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Annexe 5 : Retranscriptions des entretiens (Woody)

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Les retranscriptions ont été reproduites mots à mots selon les enregistrements écoutés.

Woody (Surnom choisi avant l’enregistrement)

Rachel : Bonjour.

Woody : Bonjour.

Rachel : On tenait encore à vous remercier d’avoir accepté de répondre à nos questions. Merci de nous aider dans notre démarche d’étudiante. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, on vous avait expliqué pourquoi nous avons choisi le sujet de l’affectivité dans le milieu carcéral. Donc, je vous fais un petit rappel, si nous avons choisi ce sujet, c’est que c’est un sujet peu parlé et tabou et puis nous avions envie d’en connaître un peu plus et donc faire des recherches et essayer de rendre ce sujet un peu moins tabou.

Woody : Donc ce sujet englobe un peu vos études ?

Rachel : Non pas du tout, non, non on travaille dans le handicap toutes les deux, et nous avions aussi envie d’élargir nos connaissances, et puis c’est pour ça que nous avions envie d’étudier un sujet qui est vraiment très peu parlé et cela nous semblait important.

Woody : C’est une bonne chose, moi comme je le dis, je le fais pour, pour moi ça ne va pas changer grand-chose, mais si ça peut aider d’autres qui sont dans des situations difficiles comme ça, et bien, je le fais volontiers.

Rachel : Ce que nous souhaitons, c’est connaître votre vécu, durant votre incarcération. C’est important de préciser que cet entretien restera confidentiel, nous n’utiliserons pas votre nom. On prendra un nom fictif pour que cela reste totalement confidentiel. Les thèmes que nous allons aborder sont : les expériences au niveau des échange affectifs durant votre détention, votre arrivée en prison, pendant votre incarcération et enfin à votre sortie.

Rachel : Qu’est-ce que vous aimeriez nous dire de vous, est-ce que vous aimeriez nous donner des informations générales vous concernant ?

Woody : J’ai passé la cinquantaine, je suis papa de 3 enfants, divorcé, puis maintenant je suis à Genève en semi-liberté et puis tout se passe bien, j’ai retrouvé la vie normale, et depuis un an et demi je me réintègre à la société, puis je me reconstruis.

Rachel : J’ai oublié de vous dire que s’il y a des questions auxquelles vous ne souhaitez pas répondre, ou si vous souhaitez une pause vous n’hésitez pas à nous le dire.

Rachel : Quel souvenir gardez-vous de votre arrivée en prison ?

Woody : Je n’oublierais jamais la première minute, quand en arrivant là-bas, d’abord on vous fait prendre une douche, y’a pas de rideaux de douche, tout le monde vous regarde, les gardiennes comme les gardiens puis après il y a les escaliers qui commencent à grimper, et des portes métalliques partout, partout, des barreaux, des clefs, ils ont besoin des clefs pour tout, je crois que c’est un des pires trucs. Il parait que ça nous poursuit encore six mois. Bon heureusement ça n’a pas été le cas pour moi. Chaque dix mètres, il a y une porte et il faut l’ouvrir et un gardien doit mettre sa clef là-dedans et ça fait un raffut, vous n’imaginez pas. Alors ça a été le premier choc en arrivant et en voyant toutes ces cages d’escaliers avec toutes ces portes, tous ces trucs. J’ai fondu en larmes, j’étais cassé, j’étais euh, vraiment c’était l’horreur.

Pis après, bon, on vous ouvre une cellule, bon c’était encore à la Croisé, un vieux bâtiment, heureusement, assez sympa c’est beaucoup dire mais, disons que ce n’était pas béton, béton, il y avait quand même un plancher en bois, pis la chambre pas trop petite. Mais bon c’était le choc, le choc en arrivant là-bas.
Rachel : Vous étiez seul dans la chambre ?

Woody : Ouais. Ouais heureusement il n’y avait à l’époque encore pas mal de cellules individuelles. Donc voilà, je me suis retrouvé seul, ce qui était une bonne chose.

Roseline : Pour combien de temps étiez-vous obligé d’être là-bas ?

Woody : J’ai passé un long moment oh oui un long moment.

Roseline : Plus d’une année ?

Woody : Oh oui !

Rachel : Quelles idées vous faisiez vous des relations qu’il pouvait y avoir entre détenus ou entre détenus et gardiens ?

Woody : Je n’y avais jamais pensé, déjà rien que ce décor. Il faut vraiment y être pour y croire. Parce que depuis l’extérieur, on n’a pas idée de ce qui se passe là-bas, jamais.

Pis moi je débarque là-bas, je ne savais pas que je devais avoir un avocat, qui fallait ci, qui fallait ça, que j’sais pas moi, un recours, un machin, des termes, un tas de choses qu’on ignore totalement, il faut se mettre au courant de tout cela. En ce qui concerne les relations humaines, j’ai jamais pensé avant.

Comme je vous l’ai dit, la première chose qui m’avait frappé en arrivant là-bas, euh, après deux trois jours vous êtes convoqués chez le médecin, il fait un checkup grossier et il vous remet une petite boîte en carton et dedans y a des pommades désinfectantes, du mercurochrome, y a des sparadraps, des trucs de gaz, vraiment la petite pharmacie de base sans médicament évidemment et des préservatifs. Et pis j’ai posé la question, c’était une infirmière mais, qu’est-ce que c’est ces préservatifs ? Et pis voilà, on m’a dit simplement qu’il y a des détenus entre eux qui ont des rapports, donc pour protéger du sida etc., et on distribue à tout le monde des préservatifs. Et ça, ça m’a choqué, je me suis dit après coup que finalement, voilà, ils sont conscients qu’on nous coupe de toute relation, de tout contact, de toute affectivité, ils le savent pertinemment, ils savent aussi pertinemment qu’on en a besoin et ils s’en fichent totalement et on nous dit débrouillez-vous, voilà des préservatifs, si vous voulez de l’affection, vous allez avec un collègue, avec votre copain, alors ça, ça m’a un petit peu…, j’ai trouvé ça un peu saumâtre.

Roseline : Déjà le troisième jour….

Woody : Ben ouais. Là je me suis dit bienvenu au club, tout va bien.

Roseline : On va peut-être poursuivre les questions et on va revenir sur ce sujet plus tard.

Rachel : Est-ce que vous pourriez nous décrire une journée type, les moments dans lesquels il y a une possibilité de rencontre ? Je ne sais pas, par exemple, le petit déjeuner, durant les ateliers, peut-être dans les lieux communs ?

Woody : On n’est pas toute la journée seul dans une cellule, c’est vrai qu’on vous donne assez vite du travail. Ça, j’ai assez bien apprécié, et puis on était dans un atelier de démontage TV, de pièces électroniques, des trucs comme ça. Il fallait découper, trier les divers composants. Alors là, on avait une dizaine de codétenus, il y avait du contact.

Il y avait du contact durant le sport aussi, il y avait quelques heures qui vous étaient données. Y’a les promenades aussi, les repas, bon en préventive c’est seul dans la cellule. Après, c’est vrai, il y a la possibilité de manger dans les couloirs, en groupe.

Mais euh…voilà, on a quand même des contacts, seulement c’est très, très limité comme contact parce que ce…ce qui est frappant, il y a 80% d’étrangers dans les prisons suisses et ouais ça parle toutes les langues sauf le français, donc il faut déjà trouver quelqu’un avec qui on peut éventuellement discuter, ça été une difficulté majeure je dirais. Moi j’étais à chaque fois tout content de pouvoir parler français avec quelqu’un, c’est clair on fait des progrès en anglais, espagnol, mais en français c’était rare et il faut aussi tomber sur la bonne personne car il y en a aussi qui sont malades je dirais. Il y a énormément de détenus qui souffrent de maladies, je dirais presque psychiques, qui sont mélangés aux autres.

Après, il y a des énormes problèmes de violence, du racisme, y’a des insultes, la moindre petite étincelle, et pis ça explose, on sent, il y a une tension, c’est une poudrière, une vraie poudrière. Les gens sont à cran, toute la journée brimés par les gardiens soit par leur situation soit par des juges, par des réponses négatives.

Il vous faut faire la queue pour une cabine téléphonique, pendant une demi-heure pour enfin décrocher le machin pis vous téléphonez trente secondes et on vous tape déjà à la fenêtre, moi j’ai dû vendre une maison par exemple depuis une cabine téléphonique, je peux vous dire que c’était l’enfer, trois mois par petites bribes. Il y a des tensions énormes.

Roseline : Ce que vous êtes en train de dire, c’est que toutes ces démarches vous prennent toute la journée et pis que de temps en temps il y a le contact quand vous travaillez par exemple, mais autrement vous n’y pensiez pas à avoir une discussion….

Woody : Non.

Roseline : C’était vraiment ça qui prenait tout votre temps…

Woody : Ah, ça nous rongeait, c’est ça qui…, cette tension, qu’il y a sans cesse, pour des petites bricoles, vous voulez une photocopie, on vous dit d’abord non, pis après on vous dit de passer chez le chef, pis le chef vous dit oui mais vous savez que c’est exceptionnel etc. Vous en avez pour une demi-heure, puis après enfin vous avez une photocopie. Tout est comme ça. Ça met une pression terrible. Les gens sont extrêmement sur leurs nerfs, et la moindre petite chose, ça éclate.

Rachel : Dans les liens que vous pouviez créer, c’est plutôt vous qui deviez aller chercher le lien, ou dès que vous arrivez quelque part il y a des gens qui viennent. Il y a une solidarité qui peut se faire, donc c’est plutôt les autres qui viennent à vous ?

Woody : C’est difficile, bon moi j’ai le contact assez facile, pis euh, je discute volontiers avec n’importe qui, pis euh, on se rend très vite compte à qui on a à faire. Pis inversement aussi, les gens sont curieux, chaque fois qu’il y a un nouveau qui vient, ah bon voilà, qu’est-ce que tu as fait ? Pourquoi tu es là ? Etc… Ça crée des liens un peu artificiels. Mais c’est vrai, moi, j’avais toujours un ou deux collègues avec qui je me promenais pendant la promenade et j’étais content d’avoir un contact, quelqu’un avec qui je pouvais discuter, normalement, quoi ! C’est clair, il y a de tout, ça va vraiment du cambrioleur, il y a des médecins, des pilotes d’avions, il y a vraiment des milieux différents, c’est vrai, c’est vraiment intéressant.
Rachel : Mais il y avait la possibilité d’avoir des liens plutôt sincères, amicaux, affectifs, ou c’était des relations superficielles comme vous l’avez dit tout à l’heure ?

Woody : Disons que sur une année, vous rencontrez un bon copain. Donc vraiment c’est très rare et pis, au début c’est vrai on s’écrit, on échange parce qu’il y a des transferts, il y a des gens qui partent pis on garde le contact pendant deux ans, je ne sais pas, et puis après ça se perd un petit peu. C’est qu’il y a, je dirais, j’ai rencontré trois ou quatre bons copains avec qui on a gardé le contact encore très longtemps. C’était heureusement existant.

Rachel : Donc difficile pour vous d’avoir confiance….

Woody : Ouais, ouais. Très difficile, très difficile. Ah ouais.

Roseline : Et donc il y avait du respect….

Woody : Non, non pas de respect. Chacun pour soi, égocentrique, les insultes, la violence, le respect alors-là, ça manque terriblement, sauf avec ces deux trois gars avec qui je m’entendais bien, alors là, il y avait du respect, c’est vrai, mais sinon…

Roseline : Puis là, les gardiens, n’intervenaient pas, par exemple quand vous étiez en promenade vous pouviez discuter librement ? C’était pas aussi…

Woody : Non, non, non. On peut se promener librement, y a pas de problème. Il y a un ou deux gardiens qui sont là au cas où il y a des bagarres, ou des trucs comme ça, ce qui arrive assez fréquemment, mais, on peut parler plus ou moins ouvertement. On sait qu’il y a des caméras, on sait qu’il y a probablement des micros etc.… On sait pas bien, donc voilà, il faut toujours rester un peu discret.

Rachel : Et ces contacts que vous avez pu créer avec ces quelques personnes, vous pourriez nous décrire comment ces contacts se sont créés….

Woody : Disons que c’est surtout à l’extérieur, dans la cour, ou lors de promenades que tout à coup on se dit, celui-là a l’air sympa, il y déjà des atomes crochus qui se font quelque part et pis, après bon il parle français. C’est clair c’est le premier tri qui se fait puis après, on discute un peu avec, on voit comment ça se passe, quel niveau il a et puis après, ça peut se développer assez profondément.

Moi, j’ai un très bon souvenir. C’était un gars à peu près mon âge et qui était très, très croyant et très lié à la bible et tout. Il connaissait presque la bible par cœur, c’était impressionnant ce qu’il connaissait. Et tous les lundis, on se voyait soit dans ma piaule ou dans la sienne et on parlait de la bible et toutes ces questions qui nous passaient par la tête. Et ça, j’ai trouvé génial.

Et là, il y a des choses que j’ai appris, moi je dirais qu’il y a cinq choses que je peux retirer de positif dans ce cauchemar, c’est : je me suis rapproché de Dieu, ça, c’est sûr, il y a des situations où il m’a vraiment soutenu, seul, je ne crois pas que je m’en serais sorti. Il y a des moments où vous avez besoin de sentir le spirituel, et grâce à ça, j’ai passé par-dessus pas mal de cauchemars. Puis après, les langues, j’ai fait des progrès en espagnol, en anglais, le sport, c’est vrai qu’à l’époque je faisais du sport deux, trois fois par semaine, un maximum possible, j’étais pas mal en forme je dois dire.

Et après, il y a eu les projets de cuisine qui se sont réveillés là-bas, et je me suis dit, pourquoi je ne me lancerais pas dans la cuisine ? Ça fait un moment que j’adore ça, j’ai travaillé 25 ans dans le technico-commercial et tout à coup je me suis dit pourquoi pas se lancer dans la cuisine et ouvrir un petit bistro quelque part. J’essayais d’imaginer un peu mon avenir. Alors, il y a eu cette passion pour la cuisine, j’ai travaillé principalement dans les cuisines lors de mon parcours, c’était mon but et puis maintenant, je commence à avoir un peu une idée de mon avenir, je sais que je vais ouvrir mon petit bistro quelque part, pas forcément en suisse.

Rachel : Dans un endroit où il fait bien chaud ?

Woody : Oui exactement, ça c’est les cinq choses que j’ai retirées de positif, bon pis le reste c’est de la souffrance, de la violence, c’est des sacrifices, des hauts et des bas. Il y eu des moments très difficiles.

Rachel : Si je comprends bien, y a un manque de prise en compte de la personne…..

Woody : Disons, un manque de respect. Par exemple, il y a des gardiens qui sont très, très sympas, il faut le reconnaître, avec qui même il m’est arrivé de discuter durant la promenade, des gars vraiment sympas. Puis d’autres, disons, c’est vraiment des gros cons, des emmerdeurs, je sais pas.
Alors il y a de tout, mais sinon, on a quand même un suivi, que ce soit par un psychologue, par un médecin qui vous voit, il y a l’assistante sociale, aussi, qui s’occupe pas mal de l’administratif. Mais, je dirais que c’est des suivis sporadiques, qui ne sont pas vraiment… C’est vrai, j’avais plaisir à discuter avec l’assistante sociale, mais je la voyais une fois par mois ou tous les deux mois pis c’était une heure et terminé.
Et puis les psys, ils devraient nous mettre des gens compétents, mais là, ils ont vraiment… je ne sais pas ce qu’ils ont comme personne, mais ça change tous les six mois. Il faut recommencer à chaque fois, raconter son histoire, puis une fois qu’elle vous connaît, elle repart, pis c’est des gens, bon je vous passe les détails. Il y a des personnes qui ne sont vraiment pas compétentes, j’ai trouvé.

Roseline : Quand vous dites qu’il n’y a pas de respect, des insultes etc. La psychologue, c’était quoi son travail ? C’est justement de vous aider à entrer en contact, en relation, à créer des liens…..

Woody : Alors les psys s’attardaient plutôt à notre passé, à notre présent, etc. A notre histoire personnelle et puis le reste, j’en faisais part de temps en temps de ces souffrances, mais voilà on vous dit que c’est comme ça, ce n’est pas le club Med. Ici vous êtes en prison. J’ai eu la chance d’être toujours passé entre les gouttes, mais il y a des situations où c’est violent.

Roseline : Donc vous, vous vous êtes fait insulter aussi ?

Woody : Oui, oui, vous avez une tablée de turcs et chaque fois que vous passez à côté on vous dit : « sale suisse de merde ». Donc au pluriel chaque fois que nous étions deux, trois. On vous traite comme ça et il ne faut surtout pas répondre, il faut encore dire merci parce qu’autrement, ils vous… un…

Roseline : Quand vous dites que vous avez de six à huit du temps libre, vous pouviez aller dans les cellules des autres ?

Woody : Oui à ce niveau-là, enfin pas en préventive mais après oui. En détention, il y a des heures de fermeture, aux alentours de 22h, je crois. Puis là, vous avez effectivement la possibilité de rester sur l’étage, même pas, vous pouvez changer d’étage, et boire le café vers quelqu’un, écouter de la musique, regarder un film, y’a possibilité quand même.

Roseline : Et donc, je suis désolé, je saute du coq à l’âne, parce que c’est ce qui me vient en tête. Donc, quand vous vous faites insulter, les gardiens n’interviennent pas, ils laissent faire, ils interviennent seulement répréhensivement quand il y a des bagarres, c’est ça ?

Woody : Voilà, exactement. Déjà, bon, je ne sais pas si c’est leur système, ils vous laissent assez libre, ils ne sont pas tout le temps derrière vous, ils sont souvent dans leur aquarium en bas, et pis bon surtout à la fin, j’ai vu ça à la Colonie par exemple, et pis bon, on voit jamais les gardiens, il faut vraiment que ça pète, qu’il y ait trois, quatre gars l’un sur l’autre pis après il faut encore que quelqu’un sonne l’alarme pour qu’ils viennent, bon c’est assez rapide, c’est vrai, mais autrement les insultes, tout ça, personne ne voit.

Roseline : Personne veut l’entendre….

Woody : Oui, exactement, personne veut le voir.
(Rires)

Rachel : Et puis dans les moments d’échange avec ces personnes, au niveau des émotions qu’est-ce que vous…, vous, vous sentiez mieux, plus paisible dans ces moments-là, peut-être une certaine sérénité ou au contraire la tristesse…..

Woody : Non, non au contraire, ça me faisait vraiment du bien d’avoir à faire à des gens qui euh… euh…, à des gens avec qui on peut échanger des idées, avec qui on peut parler des émotions etc., car on a des soucis énormes et ça fait du bien de pouvoir exprimer cela à quelqu’un. Et puis euh…, ce qui est très dur, c’est les départs, moi, j’ai vécu des départs où vraiment on s’enlaçait et on pleurait presque, parce que soit le gars était libéré ou transféré, vraiment ça c’était très intense comme relation.

Roseline : On peut presque parler de relation amicale alors….

Woody : Oui, oui, c’est vrai. Je pourrais dire qu’il y a eu deux trois amis, effectivement. Mais avec qui j’ai effectivement perdu contact. Je ne sais pas où est-ce qu’ils sont en ce moment, je ne sais pas s’ils sont libérés.

Roseline : Ça vous a fait du bien, ça vous a permis de tenir le coup ?

Woody : Oui

Roseline : Et quand il y a les départs, là, ça retombe ?

Woody : Oui ça retombe.

Roseline : C’est de nouveau le bas ?

Woody : Oui, c’est de nouveau le bas. Après, vous mettez de nouveau des mois à trouver quelqu’un avec qui vous pouvez échanger quelque chose.

Rachel : Pis la nature des contacts c’était des…, ça pouvait être des contacts aussi non verbaux, est-ce que ça pouvait…, voilà est-ce que là il y avait la possibilité de justement à un moment donné d’être triste et de pouvoir se prendre dans les bras, ou est-ce que c’était toutes des choses qui quelque part n’étaient pas possible, qu’on s’interdisait ?

Woody : C’est vrai, c’est un peu tabou, disons, moi personnellement bon j’ai… j’approuve pas l’homosexualité, bon j’accepte, je reconnais qu’il y a des gens qui sont comme ça, je l’accepte, mais personnellement, ça ne me tente absolument pas et je suis très réticent. Et pis, je pense que la plupart de mes collègues aussi, ils étaient pas du tout attirés par ça. Mais, on a eu des échos comme quoi effectivement il y a des gars qui étaient ensembles, il y a des couples qui se formaient et même y en avait un ouvertement, alors en plein atelier, ils se gênaient pas de s’enlacer, de s’embrasser etc., ce qui était quand même un petit peu choquant. J’étais un peu choqué quand même.

Mais c’est vrai qu’au niveau affectif, de tendresse, il n’y a rien, rien, rien, rien. Et c’est là que disons que, cette violence, ces gens qui sont vraiment…, qui ont les nerfs à fleur de peau, qui pètent un plomb pour rien, ils sont comme ça. Justement parce qu’il leur manque des caresses. Il leur manque l’affectif, il leur manque une femme avec qui ils peuvent… pas forcément un contact physique, disons pas une relation physique, mais une simple affectivité. Et ça les calmerait tellement, ça les rendrait tellement plus cool, plus relax et tout, et non, et non, ce n’est pas possible. Moi personnellement, j’étais extrêmement tendu et c’est quelque chose qui me manque parce que… on peut pas et ça c’était… les gens, les gars, ils sont tellement machos euh déjà dehors quand on voit les relations qu’ils ont avec les filles, ils jouent aux coqs, mais ils arrivent à séduire et ça doit les calmer à quelque part. Tandis que là, en taule, ben ces gens ils sont toujours aussi machos, mais ils ont plus personne à séduire, alors ça se transforme en guerrier, en caïd, ça veut jouer les bras, et toute… c’est là où je me suis dit je suis certain que… qu’un contact humain avec une femme leur ferait du bien, vraiment à tout le monde, ça calmerait vraiment le jeu et…

Rachel : Justement lors de notre première rencontre, quand nous sommes venues nous présenter, il y avait… oui quelqu’un avait évoqué le mot séduction, euh… qu’est-ce que vous, au niveau de la séduction, pourriez-vous nous dire sur ce mot dans un milieu carcéral fermé ?

Woody : Moi disons, euh… heureusement il y avait quand même quelques gardiennes, ça c’était déjà un point très positif, dont quelques-unes vraiment très sympas, d’autres arrogantes comme tout, mais d’autres vraiment très sympas. Et ça c’est vraiment bien pour pouvoir discuter de temps en temps avec certaines dames simplement. Aussi l’assistante sociale, etc.

Rachel : Et donc là, il y avait une possibilité de séduction, tout en sachant bien que voilà, il n’y a rien de possible ?

Woody : Euh, on peut mais c’est difficile, on va pas séduire une gardienne, mais il y a quand même une relation homme-femme qui se fait qui est très positive, mais évidemment, cinq minutes. Une fois, il y a eu une gardienne qui venait jouer aux cartes, même avec certains, mais un jour on lui a dit : « mais on vous voit plus, qu’est-ce qui se passe » et elle nous a dit que la direction leur a interdit de jouer avec les détenus, d’être trop proches d’eux, donc elles sont aussi surveillées.

Roseline : Ah ouais, ils sont surveillés. Le droit à l’intimité, oui avec les codétenus mais pas trop non plus…

Woody : Non, c’est, disons, si vous êtes dans une cellule avec quelqu’un, bon on peut fermer la porte, ce qui se passe derrière on en sait rien.

Roseline : Ouais, ça vous aviez le droit ? Est-ce que…, est-ce que vous avez reçu des visites en prison ?

Woody : Oui, oui, heureusement. Mes parents, mon frère. Bon, j’ai eu de la chance d’avoir eu pas mal de visites. Mais, c’est des moments très difficiles, ça apporte quelque chose au point de vue émotions, d’avoir ses connaissances, ses proches, des nouvelles de son entourage c’est génial. Mais euh… souvent il y a quand même des problèmes, il y a ci ou ça qui ne joue pas, et pis on a pas le temps, on a pas le temps. Une heure, une heure et quart et il faut tout déballer ce qu’on a sur le cœur et tout. Puis, c’est déjà l’heure, il faut se dire au revoir et c’est de nouveau difficile.

Rachel : Vous n’avez pas vraiment, pas vraiment le temps de vous rencontrer….

Woody : Non, pis il y a toujours un surveillant à quelques mètres qui surveille et qui écoute tout. Bon moi, je parlais suisse allemand avec mais parents, mais bon c’était pas vraiment un contact très agréable finalement. C’était plus une tension qu’autre chose.

Roseline : Donc là, vous pouviez exprimer les émotions, mais après, ça vous retendait, et donc là il n’y avait pas d’affectivité possible ?

Woody : Non, j’ai vu, il a des collègues qui ont reçu leur femme et ils pouvaient quand même s’embrasser, discrètement et pas trop longuement, c’était très, très, surveillé. J’ai un collègue qui s’est carrément fait refuser les visites pendant des mois parce qu’il a eu le malheur de la prendre sur les genoux pendant un moment et pis voilà, c’était la catastrophe. C’est vraiment très, très difficile.
Et pis vous avez la possibilité aussi par téléphone, on peut téléphoner mais aussi avec les difficultés que je vous ai dit tout à l’heure. C’est aussi possible quand c’est une urgence, un truc, on peut aussi discuter deux minutes par téléphone (rires).

Roseline : Donc les liens qui sont dans les cellules ça va, il y a plus ou moins d’intimité, par contre les liens avec l’extérieur c’est compliqué, c’est conventionné, c’est réglé….

Woody : Oui, oui, tout est réglé, surveillé, fouillé, c’est, c’est terriblement surveillé.

Rachel : Donc quand on parle de privation de liberté, en fait, c’est vraiment ça qui est recherché, c’est vraiment privé de toute possibilité d’échange avec l’extérieur ….

Woody : Je crois que c’est l’une des pires choses qui peut arriver à un être humain, c’est d’être privé de sa liberté. Maintenant, la liberté, bon, c’est d’aller quand on veut, où on veut, de faire plus ou moins ce qu’on veut, euh…, bien sûr en respectant les normes légales, etc. C’est, c’est… agir librement, comme on veut, pis quand on vous coupe tout ça, quand euh… vous avez des barreaux à la fenêtre, quand on vous dicte à quelle heure il faut se lever, à quelle heure il faut fermer, à quelle heure il faut prendre la douche, à quelle heure on mange, ah vous avez besoin d’une photocopie, mais vous allez poiroter deux heures pis ci, pis ça. C’est tout ça, c’est tout cet ensemble.

Rachel : Ah pis à quelle heure vous allez rencontrer quelqu’un, ou vous allez pouvoir rencontrer quelqu’un ?

Woody : Ouais, les visites et tout ça, c’est vraiment très, très réglementé et pis ça coupe notre liberté, c’est sûr, on peut pas faire comme on veut.

Rachel : Ouais c’est ça, même dans les moments où vous pouvez rencontrer du monde, votre famille qui vient vous voir, même ça c’est complètement réglé et surveillé et réglementé. Même là, en fait, il n’y a pas de liberté ?

Woody : Non même là, il n’y a pas de liberté. C’est des entretiens extrêmement formels, je dirais, c’est pas l’affectivité, c’est rien, c’est un échange d’informations, vite, vite et pis voilà.

Roseline : Et pis encore plus de tensions….

Woody : C’est vrai, suivant après quelle visite j’ai eu, j’étais encore plus au fond du trou qu’avant. Alors ça c’est vrai, ouais. Suivant ce qui se passe à l’extérieur, évidemment ça vous tombe dessus comme une avalanche, vous apprenez plein d’infos positives comme négatives en une heure pis après, il faut faire avec.

Roseline : Et là, il n’y a pas de soutien qui compte ?

Woody : Je sais pas, je crois qu’il y a toujours moyen d’appeler un gardien ou d’aller au médical mais je pense qu’ils ont pas mal à faire quand même.

Roseline : Mais vous ne l’avez pas fait ?

Woody : Non

Roseline : D’accord.

Rachel : Est-ce que vous faites une éventuelle différence entre l’affectivité et la sexualité ?

Woody : Oui, Oui. C’est quand même une certaine différence. Je peux par exemple être avec une bonne copine, la tenir dans mes bras et tout, mais sans que ça aille plus loin. Et, il peut y avoir des relations sexuelles qui peuvent se faire sans affectivité aussi.

Rachel : D’accord… (Silence)… Durant votre détention, est-ce que vous auriez eu plus besoin d’affectivité ou de sexualité ou peut-être des deux ?

Woody : La sexualité, bon ben on peut se débrouiller tout seul, ça ma foi, on est un peu tous à la même adresse là-bas, mais point de vue affectivité, effectivement, pour tenir simplement une personne dans ses bras, pouvoir caresser quelqu’un, pour échanger un peu de tendresse, ça, c’est un manque terrible, terrible.

Moi ça me fait toujours penser, bon c’est peut être un parallèle un peu, un peu osé, mais ça me fait toujours penser à un chien. Un chien, vous pouvez rendre n’importe quel toutou le plus gentil possible, vous pouvez le rendre comme un pitbull quoi. Et inversement, un pitbull bien dressé peut être extrêmement gentil. Alors un chien, si vous n’arrêtez pas de lui taper dessus et de lui interdire des choses, de lui crier dessus, etc. Et bien il va devenir mauvais, Il va devenir agressif, il va devenir dangereux. Alors que le même chien, si vous lui donnez de l’amour, des caresses, de l’affection, et bien il va être un chien adorable. Et là, j’ai souvent senti ce parallèle.

Roseline : Et vous l’avez fortement ressenti vous-même ?

Woody : Ouais ouais ouais. (Silence)

Rachel : Quand on a discuté lors du repas passé ensemble, il y a le mot masturbation qui est ressorti, et puis euh… je ne sais plus qui disait que ça permettait de pallier à un manque qui était là et dû à votre situation.

Woody : Bien sûr, bien sûr.

Rachel : Et pis, est-ce que c’est un sujet que vous pouviez aborder avec des codétenus avec qui vous vous entendiez bien ? Ou est-ce que là aussi cela reste un sujet tabou ? Pis finalement est-ce qu’il y avait aussi suffisamment d’intimité….

Woody : Je pense que c’est un peu comme à l’extérieur. Entre gars on en parle pas beaucoup. On sait que chacun le fait mais on en parle pas beaucoup.

Rachel : Ok

Woody : Evidemment, il y a les plaisanteries qu’on fait en taule, disons, ah tu as vu le film hier soir, ou bien il y a des films pornos qui circulent, qui étaient autorisés, disons tolérés.

Rachel : Tolérés ….

Woody : Ouais un temps c’était un peu limite. Mais ça on pouvait quand même. Donc ça c’était… Pis ça en en parlait en rigolant. Mais on va pas plus loin, on ne parle pas de masturbation entre garçons. Et dans l’intimité, suivant où, ça allait quoi. Les murs étaient quand même assez épais et puis suivant où, en préventive, c’était du carton. Tu entendais tout ce qui se passait à côté. Le pakistanais qui faisait la prière à trois heures du matin ou autre chose.

Roseline : Pis après il y a de la retenue…..

Woody : Ouais.

Roseline : D’accord….. Mais vous, ce qui vous a vraiment manqué c’est de tenir quelqu’un dans vos bras, et d’avoir cet échange de tendresse ?

Woody : Ah ouais, ouais exactement.

Roseline : Mais l’acte en lui-même, c’était peut-être une fois de temps en temps et pis voilà ? Mais ça suffisait pas….

Woody : Non.

Roseline : Non…..

Woody : Alors c’est vrai, il y a des détenus qui pouvaient profiter de ces fameux parloirs familiaux. Donc ceux qui étaient mariés depuis longue date etc. pouvaient avoir je ne sais pas tous les combien de mois, une pièce qui leur était réservée avec leur femme et ils pouvaient rester ensemble quelques heures quand même avec un repas etc. Alors, il y avait quand même cette possibilité. Bon moi, je n’en ai pas profité, j’ai trouvé cela un peu frustrant que certaines personnes puissent en profiter et d’autres pas. Parce qu’un autre qui veut profiter de ça il doit par exemple faire appel à une prostituée, mais après le règlement veut que ce soit depuis en tout cas six mois de relation, qu’il ait des visites, etc., etc. donc autant dire mission impossible quoi. Donc, pour certains, on vous coupe le robinet si je puis dire et pis à d’autres donc voilà ils peuvent quand même voir leur épouse un moment. Pis ça vous fait vachement plaisir quand vous êtes confronté à ce genre de situations.

Roseline : Donc vous en parliez entre vous et là il y avait encore plus de souffrance de votre part….

Woody : Ouais, ouais. Tu vois, là il vient de voir sa femme et pis là, tu vois la différence, il est de nouveau heureux pendant une semaine. C’est génial la différence (rire)

Roseline : Et pis vous, vous êtes tiré par le bas….

Woody : Bien oui, ma foi.

Roseline : Mais vous avez fait vous-même une demande ? Vous vous êtes renseigné par rapport à pouvoir en profiter de cette personne qui vient….

Woody : Bien on nous disait toujours la même chose : « si vous voulez vraiment avoir une relation, il vous faut connaître la personne depuis six mois en tout cas, et elle vous rend visite » et donc c’était toujours la même chose. Pis autant dire que ce n’était pas possible.

Roseline : Et ça vous augmentait la frustration…

Woody : Ouais. C’était très difficile à accepter.

Rachel : Et donc, est-ce que vous seriez pour avoir des prostituées en prison ?

Woody : Oui, oui, oui. Je trouve que ça serait une chose importante.

Rachel : Ouais…

Roseline : Est-ce que vous avez pensé ça sur le moment ou après votre libération ?

Woody : Déjà sur le moment. Sur le moment on en parlait beaucoup, ça c’est sûr, c’est un sujet qu’on évoquait souvent, on en a discuté même dans des petits groupes ou comme ça. C’était vraiment quelque chose d’important qu’il fallait instaurer le plus rapidement possible. Que ce soit quand même une possibilité pour chacun, chaque détenu, et pas seulement pour une élite qui est mariée ou quoi que ce soit qu’ils puissent profiter d’une relation, même si c’est que sexuel disons mais q’y ait au moins une affection, quelque chose avec quelqu’un.

Roseline : Même si c’est seulement aussi être côte à côte…..

Woody : Bon, d’un autre côté je me dis que ces rendez-vous que certaines personnes avaient avec leur épouse ne devaient pas être faciles, ça devait être artificiel, ils sont là et c’est minuté. Euh… l’épouse elle sait qu’elle vient là voilà pour que son mari puisse coucher avec pis voilà ça doit être un peu bizarre. En attendant….

Roseline : C’est ce que vous vous disiez sur le moment aussi ?

Woody : Ouais, ouais. Mais bon ils ont quand même leur moment de bonheur.

Roseline : Donc là ce que vous dites, c’est quand on est en prison, on a pas envie d’avoir une relation avec un autre homme même si c’est de l’homosexualité consentie comme disait votre directeur et que vous vouliez pas ça…..

Woody : Ah oui c’est sûr, c’est quelque chose qui s’accumule. Moi je vous dis ça ne me viendrait pas à l’idée avec un gars mais…

Rachel : Mais justement parfois on parle de euh… je cherche mon mot… de relation forcée. Par moment, certains peuvent être forcés d’avoir un rapport sexuel avec un autre détenu.

Woody : Probablement.

Rachel : Est-ce que ça existe vraiment, est-ce que c’est un fantasme qu’on se fait est-ce que…

Woody : Non. Non je pense qu’il y a beaucoup de détenus qui finalement couchent ensemble parce qu’ils leur manquent beaucoup d’affectivité et beaucoup de détenu qui deviennent homosexuels en prison.

Rachel : Juste le temps de leur détention….

Woody : Voilà ou peut-être aussi après j’en sais rien. Peut-être que ça se prolonge. Je pense que c’est quand même un état d’esprit une fois qu’on l’accepte, ça peut se prolonger après.

Roseline : Est-ce que quand vous étiez en prison, vous l’avez vu ou comme vous l’avez dit au début, c’était des échos ?

Woody : Y’a des fois des échos, des soupçons, on voit quand même des couples entre guillemets qui se forment. Moi, j’ai vu un couple qui vraiment se gênait pas, devant tout le monde, vraiment. Je trouvais un peu choquant, je dois dire. Mais je pense que ça doit stimuler beaucoup d’homosexualité dans ces situations-là. (Silence)

Roseline : Ce qu’on se disait, c’est que c’était un passage pis qu’après les gens oubliaient, mais pas qui oubliaient mais qui….

Rachel : Mais là aussi il y a un tabou autour de l’homosexualité. Donc euh… J’ai eu une fois une discussion avec une dame qui s’est spécialisée dans la sexualité dans le handicap. Elle disait que la sexualité qui était non reproductive, qui n’était pas faite pour se reproduire en fait était tabou. Parce que finalement on avait une sexualité que pour se reproduire à l’époque, en tout cas à l’époque de l’église et… Donc voilà, c’était une des hypothèses pourquoi les sexualités dans lesquelles il n’y pas une idée de reproduction, ben voilà c’était une sexualité tabou. La sexualité de plaisir, homosexualité…

Woody : Masturbation ?

Rachel : Masturbation etc….

Woody : C’est tout à fait valable, maintenant c’est possible qu’il y ait des couples qui se soit formés en prison et le gars après abandonne après, c’est possible aussi. Mais disons personnellement, une fois qu’ils ont franchi le pas…

Rachel : Je vais arriver à la dernière question, euh. Qu’est-ce que vos expériences affectives durant votre incarcération vous ont…. Est-ce que ça produit un changement maintenant ? Est-ce qu’il y a un changement d’idées, de visions ?

Woody : Oui sur beaucoup de plans, il y a beaucoup de changements ça s’est sûr. Déjà, qu’est-ce qu’on apprécie la liberté, on se rend pas compte quand on est libre ce que ça vaut. Ça vaut de l’or la liberté. C’était la première découverte en me promenant tout seul dans Genève. C’était extraordinaire, d’un autre coté c’est aussi assez angoissant de voir du monde, du monde, du monde, la période de Noël ça ce n’était pas facile à digérer.
Bon moi, j’ai eu de la chance car j’ai mis environ deux semaines pour me mettre dans le bain et pis voilà, me réintégrer. C’est extrêmement émouvant et il y a des tas de choses justement qui reviennent, d’abord cette histoire de liberté et pis vous pouvez de nouveau manger ce que vous voulez, vous faites tous les bistrots du coin. C’est clair, on se contente avec beaucoup moins de choses. Je me dis maintenant souvent que ça, ça ne m’apporte rien.
Et pis alors, vous avez de nouveau la liberté de retrouver une femme. Alors bon, je vous dis honnêtement, ça n’a même pas été tout de suite, j’ai attendu peut-être deux mois pis je suis allé aux Pâquis et j’ai trouvé une prostituée et pis voilà, c’était mon premier contact avec une femme depuis des années. Heureusement, c’était une fille extrêmement gentille, bon je ne lui ai pas dit que je sortais de prison mais elle était très sympa, très compréhensive et tout, ça s’est passé euh… plus ou moins bien, ça a mis du temps car j’étais tellement ému que… (rires)

Roseline : Là, vous étiez vraiment dans l’affectivité…

Woody : Ouais, ouais, là c’était assez beau.

Roseline : La sexualité était presque de côté ?

Woody : Ouais, ouais.

Roseline : Vous aviez presque exprimé toute cette frustration à travers…

Woody : Ah c’était… vraiment bien. Pis après heureusement j’ai une connaissance, on se voit de temps en temps. Ah, c’est des choses qui font partie de la vie et qui sont indissociables de la vie.
Moi je dis c’est comme dans les EMS maintenant, bon on a effectivement des groupes d’aide qui viennent dans ces EMS. Mais c’est là où je me dis que bon la société se rend compte que même une personne âgée a besoin de rapport d’affectivité, ce qui est le cas mais alors tout ce qui est détenus, prison, des jeunes dans la fleur de l’âge qui probablement ont des rapports tous les jours à l’extérieur, bien eux, on coupe tout, on interdit tout, on y pense même pas.

Roseline : On les castre….

Woody : Ouais. C’est dur !

Rachel : Si j’entends bien, il aurait une idée d’écraser l’autre encore plus, euh… On te met tant de temps dans un endroit, et c’est encore plus écraser la personne. On te rappelle que tu as fait une connerie et lui rappeler que durant tant de temps c’est rien du tout. Et je ne sais plus qui le disait mais quelque part on est qu’un numéro et on est plus une personnalité, on est plus humain …

Woody : Les gens sont des portes clefs, que des portes clefs. C’est, c’est…

Roseline : Ce que vous dites maintenant, c’est que vous proposez des solutions par rapport aux prostituées et un parloir intime pour tous, moins de démarche administrative, moins de lourdeur….

Woody : Et simplement avoir l’autorisation pour voir une prostituée de temps en temps sans avoir besoin de la connaître depuis X mois, une facilité de contacts, on l’autorise pour des couples mariés, pourquoi on l’autoriserait pas pour un passage une fois d’une prostituée, mon Dieu….
Mais bon ça, c’est l’idée que la société se fait d’une prison. La prison c’est quand même une punition. La société, elle vous punit elle vous coupe de la liberté, elle vous met dans une cage. Comme on dit toujours, c’est pas dans une boîte que les sardines vont apprendre à nager, mais c’est comme ça. On est dans une cage, la société nous a punis. Y’a qu’à voir que des fois dans les courriers des lecteurs, ils disent, vous vous rendez pas compte ils ont même la télévision en prison, vous imaginez ça, c’est du luxe. Alors que moi je dis que sans télévision, tous les jours il y aurait un suicide c’est vraiment un des seuls trucs qui vous tient encore plus ou moins en lien avec l’extérieur et encore. Et pis euh…après ils disent encore qu’ils ont le choix entre trois repas, vous vous rendez compte, ce qui est totalement faux, parce qu’il y a des menus sans porc pour tous les musulmans, le cuistot est obligé de faire sans porc de toute façon, un plat végétarien car il y a des gens qui ne mangent pas de viande et un menu normal. Donc celui qui s’inscrit au départ pour le menu normal, il mangera toujours le menu normal.

Rachel : Ah donc, il n’y a pas la possibilité de varier dans les menus ?

Woody : Il n’y a pas le choix ! C’est un fantasme ! Les gens ne connaissent rien !

Rachel : Justement, quand on parle d’un milieu fermé, c’est fermé. C’est complètement fermé pour le regard extérieur. Et même nous avons pu visiter une des prisons et donc c’est vrai on nous a montré ce qu’ils voulaient bien nous montrer. Les discours étaient différents entre la direction et les gardiens.

Woody : Déjà entre eux et pis après les détenus, c’est encore un autre discours.

Roseline : Pour en revenir à la société, la société dit des choses qu’elle ne connaît pas ?

Woody : Elle est mal informée !

Roseline : Mal informée….

Woody : Elle ne sait pas ce qui se passe en prison, pis elle invente des choses quand on voit des gens qui parlent de trois menus, etc., de chambre individuelle, ils ont aucune idée de ce que c’est de vivre dans… mon Dieu, quelques mètres carrés.

Roseline : Ça peut arriver à tout le monde de se retrouver en prison…

Woody : Oui à tout le monde, même un conducteur. Mais les gens sont mal informés, ils croient que c’est le club Med, et c’est pas du tout cela, vraiment pas.

Roseline : Nous tenons à vous dire que certaines choses qu’on va retranscrire mais qui ne seront pas forcément utilisé dans notre mémoire car, parce que… c’est bien mais on ne pourra pas tout mettre.

Woody : Ouais, ouais, on ne peut pas entrer dans tous les détails.

Roseline : On va vraiment prendre par rapport à votre vécu, l’affectivité, bon je ne sais pas encore comment on va tourner ça, ça va prendre du temps à écrire mais….

Rachel : Nous arrivons à la fin, est-ce que peut-être vous aimeriez ajouter quelque chose ? Compléter quelque chose ?

Roseline : A quelque chose dont nous n’avons pas pensé ?

Woody : Non je crois que j’ai dit ces quelques points que j’avais en tête, non pour moi c’est tout bon.

Roseline : Encore merci beaucoup !

Rachel : Merci beaucoup pour votre participation et votre franchise.

Woody : Pourvu que ça puisse aider !
Hors enregistrement : Comment avez-vous vécu cet entretien ?

Woody : Cela s’est bien passé, j’ai été content de ne pas devoir parler de mon délit, cela change.

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