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Annexe n°2 : Entretien avec Boris HELLEU

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Présentation :

Maître de Conférences à l’Université de Caen Basse-Normandie, il dirige le Master 2 « Management Du Sport ». Auteur d’une thèse consacrée aux aspects géographiques de la régulation du sport professionnel, il est docteur en STAPS de l’Université de Rouen (qualifié en STAPS – section CNU 74 – et géographie – section CNU 23).

Inscrit dans l’axe Politiques, Organisations, Stratégies de l’EA 4260, ses travaux envisagent la digitalisation du sport-spectacle (autrement dit, le sport et les médias sociaux). Animateur du jury de blogueurs de Sportnumericus, il y a animé la table ronde consacrée au stade 2.0.

Personnes présentes : Romain LELANDAIS et Léo GRIMALDI
Durée de l’entretien : 53 minutes
Lieu de l’entretien : UFR Staps de Caen

Introduction sur nos thématiques de mémoire de recherche

Sur le terme de stratégie digitale, ce qui est intéressant, c’est que tous les clubs qui se sont engagés sur les médias sociaux l’ont fait en l’absence totale de stratégie. Et une stratégie, c’est quoi ? C’est assez simple, c’est se fixer des objectifs, benchmarker un petit peu pour aller voir ce que font les autres, concevoir et piloter sa stratégie et en mesurer les retombées.

Pour autant, est-ce à dire qu’ils font du mauvais travail ? Pas vraiment parce que finalement ils poursuivent des objectifs au jour le jour qui sont assez communs. C’est-à-dire, avoir un relationnel avec les fans, travailler leur image de marque, etc. Mais si vous demandez aux clubs quelle est leur stratégie digitale, ils vont être un peu démunis pour vous répondre parce qu’ils vont dire, voilà, on s’est mis sur les médias sociaux en essayant de découvrir un petit peu comment ça fonctionnait. Puis au jour le jour, on a optimisé notre façon de faire. Par contre, les clubs qui échouent ou, plus largement les organisations sportives qui échouent sur les outils sociaux numériques, ce sont ceux qui y sont allés parce qu’il faut y aller. Ils se sont dits : on y va parce que les autres y vont aussi, sans vraiment trop savoir comment utiliser ces outils. Mais par exemple, puisque vous connaissez le Valenciennes FC ou puisque j’ai eu l’occasion de discuter à Fast Sport avec des dirigeants des Girondins de Bordeaux : ils se sont dits voilà on a eu l’occasion de créer notre compte Twitter, quand on a fait un jeu concours, on s’est dit que ce serait intéressant de faire ci ou ça. Et voilà. Donc en fin de compte, vous pouvez laisser dans votre cadre de recherche le terme de stratégie, mais, à un moment, il faudra expliquer en quoi c’est une stratégie qui se construit au jour le jour avec des objectifs qui apparaissent en fonction de contraintes techniques : c’est-à-dire l’ensemble des outils numériques que les clubs ont à leur disposition : Facebook, Twitter, Foursquare, Instagram, etc. Et en fonction d’usage, c’est-à-dire la réaction des fans, des partenaires, des institutions par rapport aux prises de paroles numériques des clubs. Donc ça, c’était pour la dimension stratégique.

Ensuite Léo, sur la dimension stade connecté, à mon sens aussi, c’est un sujet qui va largement être abordé dans les deux ou trois ans à venir. Je crois savoir qu’un étudiant de Rouen a commencé à travailler la question. Moi, à titre personnel, je travaille aussi la question. Et ça soulève effectivement plusieurs interrogations entre qu’est-ce que c’est qu’un stade connecté, comment ça fonctionne, comment on gère la connectivité entre le club, le stade, les fans, les partenaires, etc. Comment on fait pour monétiser tout ça ? C’est vraiment quelque chose d’intéressant. Et, au final, quels sont les nouveaux acteurs ? Combien ça coûte ? La seconde partie est également très intéressante sur les événements qui se digitalisent et, à mon sens, 2012 a clairement annoncé la couleur. À mon sens, il n’y a pas un seul media event qui dorénavant va pouvoir faire l’économie d’une digitalisation. Maintenant, même à l’UEFA ils ont des responsables pour les nouveaux médias. Même l’Europa League par exemple existe sur les médias sociaux avec des opérations pour engager les fans.

Ce qui est le plus intéressant à suivre, c’est ce qu’a pu faire la NBA sur le dernier All Star Game en 2012. Là, c’est très intéressant parce que, précisément, la Ligue a su identifier ses objectifs : qui nous sommes ? Nous sommes une marque globale, tout le monde ne peut pas être dans l’Arena pendant le week-end du All Star Game. Pour autant, il va y avoir du contenu fourni par les fans, il faut qu’on le valorise. Ils ont mis en place un site qui agrégeait un ensemble de contenus, qui le valorisait. Ils ont mis en place des jeux-concours pour faire participer les fans, notamment l’élection au concours de dunk, etc. Est-ce que c’est utile de l’aborder dans le même mémoire ? À mon sens, c’est quand même deux choses différentes. Entre un événement et l’endroit dans lequel il se déroule. Effectivement, sur les deux choses, vous allez avoir des choses à dire. Voilà, c’était un petit peu le propos liminaire pour essayer de fixer un petit peu le cadre de vos travaux. Donc maintenant, si vous avez des questions un petit peu plus précises, je vous écoute.

L.G : Pour commencer sur une question assez générale, comment est venu votre sensibilité au domaine du numérique et du digital ?

Alors, en fin de compte, c’était d’abord une pratique plutôt personnelle, notamment à vocation pédagogique. C’est-à-dire que j’ai pour habitude de débuter chacun de mes cours par une revue de presse et j’ai identifié Twitter comme un outil intéressant pour mener ce travail de sélection d’articles pertinents. C’est une possibilité pour partager ces articles au fur et à mesure avec mes étudiants. Donc, au départ, c’était vraiment une opération pédagogique. Je me suis aperçu finalement que mon audience était beaucoup plus large. Au-delà de mes étudiants, cela intéressait, pour le dire vite, les acteurs du sport business. Et finalement, alors même que ce n’était pas mon objectif, on a commencé à me reconnaitre comme étant le spécialiste du sport business et du numérique, simplement parce qu’il y a eu une confusion entre mon activité digitale et ce qu’on me prêtait comme travail de recherche alors que moi, initialement, je travaillais plutôt sur l’économie et la géographie du sport. Et, on m’a même proposé, par Twitter d’ailleurs, de rédiger un chapitre d’un ouvrage en anglais sur le sport et les nouveaux médias. J’ai accepté, et donc, du coup, j’ai totalement repositionné mon activité de recherche sur le sport et les nouveaux médias. C’était en projet, mais disons que d’avoir une activité numérique a accéléré les choses. Donc, dorénavant, j’ai un compte Twitter qui est assez bien suivi par les acteurs du sport business, par les étudiants en management, etc. J’ai un blog avec des articles de fond sur le marketing et l’économie du sport professionnel. Effectivement, je commence à être assez sollicité dans le cadre d’animations de cours, de conférences ou d’événements de type Sport Numericus pour partager une expertise sur le sport et les nouveaux médias. Donc finalement, comment je suis arrivé là ? C’est pratiquement un malentendu ou une opportunité quoi.

R.L : Justement, l’attraction grandissante autour d’événements tels que Sport Numericus montre le fort intérêt actuel des organisations sportives pour ce qui touche au numérique et au digital. Selon vous, quelles sont les principales raisons de cet engouement naissant ?

Alors, à mon sens, l’explication est simple. C’est-à-dire que l’on est dans une société qui, au quotidien, se digitalise. C’est-à-dire que, nous, dans nos activités de recherche, dans nos cours ou dans vos mémoires, on parle beaucoup du sport et des médias sociaux. Il ne faut pas oublier que cette tendance à la numérisation s’applique à tout un ensemble de champs.

Puisqu’on est à l’université, il y a quelque chose qui s’appelle les TICE (Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement). Entre parenthèses, je pense qu’aujourd’hui, on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur les modalités de transmission du savoir à l’heure des nouveaux médias. C’est-à-dire que l’on ne peut plus demander aux étudiants d’apprendre des choses par coeur alors qu’ils sont en mesure d’aller chercher une information très rapidement sur Internet. À mon sens, le sens d’un enseignement, c’est plutôt d’apprendre aux étudiants à identifier des sources d’informations pertinentes, les filtrer, les synthétiser. Donc finalement, le digital touche l’enseignement, mais il touche aussi les médias classiques, le divertissement télévisuel : il y a de plus en plus d’émissions télé qui nous proposent un hashtag pour participer, etc. Ça touche également la politique. Pas seulement depuis la dernière élection aux États-Unis, mais celle d’avant. On a reconnu le rôle déterminant et important des nouveaux médias dans la campagne d’Obama.

On voit bien à quel point un tweet de la première dame de France peut déchainer les passions et des réactions médiatiques. On parle également des arts numériques. Finalement, énormément de domaines de la société sont touchés par le digital. Donc le sport n’échappe pas à cela. Et pourquoi ça fonctionne énormément dans le sport ? Et bah parce que le sport, et notamment le sport spectacle, a vocation à produire de l’émotion. Or, que permettent les médias sociaux ? C’est le partage immédiat, rapide, et à une audience assez large d’une émotion vécue. Typiquement, qu’est-ce qu’il se passait il y a encore dix ans ? On allait voir un match avec des amis dans un stade et quand son équipe favorite marquait un but, on était heureux, on sautait et on partageait les émotions avec son voisin. On continue à faire cela, mais dorénavant, on peut très bien partager une émotion, une information ou un contenu (vidéo, image, etc.) en dehors du stade. À mon sens, c’est pour ça que les acteurs du sport commencent à avoir un intérêt croissant sur les outils numériques parce qu’ils ont bien vu en quoi les fans s’emparaient de ces outils-là avant même que les clubs, les ligues, les fédérations identifient ces outils.

R.L : À travers ça justement, vous ne pensez pas que, au final, le digital peut desservir le sport ?

Alors, desservir le sport. Alors, des fois lorsque je fais des cours sur le sport et les nouveaux médias, j’explique d’abord aux étudiants que le digital c’est d’abord une expérience. C’est la confrontation à un réel et c’est une modalité de vivre et partager ses émotions. Et donc, je m’en remets à ma propre expérience match day et j’explique qu’effectivement lorsque je vais voir un match de foot ou un match de basket, je passe énormément de temps avec mon smartphone à la main. Je prends des photos, je les diffuse à une communauté, je produis d’autres types de contenus textes, etc. Et effectivement, je peux passer plus de temps plutôt à regarder un écran que ce qui se passe sur le terrain. Et on me fait toujours le reproche de pervertir le spectacle sportif et de rater quelque chose. Or, c’est faux.

Je ne rate pas quelque chose, je vis une expérience match day qui est différente, qui est peutêtre plus digitale, etc. Je ne rate rien. J’ai une statistique qui me revient en tête : une étude qui a été menée sur des fans américains. Sur ceux qui utilisent justement un device, donc un smartphone ou une tablette pendant un match, 40 % d’entre eux (ce qui n’est rien) considèrent que le recours à un second écran pendant une expérience match day renforce leur loyauté à l’équipe et optimise leur expérience match day. Donc finalement, ok on rate peut-être un corner ou une action de jeu, mais le plaisir qu’on a eu à partager une émotion ou un contenu fait que cette expérience match day digitale n’est pas pour autant caduque. Donc, sur la question de « Est-ce que la digitalisation match day fait qu’on rate quelque chose ou que ça pervertit le sport ? », non je ne pense pas. C’est juste une évolution des modalités de consommation nouvelles.

L.G : Selon vous, les clubs ou les organisateurs d’événements sportifs peuvent-ils, à l’heure actuelle, se passer d’une stratégie digitale ou, du moins, d’une présence sur les médias sociaux ?

Oui. Alors tout à fait. C’est-à-dire que la première réaction de bon nombre de clubs était de considérer qu’il faut y être. Donc ils se sont engagés sur les médias sociaux sans réelle stratégie. On a quand même de bonnes pratiques qui commencent à émerger, mais il ne faut pas oublier que, à la limite, la bonne pratique pour certains clubs est encore de ne pas adopter tel ou tel outil. Tout le monde n’est pas obligé d’avoir une page Facebook. Il y a certaines franchises NFL, et ce n’est pas rien la NFL, qui ont fait le choix de ne pas avoir de pages Facebook et de continuer à tout miser sur leur site officiel.

Voilà. Et pour bon nombre de clubs, il ne sert à rien d’aller sur Twitter s’ils ne sont pas en mesure de faire vivre un compte alors même que l’on sait que Twitter c’est de l’instantané. Donc s’il s’agit de mettre un tweet le matin, un tweet le soir et de ne jamais réagir aux fans qui les interpellent sur Twitter, ça ne sert à rien d’y aller. Donc, c’est vrai que ça commence à être une norme d’être présent. De la même façon, on s’est aperçu il y a quinze ans que c’est important d’avoir un site officiel. C’est vrai que maintenant ça peut être intéressant de s’engager sur les médias sociaux. Pour autant, ce n’est pas une obligation. Moi, j’ai tendance à dire qu’y être, déjà, ce n’est pas sûr que ça va vous rapporter quelque chose. Si vous bossez mal, si vous comprenez mal les outils, ce n’est pas sûr que ça vous rapporte quelque chose. Dès lors, ne pas y être peut être une alternative envisageable. Ne rien faire, pourquoi pas. Ça ne sert à rien de se dire que je vais faire une opération sur Foursquare ou sur Pinterest parce qu’on a identifié ça comme des trucs émergents. Ça peut simplement ne servir à rien. Par contre, ce qui est à peu près sûr, c’est que de vouloir aller contre ou dénigrer, à tous les coups, c’est prendre un risque. C’est-à-dire que c’est se mettre à dos une communauté digitale qui est très active, c’est avoir une image un petit peu dégradée. C’est à peu près ce que j’en pense.

L.G : Ça, c’est ce qui se passe à l’heure actuelle. Dans une dizaine d’années, est-ce que ce sera différent ?

Oh, même avant une dizaine d’années. Mais, encore une fois, c’est que chaque média social a son utilité. C’est à la fois une contrainte technique, c’est-à-dire : quel est le périmètre d’expression de l’outil ? Qu’est-ce qui peut rajouter ? En quoi il peut être utile ? C’est à la fois un usage social, la possibilité de rassembler une communauté de fans. Mais des médias sociaux, il en existe par centaines. Il peut être à vocation professionnelle, ça peut être du divertissement, ça peut être du partage, de la gestion de contenu. On peut aller dans la musique, dans la vidéo, etc. On peut même mettre en place des opérations sur Linkedin ou Viadeo pour nos partenaires. Enfin, tout est possible. Pour autant, si on décide d’aller sur tout, on ne va rien faire parce qu’on va s’éparpiller, on ne va pas maitriser tous les outils, on ne va pas avoir le temps de le faire. Donc effectivement, ça peut être une norme qui est si importante qu’on ne va pas pouvoir faire l’économie de mettre en place dans chaque club un community manager. Ça ne veut pas dire pour autant qu’on va devoir adopter tous ces médias-là. Encore une fois, on peut choisir d’être que sur Facebook, que sur Twitter ou que sur Instagram. Et puis, de toute façon, et ça, c’est important de le rappeler, les communautés de fans existent déjà. Et elles n’ont pas toujours besoin des clubs pour continuer à exister.

C’est-à-dire que vous avez des forums de discussion sur telle ou telle équipe qui existent depuis maintenant une dizaine d’années et qui ont pas attendu d’avoir la page officielle Facebook pour partager, réagir, etc. Donc les communautés existent déjà de toute façon.

R.L : Vous en avez parlé un petit peu en introduction, mais quels sont, selon vous, les grands objectifs, les grandes lignes, de la mise en place d’une stratégie numérique ?

Bon, en fin de compte, les objectifs que l’on peut avoir lorsque l’on est un club, ils sont très variés et ils ne sont pas incompatibles. La difficulté, c’est qu’entre le président de club, le responsable marketing et le community manager du même club, les objectifs sont différents. Le community manager, lui va vous dire que son rôle est d’animer une communauté de fans et de faciliter ce qu’on appelle l’engagement des fans. Donc là on est plutôt dans une logique de valorisation du contenu produit par les fans et, finalement, on est plutôt dans une logique de relationnel. Le responsable marketing, lui ce qui va l’intéresser en premier lieu, c’est la marque du club. Il va vous dire comment est-ce que mon logo et mon image de marque peuvent profiter des médias sociaux pour être connus, reconnus et diffusés à une échelle plus importante qu’elle ne l’est maintenant. Typiquement, c’est le cas de Michel Mimram du PSG, qui dit que son objectif c’est d’être dans le Top 10 des marques sportives les plus reconnus au monde. C’est deux objectifs très différents. Le troisième objectif, c’est celui des présidents de club. Eux ne sont pas sur la reconnaissance ou sur la valorisation. Ils sont sur la monétisation. Qu’est-ce que ça me rapporte ? Parce que déjà, s’engager sur des médias sociaux, ça a un coût. Ça nécessite des ressources humaines, financières, du temps, etc. Et on en attend des retombées immédiates. Sauf qu’effectivement ce qu’on appelle le ROI, ça existe, mais ça n’est qu’une conséquence d’un bon relationnel avec les fans. Parce que les fans ne viennent pas sur les médias sociaux pour acheter. Ils y viennent pour autre chose, ils y viennent pour partager, pour l’émotion, etc. Et s’ils y trouvent leur compte, éventuellement ça débouchait sur une monétisation. Alors finalement, les objectifs sont très variés : monétisation, valorisation, relationnel. Pour les fédérations, ça peut très bien être fidélisé ou recruter de nouveaux licenciés, etc. C’est-à-dire tout est possible. Et finalement, avec un petit peu de recul, ces objectifs existaient déjà auparavant. Ça existait déjà avant les médias sociaux. Juste que les médias sociaux sont simplement un nouvel outil qui vont permettre par d’autres moyens d’atteindre ces objectifs-là. Voilà. Donc voilà, sur cette question-là, ce qu’il faut retenir, c’est qu’effectivement les objectifs sont très variés et ne sont pas toujours contradictoires, mais ils sont parfois difficiles à poursuivre en même temps parce que, dans une même institution, on ne poursuit pas les mêmes. D’ailleurs là, je n’ai parlé que des clubs professionnels où là, quand même, on peut s’entendre en interne sur quelques stratégies, mais c’est peut-être un petit peu plus difficile pour les fédérations parce que les fédérations se posent avec, comment dire, encore plus de tensions et problématiques entre les élus. Et, pour des raisons un petit peu générationnelles, il y a une incompréhension totale de ce que peuvent apporter ces outils-là et les cadres techniques qui veulent s’engager sur ces médias-là. Mais, du coup, ils n’ont pas une totale liberté de la part des élus qui ne comprennent pas toujours.

L.G : Si on prend la situation en France, selon vous, d’où vient le retard accumulé sur le digital vis-à-vis de l’étranger, et notamment des États-Unis ?

Alors, est-ce qu’on est en retard ? Bon, objectivement par rapport aux États-Unis, c’est le cas. Mais on peut considérer que les États-Unis sont peut-être un peu plus en avance. Moi, je l’expliquerais ainsi. C’est que lorsque l’on parle de marketing digital, finalement on parle de marketing classique. À mon sens, le digital est une sous-branche du marketing relationnel et du marketing expérientiel. Encore une fois, on poursuit par des outils numériques des objectifs assez classiques. Voilà. Et, ce qui explique ce retard-là, c’est d’abord parce que les clubs, pour certains je ne vais pas généraliser, ont eu du mal à s’engager dans du marketing relationnel classique. Et ça ne sert à rien de se dire qu’on va faire du marketing digital si on n’est même pas en mesure de faire du marketing traditionnel, transactionnel, relationnel, voire même expérientiel. Voilà, ça ne sert à rien. Donc, le retard, à mon sens, c’est que pour beaucoup les clubs ne connaissent pas leurs fans. Ont-ils mené des études poussées de connaissances des modalités de comportement, des attitudes de leur public ? Quel est l’abandon de leurs abonnés ? Et sur une longue période. D’où viennent-ils ? Pourquoi viennent-ils au stade ? Combien de clubs se sont lancés dans des stratégies CRM, c’est-à-dire avec des outils, logiciels, etc. ? J’ai en tête, comment dire, une enquête faite par Kurt Salmon, anciennement Ineum, sur un benchmark entre les clubs allemands, anglais et français sur l’implémentation d’outils CRM dans leurs systèmes d’information. Alors que tous les clubs anglais de Premier League et de divisions inférieures réalisent des investissements massifs dans ces logiciels-là pour recruter et cibler une clientèle. À l’époque, en France, il y avait que six ou sept clubs qui se lançaient là dedans. D’ailleurs, je crois qu’à Valenciennes, ils viennent de le faire. Ça fait un an et demi qu’ils viennent de lancer ça. Donc voilà, finalement, on est en retard sur le digital parce que c’est du marketing et parce qu’en France, on est en retard sur le marketing classique. Parce qu’on s’est longtemps reposé sur les droits TV et qu’on considérait que le public allait venir voir un match de foot sans se poser la question de la concurrence qui n’est pas seulement maintenant locale, mais globale, en concurrence avec la télé, etc. On s’aperçoit qu’on a des stades qui ne sont pas si super que ça, etc. Donc, à mon avis, le retard n’est pas tant lié à l’adoption des nouveaux dispositifs socio-numériques mais plutôt à des stratégies marketing au sens large.

R.L : Selon vous quels sont les exemples à suivre dans le domaine sportif ou même dans d’autres ?

Au niveau international, on a beaucoup de clubs qui se distinguent par une utilisation habile de différents outils, certes c’est de très grands clubs. Par exemple le FC Barcelone est en mesure d’engager une communauté de fans à la fois très locale et à la fois globale puisque maintenant c’est une marque mondiale, notamment grâce à leur application pour mobile. M City engage aussi largement sa communauté de fans par tout un système de petits concours, par l’utilisation pertinente de foursquare etc. vous allez avoir la même chose en NBA avec les Lakers qui ont un super compte avec Instagram. Vous allez avoir la même chose avec les Giants de SA en Baseball parce que c’est la Silicon Valley, parce qu’historiquement la culture du digital vient de là et qu’aussi bien les fans que la franchise se sont entendus sur de bonnes pratiques digitales. Après vous avez sans parler des clubs des ligues comme la NBA ou encore la WWE en catch ou l’UFC en FreeFight qui se sont largement mobilisés sur les réseaux sociaux pour faire la promo de leur produit. Disant cela je peux véhiculer à tort l’idée qu’une bonne stratégie digitale complète est l’affaire de grands clubs ou de grandes structures, ce qui est faux. C’est-à-dire que si on revient en France, la meilleure stratégie digitale selon moi est celle de Poitiers en Basket qui est un club somme toute mineur, qui navigue entre professionnel B et professionnel A. sauf que le responsable à l’époque Benoit Dujardin a bien compris quel était l’ADN du club, a bien compris les attentes des fans, et alors même que le club enregistrait une suite de défaites, aucune perte d’affluence dans la salle et aucun signe de mécontentement des fans, parce que précisément la relation fan club était sur un autre terrain que le résultat sportif, « on est content ensemble dans la victoire, on se soutient dans la défaite » et justement un marqueteur qui bosse bien c’est quand le fan est content alors même que son équipe perd. Donc même lorsqu’on est un petit événement ou un petit club, il y a la possibilité de concevoir une stratégie digitale qui soit pertinente, parce que, et ça, c’est important de le dire, avec les médias sociaux on a le fantasme de la globalisation, on va se dire : « grâce à Twitter et Facebook je vais être connu de par le monde, et tous les fans du monde entier vont venir me voir ». Sauf que c’est faux, l’utilisation pertinente d’un médial social peut être super localisée, et quand tu es Guingamp, Ajaccio ou Caen et que de toute façon tu communiques sur une fan base super locale, et sur une image de marque régionalisante, et bien tu peux très bien utiliser Twitter, FB ou Instagram avec une vocation super locale.

RL : Justement par rapport à ça vous ne pensez pas que des petites organisations peuvent réussir à se démarquer en créant des innovations dans ce domaine ?

Oui, parfaitement. En fin de compte dans une stratégie digitale à mon sens il y a 2 choses. Il y a l’opération en soi, avec les retombées qu’il va y avoir, et lorsqu’on se lance là dedans les retombées sont toujours assez faibles. Mais surtout il y a le fait de dire et de faire savoir ce qu’on a fait et ce qu’on a voulu faire, et là on peut avoir une audience beaucoup plus large et finalement on travaille son image de marque parce qu’on va se dire : « cet événement-là ou ce club innove, parce qu’il a essayé de communiquer de telle façon, ou de s’adresser à tel fan, de faire tel truc, avec un changement de ton qui est assez marrant. Un exemple concret, l’open de tennis de Caen qui est un tournoi associatif, même pas un tournoi challenger, mais un tournoi qui se développe largement parce qu’on y fait venir les meilleurs Français et le tournoi se déroule dans le Zénith. J’ai des étudiants du M2 qui sont impliqués dans l’organisation et on a essayé de réfléchir ensemble aux prolongations digitales qu’on pouvait donner à cet événement-là. On a rapidement établi par exemple qu’ouvrir un compte Twitter de l’open de tennis de Caen ce n’était pas du tout pertinent, ça n’avait aucun sens, ni même être à fond sur FB. Par contre une stratégie qui pouvait être innovante c’est d’ouvrir un compte Instagram où la stratégie était d’ouvrir finalement les coulisses du tournoi aux fans « regardez comment le zénith est en train de se transformer en terrain de tennis, regardez comment fait pour installer le terrain bleu, regardez comment Llodra arrive, sa préparation, regardez le public, avec une photo où comme par hasard on voit bien les partenaires… » En soi si vous allez voir sur le compte Instagram de l’Open de Caen il y a très peu d’abonnés, alors on peut se dire que ça ne servait à rien de le faire parce que l’audience a été super limitée. Sauf que d’un autre côté l’open peut communiquer en disant : regardez, nous on s’est lancé là-dedans, regardez les photos prises, et l’année prochaine ça sera mieux, on va discuter avec les partenaires sur les façons de les valoriser… donc une stratégie digitale c’est toujours les retombées en soit de l’opération qui peuvent être parfois limitées, mais c’est surtout de dire et d’expliquer ce qu’on a voulu en faire. Et c’est ça qu’on oublie de faire régulièrement.

L.G : Selon vous quel est l’avenir du digitale et du numérique en lien avec le sport ?

Pour moi l’avenir ça va être un système de co-production, ce que je veux dire par là c’est qu’avec les nouveaux médias, tout le monde est potentiellement précisément un média, c’est-à-dire qu’on a tous un Smartphone, un iPad, un ordinateur, et on est donc en mesure de créer une information ou un contenu sur notre club ou sur notre sport. Avant il y avait ce qu’on appelait le top-down, l’information était détenu et délivrée par le club : le score, les photos des joueurs à l’entrainement… Sauf que maintenant moi je peux très bien prendre une photo de l’entrainement de l’équipe et la diffuser immédiatement, je peux même avoir une photo de meilleure qualité que celle diffusée par mon club, et une photo diffusée à une communauté plus large, plus vaste. Donc on a d’une part le contenu disons à caractère officiel, et d’autre par le contenu généré par les fans. Et donc la prochaine étape de développement c’est lorsque les institutions sportives (clubs, fédérations, ligues) vont admettre que le contenu des fans n’est pas en concurrence, mais est complémentaire, et que ce contenu il faut la valoriser. C’est pour ça que je parle de co-production, qui peut avoir au moins 2 modalités d’expression, d’une part la diffusion d’un contenu en lien avec un événement, regardez-moi aussi en populaire B du match du SMC, je prends la photo des joueurs, de la mascotte, je la diffuse, la photo est sympa parce que c’est un angle différent et c’est valorisé.

Et d’ailleurs si vous allez voir il y a certaines institutions qui commencent à comprendre, par exemple régulièrement le compte Twitter de Ouest France peut RT des messages de fans qui sont dans le stade. Mais le club pourrait très bien utiliser ces photos, créer un espace où il va agréger ce contenu pour que toutes les personnes qui ne sont pas dans le stade puissent y accéder, donc on aura un espèce de portail. Et typiquement c’est un dispositif qu’a mis en place la NBA sur le dernier All Star Game. Donc premier champ d’expression de la co-production le match, second champ c’est la marque et l’image de marque. C’est-à-dire qu’une marque a atteint son stade de développement ultime d’un point de vue marketing lorsqu’elle est co-produite par l’entreprise et par ses fans. Cela veut dire que les fans qui sont aussi des consommateurs, deviennent les prophètes et les prescripteurs d’achats de cette marque et en véhiculent l’image.

C’est pour ça que par exemple des marques comme Apple avec une communauté qu’on appelle les Mac Users, avec des lieux de rencontre qu’on appelle les App Store, les boutiques Apple… Ou encore Starbucks Coffee… Tout ça ce sont des marques qui sont pratiquement sur un créneau lifestyle et qui sont en parti co-produite par l’institution et les fans. Et bien le sport à mon sens cela va être pareil. Les fans, parce qu’ils génèrent un contenu sur leur club, en prenant des photos du stade, des joueurs, du maillot, etc, contribuent à produite et à diffuser l’image de marque du club, et lorsque le club aura admis cela et encouragera cela on aura franchi une nouvelle étape. Donc cela à mon sens c’est le prochain stade de développement.

R.L : Pour les organisations sportives, selon vous est-ce qu’elles vont être amenées à toute recruter des personnes directement responsables de ces problématiques ?

À l’évidence c’est un métier dorénavant, on ne peut plus se contenter d’avoir le petit stagiaire qui s’occupe de ça, ou d’avoir le neveu du président parce qu’il a déjà un compte Twitter. Cela nécessite déjà une formation dédiée. Est-ce que tout le monde va recruter ? Pas nécessairement, c’est-à-dire que lorsqu’on veut se lancer sur le digital, soit on fait en interne, soit en mettant quelqu’un sur la gestion de la présence digitale d’un club ou de l’institution, en disant t’es community manager c’est ton truc, soit ce rôle relève des responsables médias et communication, et pour beaucoup dans les clubs c’est plus cette solution-là, par exemple dans la cellule marketing d’un club ils sont 5-6 et selon la disponibilité de chacun ils se partagent le compte Twitter. Donc ça c’est quand on fait en interne. La 2nd possibilité c’est d’externaliser, de faire appel à des boîtes dont c’est le métier d’assurer la présence digitale d’institution.

Parce qu’encore une fois les médias sociaux c’est une culture, cela veut dire qu’il y a un langage, des us et coutumes, des choses qu’on peut faire ou pas, et ça nécessite d’en maitriser les codes. Donc si on ne sait pas faire, on laisse les professionnels faire. Ce qui peut se passer c’est on externalise d’abord, et on s’aperçoit qu’on ne peut plus se passer du gars et finalement on le débauche et on le recrute en interne. Donc pour répondre à la question la création d’un poste dédié à cela dépend de la volonté réelle du club ou de l’institution de mettre en place des stratégies digitales. Cela dépend aussi bien entendu des ressources financières. Mais de ce que j’en vois, soit c’est internaliser par les responsables communication, soit c’est externalisé.

L.G : Une question plus spécifique au cas du Stade de France, qui est une enceinte sportive sans club résident, donc quelle serait selon vous la stratégie digitale qu’il devrait mettre en place ?

Alors la stratégie digitale du SDF existe déjà, elle est intéressante. Déjà le SDF a externalisé la gestion de leur présence digitale à une agence qui s’appelle Human inside, et d’ailleurs une des opérations de cette agence-là a été valorisée cette année par la remise d’un trophée par un magazine, pour une opération d’extension digitale d’un événement sportif. En fin de compte ce qui est intéressant sur le SDF c’est qu’ils sont un peu raillés pour être un stade la connectivité assez limitée et ça ils travaillent dessus. Mais en revanche sur leur prise de parole ils sont remarquables, à plus d’un titre. D’abord avec le jeu concours organisé sur FB qui s’appelle « j’y étais », le positionnement du SDF c’est le stade des plus grands événements, des plus grands concerts, plus grands matchs, donc ils ont fait un jeu où ils ont recensé tous les événements sportifs et culturels qui se sont passés au SDF depuis l’inauguration en 1996, et les fans ont la possibilité de mettre à disposition la photo de l’événement auquel ils ont participé et un jury va désigner la plus belle des photos. Ça leur permet de compiler, de récupérer du contenu sur des événements passés.

Donc on voit bien qu’il y a la dimension implication des fans. Sur leur compte Twitter, ils disent bonjour le matin, au revoir le soir, mettent en valeur les concerts à venir, ils interagissent avec les fans, avec les sportifs ou athlètes qui jouent au SDF, ils organisent des concours. Et on a vu se développer une team SDF promu par les jeunes étudiants qui font visiter le stade. C’est-à-dire que sans que ce soit une volonté des community manager (d’ailleurs une communauté ne se décrète pas, elle se forme toute seule). Là on a eu de jeunes étudiants qui ont créé la team SDF, et quand le SDF fait face à des difficultés, sans qu’on ne demande rien, cette communauté se mobilise pour prendre la défense du SDF. Typiquement lorsque le match de rugby France Irlande a été annulé, ça commence à gronder, à railleurs sur les réseaux sociaux, et bien vous avez cette communauté qui se mobilise d’elle-même pour venir défendre, expliquer, etc. donc à mon sens ce que fait le SDF est très intéressant puisqu’il corrige un défaut de connectivité par une présence digitale remarquable. Et ce qu’il ne faut pas oublier sur les médias sociaux c’est que c’est à la fois du contenu et un ton, c’est-à-dire de quelle façon on prend la parole. Et la singularité du SDF c’est qu’il aurait pu promouvoir un ton très institutionnalisé, très encadré, parce que le stade est un temple, et on aurait été dans une logique déclarative, etc. et à lire le compte Twitter on s’aperçoit que le ton est détendu, sans être relâché, humoristique sans être graveleux. Voilà ils ont trouvé une bonne modalité d’expression.

L.G : Sinon j’avais une autre question par rapport aux événements, tout à l’heure on parler de petits clubs qui pouvaient mettre en place des stratégies digitales intéressantes, est-ce qu’un petit événement peut lui aussi mettre en place une stratégie digitale pertinente ?

Oui tout à fait, encore une fois cela relève un peu de ce que j’expliquais tout à l’heure avec l’open de tennis. L’idée c’est que quoiqu’il arrive vos participants vont créer du contenu. On peut prendre n’importe quelle compétition départementale de judo par exemple, il y aura nécessairement dans le public des jeunes et des moins jeunes qui vont prendre en photo les combats, et diffuser des photos sur leur page FB, Instagram, etc. Donc le contenu va exister, l’idée c’est de voir pour les organisateurs en fonction de leur dimension s’il est utile ou pas de valoriser ce contenu-là. C’est clair que dans le cas d’une compétition super localisée, ça ne sert à rien d’aller pêcher des photos parce que cela ne va intéresser personne. Ça peut aussi valoir le coup de se dire : « ba regardez en interne on fait ça », par exemple ça peut être pendant un tournoi de golf un dimanche, on dit au caddie de prendre des photos au fur et à mesure avec un Smartphone et de les poster sur Instagram, et elles sont diffusées dans le club house, ce qui permet aux joueurs qui n’ont pas encore pris le départ de voir l’événement comme ça. Et la seule audience qui va y avoir c’est les 20 mecs qui font le tournoi, et la famille restée à 500km est contente de voir papa avec un hashtag. Donc tout est possible tout est envisageable, tout dépend encore une fois de votre volonté, de l’audience que vous voulez toucher. Votre stratégie digitale elle peut consister à ne vouloir toucher que trois personnes, mais ça peut faire sens. Nous encore une fois, par exemple dans la formation à Caen, lorsqu’on fait des conférences on a un système de hashtag, on sait très bien que notre ambiance est limitée, potentiellement ça serait tous les étudiants de management de sport en France et tous les acteurs du sport business qui sont susceptibles de suivre cela, dans les faits il y a moins de monde, par contre derrière nous on peut communiquer en disant on est les premiers voire les seules à faire régulièrement ce type d’opérations.

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