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B : Une définition restrictive teintée d’incertitudes.

ADIAL

61. Il est intéressant de voir que cette décision d’amputer la faute lourde de ses excroissances qui lui avaient été apportées auparavant s’est faite de manière délibérée de la part de la Chambre mixte et quasiment à l’encontre des conclusions de l’avocat général Régis de Gouttes . En effet, pour ce dernier l’élément objectif est « sans doute le plus déterminant ». Cela démontre que la solution de la Chambre mixte puis de la Chambre commerciale n’allait pas forcément de soi et que des incertitudes demeurent du fait, d’une part, de l’attachement de la première Chambre civile à la conception objective (1), et, d’autre part, en raison de la persistance des interrogations quant à la portée de la définition subjective de la faute lourde (2).

1 : L’attachement de la Première Chambre civile à la conception objective.

62. On peut remarquer que la conception subjective de la faute lourde n’a pas, depuis la décision de la Chambre mixte, fait tâche d’huile. En effet, la première Chambre civile de la Cour de cassation reste manifestement toujours attachée à la conception objective de la faute lourde. Déjà auparavant, la première Chambre avait fait sienne cette conception en considérant que « en raison du caractère essentiel de l’obligation inexécutée », le manquement du débiteur caractérise une faute lourde rendant inopposable à son cocontractant la clause limitative de responsabilité .

63. Suite aux arrêts de la Chambre mixte, la première Chambre civile, dans un arrêt du 4 avril 2006 , a marqué sa volonté de rester fidèle à la conception objective et de faire entendre sa différence. Cet arrêt a été rendu à propos de la faute commise par la société France Télécom qui n’avait pas fait figurer dans l’annuaire papier les coordonnées téléphoniques d’un avocat. La première Chambre civile a relevé que « l’obligation inexécutée, portant sur un numéro professionnel dont l’accès avait été, de fait et durablement, limité à un support non encore utilisé couramment par le grand public, présentait un caractère essentiel et que, s’agissant d’une profession interdite de toute publicité particulière, ce manquement avait eu des conséquences graves pour M. X ». Ainsi, la première Chambre civile fonde la mise à l’écart de la clause limitative de responsabilité sur des critères fondamentalement objectifs : d’une part, sur le caractère essentiel de l’obligation inexécutée, et d’autre part, sur la particulière gravité des conséquences dommageables pour le créancier. Certes, cet arrêt n’a pas été publié au bulletin, cependant, il a suffisamment interpellé la doctrine pour y déceler une réelle incertitude quant à la pérennité de la définition subjective stricte de la faute lourde.

64. Il est à remarquer que par le passé, la première Chambre civile et la Chambre commerciale s’entendaient pour retenir, dans les mêmes circonstances de l’omission de coordonnées professionnelles dans un annuaire téléphonique, la faute lourde en se référant au caractère essentiel de l’obligation. A juste titre, Monsieur le professeur Grégoire Loiseau s’interroge sur le fait que la Chambre mixte ait pu ouvrir la voie à une discorde. La question est d’autant plus intéressante que la première Chambre civile s’engage dans une résistance vis à vis de la Chambre commerciale dans l’appréciation des fautes. En effet, à l’image de la faute lourde, la faute inexcusable, dans le cadre du transport aérien, semble faire elle aussi l’objet d’un conflit entre les deux chambres. Si la Chambre commerciale prône une approche subjective, la première Chambre civile délivre une conception résolument objective de la faute inexcusable du transporteur aérien.

2 : Les interrogations persistantes quant à la portée de la définition subjective de la faute lourde.

65. L’une des questions qui anima le débat doctrinal suite aux arrêts de la Chambre mixte du 22 avril 2005 est la portée qu’il convient de donner à la définition subjective de la faute lourde. Il semble qu’à ce sujet, une incertitude demeure qui tient au fait que dans les deux espèces, était en cause le contrat type de messagerie rapide. En effet, la définition nouvelle de la faute lourde est-elle réservée aux seuls plafonds légaux de réparation ou doit-elle être, comme le suggère Madame le professeur Bénédicte Fauvarque-Cosson , au nom de la clarté et de la cohérence du droit des contrats supposant une définition unique de la faute lourde, être étendue aux plafonds conventionnels ?

66. Il semble qu’à cette question, les auteurs demeurent dans le doute. Si pour certains d’entre eux le fait que la Chambre mixte se réfère explicitement à « la faute lourde de nature à tenir en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat type », la définition subjective de la faute lourde ne vaudrait que pour le contrat type de messagerie. Pour d’autres auteurs , si l’incertitude subsiste, ils refusent de voir une portée à ce point réduite des arrêts de la Chambre mixte. Ils estiment qu’il n’est pas inéluctable de considérer que la conception subjective de la faute lourde doit désormais jouer, d’une façon générale, pour tous les plafonds de réparation, quelque soit leur origine, contractuelle ou réglementaire(ou légale), et quelque soit la qualification des contrats. Dans ce cas, ces arrêts remettraient véritablement en cause la conception objective de la faute lourde. Cette solution est prônée par ces auteurs car, d’une part, cela permettrait d’aboutir à une solution unifiée quant à la notion de faute lourde, et d’autre part, en raison des critiques dont la conception objective fait l’objet en doctrine. Par ailleurs, le visa de l’article 1150 du Code civil plaiderait, lui aussi, en faveur d’une solution de portée générale.

67. Ainsi, la faute lourde demeure une notion difficilement saisissable en raison non seulement de la fluctuation de sa définition, alternant entre une conception stricte et circonscrite et une conception élargie, mais aussi car cette définition reste incertaine laissant les auteurs de la doctrine sur leur fin. Autant dire qu’aujourd’hui, en l’absence de précisions de la part de la Cour de cassation, et dans l’attente d’un décision d’Assemblée Plénière faisant autorité, il semble que l’on doive se résigner à une pluralité de définitions de la faute lourde selon la source, conventionnelle ou légale, du plafond de réparation. Cependant, une telle décision ne réglerait pas tous les problèmes. En effet, à côté de la problématique posée par la définition de la faute lourde, se pose celle posée par le régime de cette notion qui, loin s’en faut, demeure dépourvue d’unification.

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