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Chapitre 1. Un périmètre de garantie très étendu

ADIAL

Il est, en effet, légitime de s’interroger sur l’éventuelle déresponsabilisation du dirigeant que peut engendrer la RCMS.

La RCMS a un champ d’application très étendu puisqu’elle a la particularité de couvrir les dirigeants actuels mais également anciens et futurs. La personne concernée doit ainsi avoir la qualité de dirigeant durant la vie du contrat pour en bénéficier. Cette originalité peut parfois jouer des tours et dans la pratique, il n’est pas rare de rencontrer des cas assez singuliers notamment celui du dirigeant actuel assignant l’ancien dirigeant pour avoir causé un préjudice à la société et qui va se retrouver bénéficiaire de la même police RCMS que celui qu’il assigne en responsabilité ce qui peut paraître très choquant.

Par le terme « dirigeant », les polices tant américaines que françaises désignent le dirigeant personne physique. Il convient de préciser que la plupart du temps, la société et le dirigeant personne physique sont conjointement assignés. Elle concerne autant les dirigeants de droit (« personnes investies d’un mandat social qui les désigne comme tels et dont ils tirent leur pouvoir de décision ») que de fait (« personne physique qui exerce une activité positive de gestion, en toute liberté et indépendance») allant même jusqu’à inclure les membres du conseil de surveillance d’une SA contrairement à la jurisprudence constante en la matière ne les reconnaissant pas comme dirigeants de fait.

Celle-ci assure aussi des personnes physiques autres que le dirigeant, par exemple, les membres des comités institués pour la « corporate governance », le responsable de la conformité et du contrôle interne ou encore, les héritiers de l’assuré décédé ou son conjoint quand une réclamation peut affecter le patrimoine commun.

La personne morale n’est, quant à elle, en pratique jamais prise en charge par la RCMS. Cependant, il arrive qu’une personne morale soit dirigeante d’une autre entité et à ce titre-là, les assureurs ont mis en place une garantie dite « entity down » qui est une extension couvrant la société dirigeante de droit de ses filiales et participations. Elle exclut les personnes morales dirigeantes de fait ainsi que les personnes morales dirigeantes de leurs sociétés soeurs. Il existe également une autre extension appelée « entity up » qui, quant à elle, couvre toutes les personnes morales de la société souscriptrice du contrat.

Il convient de préciser que la seule manière de mettre en cause la responsabilité personnelle du dirigeant et ainsi, de déclencher la garantie au titre de la police RCMS est de prouver que le dirigeant a commis une faute séparable de ses fonctions. À défaut, ce sera alors la société qui se verra mise en cause. Un arrêt de la Cour de cassation a défini cette faute comme étant « la faute commise intentionnellement, d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales ».(20) Cependant, la plupart des assureurs ont, malgré tout, choisi de couvrir la société ayant souscrit une police RCMS pour le compte de ses dirigeants dès lors que celle-ci est conjointement mise en cause ou postérieurement à la mise en cause du dirigeant qui a vu sa faute être qualifiée de non séparable de ses fonctions. Aux Etats-Unis, il existe ce qu’on appelle couramment la clause de « corporate reimbursement » ou encore, l’Insuring Agreement B (B-Side Coverage) prévoyant dans l’hypothèse où la société indemnise son dirigeant qui voit sa responsabilité personnelle être engagée par avance le remboursement de la somme avancée par l’assureur. En France, une telle hypothèse est formellement interdite car cela tombe sous la qualification d’abus de biens sociaux par le dirigeant car en effet, dans un tel cas, celui-ci se sert des fonds de la société à des fins personnelles.

La police RCMS permet une large couverture de la responsabilité des dirigeants. En effet, elle couvre, tout d’abord, les conséquences pécuniaires de toute faute commise par le dirigeant dans le cadre de ses fonctions ayant entraîné un recours de la part de la société, d’un tiers victime ou d’un actionnaire. Les conséquences pécuniaires des actions civiles sont assurées dans le cadre de cette police comme les frais d’expertise, de conseil et de procédure. Il est, en revanche, particulièrement étonnant de voir les conséquences d’actions civiles intentées dans le cadre d’un procès pénal du dirigeant pour délit être prises en charge par cette police, le délit étant une infraction commise intentionnellement et le droit des assurances interdisant la prise en charge des fautes intentionnelles commises par l’assuré. Mais en regardant de plus près, il est vrai que même si le juge pénal retenait la faute intentionnelle, le juge civil, quant à lui, est libre de ne pas la retenir au sens de l’article L 113-1 du code des assurances. Et quand bien même il la retenait in fine, il convient de préciser que certains contrats d’assurance RCMS ne demandent pas à l’assuré la restitution des frais pris en charge par l’assureur dès lors que la faute intentionnelle de l’assuré n’est reconnue qu’après coup. Or, dans une telle situation, il y a bel et bien prise en charge par l’assureur de tout ou partie des conséquences pécuniaires résultant de la faute intentionnelle de l’assuré. D’autant plus que dans la pratique, l’indemnisation est souvent automatiquement acquise avant même la reconnaissance par le juge d’une faute et d’un préjudice à condition de prouver à l’assureur qu’il doit bien sa garantie. La RCMS prend en charge les frais de défense devant les juridictions civiles mais également, les juridictions pénales comme les frais d’enquête pénale ou encore de garde à vue ainsi que les frais de défense devant les juridictions administratives.

Les conséquences d’actions en responsabilité pour insuffisance d’actif sont également prises en charge par la police RCMS tout comme la tromperie (par exemple, le dirigeant tente de modifier l’origine de la viande), la responsabilité liée à l’emploi, la négligence relative à l’hygiène et la sécurité ainsi que les éventuelles réclamations des actionnaires en cas de réclamations relatives aux valeurs mobilières.

Aux Etats-Unis, c’est l’Insuring Agreement A ou encore, A-Side Coverage qui couvre TOUTES les pertes pécuniaires résultant de recours intentés contre les dirigeants ayant « mal agi ». Cette couverture s’enclenche dès lors que la société est dans l’impossibilité d’indemniser elle-même ses D&Os c’est-à-dire lorsque la loi l’interdit, parce que la société a décidé de ne pas indemniser alors que cela était permis par la loi ou encore, car la société en est financièrement incapable d’indemniser.

Les polices D&O n’imposent pas à l’assureur un devoir de défense mais simplement, une prise en charge des coûts de celle-ci et donne un droit à l’assureur de s’associer à la défense de l’assuré et d’approuver les stratégies mises en place en ce sens ainsi que les dépenses. En RCMS, la garantie frais de défense est systématiquement utilisée et représente un coût certain pour les assureurs. Dans la pratique, il arrive même de rencontrer des cas où l’assureur a dû indemniser plus qu’il ne recevait de prime au titre de la police RCMS. Cela a notamment été le cas pour Chubb qui s’est vu indemniser un sinistre à hauteur de 100 000 euros alors que la prime n’était que de 600 euros. Les sinistres en RCMS sont habituellement de très forte intensité et de surcroît, il arrive même parfois d’assister à la mise en cause de plusieurs personnes physiques à la fois comme par exemple, la mise en cause des dirigeants de droit et de fait qui sont tous couvert au titre de la même police RCMS, chose pouvant aller jusqu’à des sommes faramineuses.

Dans le cas particulier d’un recours en responsabilité pour insuffisance d’actif contre le dirigeant, les tribunaux ont, par exemple, pour habitude de condamner le dirigeant au paiement de l’intégralité du passif, le but étant de reconstituer l’actif et d’indemniser l’ensemble des créanciers. Dans un cas d’espèce vécu par Chubb Insurance, le dirigeant se voyait reprocher l’insuffisance d’actifs de la société dû à sa stratégie jugée insuffisante. Ce dernier avait, de plus, accordé une avance de trésorerie aux diverses sociétés du groupe. L’insuffisance d’actif, en l’espèce, atteignait les trois millions d’euros et les frais de défense, 23 000 euros ce qui illustre bien l’ampleur que peuvent avoir les sinistres RCMS.

De plus, il convient de préciser que les comportements malveillants des dirigeants se multiplient d’années en années, phénomène que la crise n’a fait qu’aggraver. En effet, depuis la crise, une vague de sinistres résultant de comportements malveillants de dirigeants semble s’abattre sur la scène assurantielle. Dans le cas de la responsabilité pour insuffisance d’actifs, un dirigeant avait même, par désespoir, poursuivi une activité déficitaire et ne s’était volontairement pas déclaré en situation de liquidation dans le délai légal (45 jours) ce qui lui a valu une condamnation par le tribunal de commerce au paiement de l’intégralité de l’insuffisance d’actifs s’élevant à 159 500 euros, le tribunal ayant constaté l’imprudence du dirigeant qui, de surcroît, n’avait qu’un seul client (87% du CA). Il est important de rappeler que dans le cas de l’insuffisance d’actifs, sont seuls habilités à engager la responsabilité personnelle du dirigeant, le mandataire judiciaire, le liquidateur et le Ministère Public.

Il est vrai qu’eu égard aux nombreux cas d’espèce auxquels sont confrontés les assureurs quotidiennement, on a légitimement l’impression que la police RCMS s’enclenche automatiquement et que la garantie est systématiquement acquise et ce, même dans des hypothèses où le dirigeant serait véritablement malveillant puisque les assureurs ont pour habitude d’avancer les frais à l’assuré dirigeant jusqu’à preuve de son éventuelle faute intentionnelle et pour la plupart, ont même pour politique de ne pas réclamer la restitution des frais avancés. Il y a ainsi un véritable et légitime sentiment que l’assureur paiera toujours pour le dirigeant quel que soit la situation et qu’il y a, en ce sens, bel et bien une tendance à la déresponsabilisation du dirigeant. Ce dernier peut se permettre des écarts de conduite et compter sur son assureur RCMS et D&O pour le couvrir.

Les polices D&O et RCMS semblent a priori engendrer un phénomène de déresponsabilisation du dirigeant qui se trouve aggravé par l’existence d’un large choix d’extensions de garantie.

20 Cass. Com. 20 mai 2003

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