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Chapitre 2. L’assurance D&O : Un avenir compromis ?

ADIAL

Il semble que l’existence et la légitimité de l’assurance de responsabilité civile des dirigeants fasse toujours débat. En effet, alors qu’elle existe depuis maintenant un certain nombre d’années, la police RCMS, pourtant très prisée par les assurés, est loin de faire l’unanimité. Une proposition de loi n°1304 du 17 décembre 2003 relative au renforcement de la responsabilité individuelle des dirigeants et mandataires sociaux dans les sociétés anonymes ainsi qu’à la transparence et au contrôle de leur rémunération dans les sociétés cotées proposait de l’interdire par l’intégration d’un nouvel article L 225-254-1 du Code de commerce rédigé comme suit :

« Toute assurance en responsabilité civile souscrite ou payée par la société afin de couvrir la responsabilité civile des administrateurs ou du directeur général est nulle et ne peut avoir aucun effet. Toute disposition contraire est réputée non écrite ».

Cette proposition de loi n’a évidemment à ce jour pas abouti. Il convient tout d’abord de comprendre les raisons d’une telle proposition. A la lecture du rapport de M. Christophe Caresche du 10 mai 2003, député, nous constatons que ce dernier se réfère à l’article L 225-251 du Code de commerce selon lequel « Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage ».

Pour ce député, le problème vient de l’interprétation de cet article par la Cour de cassation car celle-ci et plus précisément, la chambre commerciale et criminelle n’acceptent la mise en jeu de la responsabilité personnelle des dirigeants que dès lors qu’il est avéré que le dirigeant a commis une faute séparable de ses fonctions ce qui n’est pratiquement jamais reconnue par les tribunaux même en présence d’une faute intentionnelle selon le député. Le dirigeant est, en conséquence toujours épargné et ne voit que très rarement sa responsabilité personnelle être reconnue. Le député Caresche poursuit en affirmant que la RCMS est inutile, celle-ci protégeant une responsabilité pratiquement inexistante. L’article 2 de la proposition de loi propose « d’obliger le dirigeant, comme l’administrateur, dont la responsabilité personnelle a été judiciairement reconnue, à supporter sur ses propres deniers une partie des dommages et intérêts. Et pour ce faire, prohibe toute assurance en responsabilité civile souscrite par la société au profit des dirigeants et des administrateurs »(58).

Pour Jérôme Kullman, cette proposition de loi résulte d’un manque sérieux de connaissance sur la responsabilité civile des dirigeants.(59) En effet, il affirme que contrairement à ce qu’allègue le député, la Cour de cassation reconnaît bien une faute séparable des fonctions du dirigeant en présence d’une faute intentionnelle.(60) A la lecture du rapport, le député semble ne se préoccuper que de la faute détachable du dirigeant. Il affirme que les tribunaux ont une interprétation très stricte de cette faute contribuant ainsi à immuniser le dirigeant contre toute forme de recours en responsabilité personnelle. Cette faute détachable ne doit être prouvée que lorsque le dirigeant est mis en cause par un tiers. Or, le dirigeant est également responsable envers la société et envers les actionnaires, actions pour lesquelles la faute séparable des fonctions n’est pas exigée. Le dirigeant voit ainsi sa responsabilité être engagée sur toute faute sauf vis-à-vis des tiers. Jérôme Kullman affirme que l’assurance de responsabilité civile des dirigeants demeure utile malgré la très faible fréquence de sinistres. Comme le souligne si bien Jérôme Kullman, « Ce n’est pas parce qu’on a jamais été touché par un incendie, par une catastrophe technologique ou naturelle, ou par un acte de terrorisme, que ces risques demeurent purement théoriques et que leur assurance est dépourvue de toute utilité ».(61)

De plus, il convient de préciser à nouveau que cette assurance est limitée et ne permet pas une totale prise en charge par l’assureur non seulement grâce aux exclusions légales et conventionnelles mais également grâce aux plafonds de garanties et aux franchises appliqués aux contrats. Le risque de responsabilité et surtout, de mise en cause de la responsabilité des dirigeants est un risque réel. En conséquence, l’assurance de responsabilité civile des dirigeants est légitime, celle-ci disposant d’un véritable objet. Jérôme Kullman décèle dans l’argumentaire des détracteurs de la RCMS une crainte d’aboutir à une déresponsabilisation de l’assuré qui du fait de sa garantie tendrait à devenir en quelque sorte irresponsable. Jérôme Kullman parle, quant à lui, « d’irresponsabilisation ».

Même s’il semble très bien comprendre cette crainte, Jérôme Kullman se place pourtant du côté de ceux qui soutiennent son maintien, ces assurances étant nécessaires. Il nous rappelle que par le passé, le même phénomène s’était produit concernant l’assurance sur la vie humaine, prohibée à l’époque sous prétexte qu’il était immoral de spéculer sur la vie humaine et que cela faisait souhaiter le décès de l’assuré sur la tête de qui le contrat d’assurance était souscrit. Celles-ci ont donc été pendant très longtemps illicites et considérées comme « réprouvées et contre les bonnes moeurs »(62) jusqu’à un arrêt du Conseil d’Etat de 1818. Le même scénario se reproduit cette fois concernant l’assurance de responsabilité civile des dirigeants.

La police RCMS semble encore avoir de beaux jours devant elle, la seule proposition de loi souhaitant son abolition n’ayant pas abouti. Cela montre bien que pour beaucoup, cette assurance est indispensable, qu’elle a une réelle utilité et légitimité car nous n’imaginons pas l’avenir de la fonction de dirigeant sans une assurance comme garantie. Il est difficilement concevable de diriger une entreprise et de prendre autant de risques inhérents à cette profession, d’un côté, alors que de l’autre, nous risquons de nous voir assignés en responsabilité et de devoir supporter tout ce qui en découle sur notre propre patrimoine personnel.

58 Assemblée Nationale, proposition de loi n° 1304 du 17 décembre 2003 et Rapport n° 1585 Christophe Caresche du 5 mai 2004
59 J. KULLMANN, L’assurance de responsabilité des dirigeants : Réalités et Fantasme, notes FFSA
60 Cass.com, 20 mai 2003, n°99-17092. ; Cass. Com, 7 juillet 2004 n°02-17729
61 J. KULLMANN, L’assurance de responsabilité des dirigeants : Réalités et Fantasme, notes FFSA
62 Ordonnance de Colbert, 31 juillet 1681, Livre III Chapitre VI Article X

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