Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

B – Processus de production de l’identité

Non classé

L’histoire de la communication institutionnelle nous montre comment celle-ci a commencé par se fourvoyer en se saisissant de cette problématique identitaire, empruntant aux techniques de l’univers marchand sans avoir toujours l’expertise pour affirmer ses besoins. Puis, au fil du temps, la notion de marque dont elle empruntait les seules apparences que sont les moyens d’identification comme par exemple, le logo, s’est imposée peu à peu.(36)

1- Rappel historique de la communication des Régions

a – Enjeu de la communication identitaire

« Constatons que la plupart des collectivités ont attendu la décentralisation pour commencer à communiquer » note Hélène Cardy(37). Les nouvelles responsabilités issues des lois de décentralisation imposent de travailler sur l’image des territoires des collectivités. « Les collectivités doivent désormais trouver leur place sur un « marché », marché des investisseurs et des créateurs d’emplois. La concurrence est ici externe ; il faut attirer et retenir investisseurs et touristes. D’où la nécessité de se doter d’une « identité » et de promouvoir son territoire à destination d’un public externe ».(38) L’enjeu est également interne. Pour les habitants du territoire de la collectivité, comme nous l’avons vu, il faut développer le sentiment d’appartenance.

« L’identité régionale a été érigée en enjeu du succès ou de l’échec à venir de la politique de régionalisation : on s’interroge de manière récurrente quant à l’unité, la cohérence, la cohésion de telle ou telle région. » note Élisabeth Dupoirier(39).

b – Un fourvoiement initial

Cet enjeu crée un besoin spécifique de communication publique. Il fait se tourner les collectivités vers le secteur privé des agences de communication « le proessionnel de la communication a pu apparaître comme le continuateur du spécialiste en marketing, chargé de créer le désir d’un produit ou d’un service et d’en présenter une image conforme à l’aspiration qu’il aura lui même suscitée. »(40) La communication des collectivités devient un enjeu économique pour des prestataires de services « dont la compétence initiale est plus commerciale que politique, ce qui n’est pas sans effet quand cette collaboration voit la part du conseil prendre le pas sur celle du service. »(41) Le résultat, aboutit à une confusion entre la sphère marchande et publique comme le résume dans un entretien le publicitaire Jean-Pierre Grunfeld :
« C’est le syllogisme Séguélien qui date du début des années quatre-vingt : « Je sais communiquer un produit ; vous Idée, vous Homme politique, vous Ville, vous Collectivité, vous êtes un produit ; je vous communique comme un produit ; je vous vends. » Une majorité de politiques a été séduite et continue à être séduite par ce syllogisme. »(42) Les observateurs de la communication publique notent alors un mouvement général, centré autour de l’identité, comme pour une marque dont un publicitaire cherchera le « coeur » pour créer ses messages. Le constat est plutôt sévère. Partant d’une volonté de trouver des messages identitaires propres à créer ou renforcer des sentiments d’appartenance ou des messages valorisants les atouts du territoire « les mêmes arguments ont été ressassés, servant un message inadapté parce que non ciblé, avec un langage impropre. Opérations qui se soldaient la plupart du temps par un tissu de banalités, doublé d’un message lisse et uniforme.

Finalement, la publicité, loin de mettre en valeur des objets distincts, les a rendus identiques. Le résultat était prévisible : au lieu de renforcer les collectivités concernées, ces messages se détruisent par leur similarité. Les différences se font sur ce qui est déjà acquis par chacune, sur ce qui lui est propre. Mais bien souvent, les discours portent sur des éléments qui ne sont pas particuliers à (une ville ou une région), […] mais qui appartiennent à une culture d’expansion, de compétitivité ».(43)

c – Lissage et brouillage des messages

On aboutit ainsi à ce paradoxe : la communication, censée permettre une meilleure identification de la collectivité, devient un facteur d’uniformisation. Elle lisse plutôt qu’elle ne différencie. Le télescopage des messages crée un phénomène de brouillage.(44) « La communication suppose différenciation et hiérarchisation des informations, mais tous les messages tendent à se valoir et à se détruire mutuellement ».(45) Plus grave est la conséquence que relève Pierre Zémor, de la transformation du citoyen en consommateur de chose publique. « Dans la concurrence des messages qui lui sont adressés, le citoyen devient un consommateur de la chose publique. Sur les responsables politiques et sur leurs actes, on lui propose des annonces et des promotions faciles, ludiques et lucratives ».(46) Le message et les vecteurs de la communication publique tendent à l’indistinction avec ceux de la publicité commerciale.

2- Comment se forme l’identité

a – Retrouver le sens

Comment dès lors, échapper à ces risques d’uniformisation, de banalisation ou de dévaluation du message publique ? Si nous suivons Hélène Cardy dont le travail sur l’identité régionale a analysé les différentes phases de la communication publique, « après une période d’inflation communicationnelle, due en grande partie à la nouveauté de ces pratiques, et, partant, à l’inexpérience, les choses sont entrées dans l’ordre. »(47) Le thème de l’identité qui s’est imposé dès la création des régions n’est alors plus l’objectif principal. La nécessaire explication de ce que fait l’institution prend sa place. Il apparaît « indispensable de faire comprendre à la population le fonctionnement d’une collectivité et son rôle profondément accru (routes et moyens de transport, éducation, aides sociales, culture, etc.), ce qui conduit à une attitude d’explication, mais aussi de valorisation de ce qui est entrepris ou achevé (la part des « réalisations », « constructions », « rénovations », « aménagements » est colossale dans la communication des collectivités). »(48) Une autre part de la communication prend en charge l’explication de l’institution elle-même et de son fonctionnement.

Faute de ces premiers niveaux d’information, tout travail de communication qui poursuivrait d’autres objectifs semblerait en effet un peu vain.

Comment retrouver dès lors la problématique de l’identité sans qu’elle paraisse factice, simple effet d’opportunisme politique ? En la rattachant à celle du sens que doit produire la communication locale.

b – « L’interactionnisme »

Pour Élisabeth Dupoirier, « l’identité, tout comme la culture avec laquelle elle a partie liée, est bel et bien essentiellement politique ». L’auteure met en avant l’idée d’un « interactionnisme » comme processus de production de ce que serait une identité régionale. Impossible dès lors de prétendre vouloir construire de toutes pièces une identité. Celle-ci, basée sur une « communauté de vie, de pensée, voire d’intérêts fondés sur l’appartenance à un même territoire, » s’appuierait aussi sur « la mise en valeur des politiques régionales et visant à convertir l’attachement des citoyens en une implication plus concrète, en un sentiment d’appartenance dépassant les conditions socio-économiques et les préférences politiques. » Nous retrouvons une idée similaire des années plus tard chez Jean de Legge, directeur de l’agence TMO Régions : « L’appartenance territoriale est une appartenance à un ordre démocratique qui doit se donner en spectacle pour faire muter les habitants en citoyens. Le savoir dire est une condition du savoir vivre. La communication des collectivités ne consiste pas à vendre des politiques, mais à fabriquer de la culture locale. La communication en définitive a un mandat social, il s’agit d’intégration territoriale et de cohésion sociale. Le travail consiste à produire du consensus et de la perspective. »(49)

La finalité pour la collectivité sera de tendre à se confondre avec le territoire comme représentant son émanation indiscutable. Pour sa communication, ce sera de susciter et valoriser un sentiment d’appartenance pour les habitants. Pour l’extérieur, l’image, affirmée et valorisée devra favoriser l’attraction du territoire. C’est donc bien d’identification dont on parle ici, conditionnée par l’émergence et la valorisation d’une identité. Les deux sont liés : je dois savoir qui tu es, comment tu es pour te reconnaître.

L’idée que nous trouvons là, vertueuse, est que faute d’une identité qui soit « réelle » sur laquelle s’appuiera la communication et qu’elle entretiendra et fortifiera, l’identification sera toujours défaillante. « Le rôle des images véhiculées, des logos, et des slogans est de donner naissance à l’existence d’un nouveau territoire social et politique qui émerge au détriment d’un territoire géographique. »(50) Du moins la communication régionale accompagne-t-elle cette émergence et doit lui être concomitante.

c – Une « trajectoire »

Il reste à voir comment cette concomitance peut être établie. Notre idée de départ qui postulait la possibilité de production d’une identité paraît dès lors un peu trop « communicante » et mal appuyée sur la sociologie de l’identité. On ne parlera donc plus de « production » ou de « création » d’une identité mais d’un accompagnement ou d’un renforcement. « On ne peut pas modifier l’identité d’un service de l’État comme celle d’une entreprise. Surtout pas par les seuls moyens de la communication, en modifiant un logo, une devise, un slogan. Plus qu’une marque, une identité publique est une résultante de l’histoire, un compromis institutionnel légal dont les citoyens se sentent gardiens. »(51)

L’identité, aussi ténue soit-elle, se retrouve, elle ne se crée pas ni ne s’invente. Ce serait prêter beaucoup d’influence à une campagne de communication même de grande envergure que de penser qu’elle pourrait fabriquer de toutes pièces ce qui est le résultat d’un processus complexe difficilement analysable et jamais arrêté. Pour Michel Foucault, « l’identité est une trajectoire ». On pourra donc en dire qu’elle se co-élabore, qu’elle s’appuie sur un « interactionnisme » mais non pas qu’elle procède d’une décision. Nous verrons dans les cas pratiques des Régions Picardie et Pays de la Loire comment il est possible d’essayer de s’appuyer sur une identité, même fragile et de la fortifier.

36 On retrouverait presque un mouvement dialectique dans les trente années de communication publique des collectivités. Dans sa première période, elle s’empare de la forme extérieur puis la délaisse pour revenir au fond et enfin essaie d’unir les deux.
37 Cardy, Evolutions et perspectives.
38 Jean-François Tétu, I.E.P. de Lyon in Communication et politique, Hermès n° 17-18, 1995.
39 Dupoirier, Op. cit.
40Elisabeth Dupoirier, Op. cit.
41 Jean-FrançoisTétu, Op. cit.
42 www.formes-vives.org
43 Hélène Cardy, Evolutions et perspectives.
44 Les auteurs (Cardy, Tétu, Zémor, dénoncent « des slogans et des images d’une affligeante banalité (chacun étant à la fois «au coeur» de quelque chose, dans de multiples métaphores organicistes où le «coeur», le «poumon», et les «artères» sont tout de même plus répandues que le «cerveau»).» Jean-François Têtu, Op. cit.
45 Lucien Sfez, Critique de la communication, Seuil, Paris, 1988.
46 Le défi de gouverner, communication comprise. Mieux associer les citoyens ? / Pierre Zémor. –Paris L’Harmattan, 2007.
47 Hélène Cardy, L’identité régionale, p148.
48 Elisabeth Dupoirier, Op. cit.
49 Jean de Legge, Directeur de TMO Régions in Le triptyque de l’appartenance territoriale – Savoir dire pour savoir vivre. www.tmoregions.fr
50 Hélène Cardy, L’identité régionale, p140.
51 Pierre Zémor, op.cit., p17.

Page suivante : C - Vers la marque : l’exigence de sens

Retour au menu : Les Régions en quête de proximité : Stratégies d’identification : Le cas spécifique du Limousin