer les canaux de vente.
– Distribuer physiquement les produits.
– Promouvoir les ventes (publicité, promotion).
– Vendre, facturer, etc…
– Assurer le service après-vente.”
137 Voir annexe “Etudes de marché et enquêtes”.
138 Confère B-a sur la guerre des prix.
139 Voir annexe “Etude de prix et comportement d’achat”.
140 Cf annexe “Le marketing cognitif”.
141 Cf annexe “Changements de frontières de caractéristiques en fonction du revenu”.
142 En effet, certains auteurs, tel que Auld D.A.L., 1972, “Imperfect knoledge and the new theory of demand”, Journal of Political Economy, LXXX, Nov. Déc., pp. 1287-94, et 1974, “Advertising and the new theory of consumer choice”, Quarterly Journal of Economics, pp. 480-7, émettent la possibilité pour un bien de présenter une caractéristique “positive”, qui attire le consommateur, et une caractéristique “négative”, qui les repousse, comme, par exemple, la cigarette qui a pour caractéristique positive le plaisir et pour caractéristique négative les maladies respiratoires associées (1972, p.1293).
143 Cf Vedrine J.P., 1978, Op. Cit., pp. 104, 105.
144 Voir Lancaster 1971, Op. Cit., p. 55.
145 Inspiré de Lancaster, 1971, p. 55.
146 Voir à ce propos l’annexe “Diagramme de Lancaster et guerre des prix”.
147 Confère l’annexe “Diagramme de Lancaster et guerre des prix”.
148 Cette hypothèse est loin d’être héroïque, si on voit les gammes présentes sur différents marchés tels que l’automobile, les produits blancs ou l’agro-alimentaire. Malgré, elle permet d’obtenir un diagramme continu qui sera nécessairement concave.
149 Cette hypothèse est nécessaire pour que la forme du diagramme ne soit pas influencée par le coût de production du produit ou des caractéristiques.
150 Cette hypothèse confère aux produits la préférence globale donc permet de mettre en valeur
l’ordre de préférence des caractéristiques.
151 Vedrine J.P., 1978, Op. Cit., pages 105,106 montre que le changement du rapport de caractéristiques peut aboutir au même résultat qu’une baisse des prix.
152 Lancaster K., 1966, Op. Cit.
153 Nous pourrions alors considérer que, si un producteur a une volonté de recourir à la publicité dans la promotion d’un de ses produits, mais qu’il n’en a pas la possibilité en raison d’une barrière telle que le coût, alors la publicité n’est pas un moyen d’obtenir une meilleure distribution de l’information, mais plutôt un moyen de discrimination des producteurs ayant recours à celle-ci.
154 Confère l’annexe sur “les prix des publicités en France”.
155 Un cas remarquable est celui de la Twingo. L’achat d’une automobile parait être une opération réfléchie, basée sur un certain nombre de caractéristiques techniques, ce qui en fait un type de produit particulièrement approprié au modèle de Lancaster. La publicité standard automobile présente une photographie du modèle – voire un ensemble de modèle pour les publicités paressant dans les magasines, ou un film montrant le modèle sous toutes les coutures au cinéma ou à la télévision – et décrit l’ensemble des caractéristiques techniques – motorisation, vitesse, puissance, consommation, etc… -. La publicité de la Twingo a présenté un dessin très stylisé de l’automobile accompagné de la phrase “Twingo, à vous d’inventer la vie qui va avec”.
Sur les problèmes de la perception des caractéristiques, voir Auld D.A.L., 1972, Op. Cit., p. 1287.
156 Voir Auld D.A.L., 1972 et 1974, Op. Cit..
157 Voir annexe “Etudes de marché et enquêtes”.
158 Cf Lancaster K., 1971, Op. Cit.
159 On peut aussi considérer la bataille entre la lessive “Le Chat” et Rhône-Poullenc. Le premier a effectué une campagne indiquant le danger du phosphate pour l’environnement et proposait une lessive sans phosphate. Rhône-Poullenc – premier producteur français de phosphate à l’époque – a financé et publié une étude scientifique montrant la non nocivité du phosphate puis a effectué une campagne de publicité autour de ce problème. On voit nettement la tentative publicitaire de ces deux producteurs d’influencer le choix des consommateurs envers telle ou telle caractéristique, donc un aspect de propagande autour de la courbe d’indifférence.
160 Voir Lendrevie J., Lindon D. et Laufer R., 1983, Op. Cit., pp. 269-71 considèrent déjà cinq buts pour la publicité : faire connaître l’existence du bien, fournir des caractéristiques objectives, construire une image, soutenir d’autres actions, provoquer l’achat immédiat. On voit bien que seuls les deux premiers buts correspondent à une tentative d’améliorer l’information du consommateur.
161 Cf Lancaster K., 1971, Op. Cit.
162 Voir Vedrine J.P., 1978, Op. Cit., pp. 103-4.
163 Adapté de Vedrine J.P., 1978, Op. Cit., pp. 102 et 104.
164 Vedrine J.P., 1978, Op. Cit., p. 104.
165 On peut utiliser un premier dépouillage des comportements de consommation grâce aux données sociologiques indiquant l’âge, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau d’étude, la situation géographique, la pratique religieuse, etc…
166 Star S., 1990, “Pourquoi le marketing agace le consommateur”, Harvard-l’Expansion, automne, pp. 102-6.
167 Pour cette partie, on peut se référer à un ensemble d’articles et d’études publiés dans sur le sujet des liens entre le consommateur et le producteur, et entre autres :
Bloch Ph., Harabou R. et Xardel D., 1986, “Le client est l’avenir de l’entreprise”, Harvard-l’Expansion, été, n° 41, pp. 105-13.
Dubois B., 1991, “Le consommateur caméléon”, Harvard-l’Expansion, été, n° 61, pp. 7-13.
McKenna R., 1991, “Marketing is everything”, Harvard Business Review, jan./fev.; Tr. Fr. “Le client a pris le pouvoir”, Harvard-l’Expansion, automne, n° 62, pp. 96-105.
Wickham S., 1976, Vers une société des consommateurs, Presses Universitaires de France, Paris.
168 Stalk G. et Webber A., 1993, “Japan’s dark side of time”, Harvard Business Review, juillet/août; Tr. Fr. 1993, “La face sombre du modèle japonais”, Harvard-l’Expansion, hiver, n° 71, pp. 23-31.
169 Stalk G. et Webber A., 1993, Op. Cit., p. 24-6.
170 Stalk G. et Webber A., 1993, Op. Cit., p. 26.
171 Cahuc P., 1993, La nouvelle micro-économie, coll. Repères, La Découverte, n° 126, Paris.
172 Tiré de Rapp S. et Collins T., 1991, “Big Bang dans le marketing”, Harvard-l’Expansion, printemps, n° 60, pp. 57-63. Tableau p. 61.
173 Lancaster K., 1975, Op. Cit.

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