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A – L’exclusion inconvenante du préjudice moral né du défaut d’information

ADIAL

Une partie de la doctrine a toujours exprimé son opposition à l’indemnisation du préjudice moral. La jurisprudence était restée jusque là insensible puisqu’elle admettait largement ce chef de préjudice. Effectivement, elle avait jugé dernièrement au visa de l’article 1147 du Code civil et au sujet de l’indemnisation de la perte de chance de survie, « que toute personne victime d’un dommage, quelle qu’en soit la nature, a droit d’en obtenir l’indemnisation de celui qui l’a causé ». Elle ajoute qu’en vertu de l’article 731 du Code civil, « le droit à réparation du dommage résultat de la souffrance moral éprouvée par la victime avant son décès, en raison d’une perte de chance de survie, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers » .

Pourtant, le 6 décembre 2007 , la Cour de cassation exclut par principe tout préjudice moral en matière de non-respect de l’information du médecin. Au visa des articles R. 4127-36 du Code de la santé publique et 1382 du Code civil, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en ce qu’il avait décidé que le manquement du chirurgien à son devoir d’information à l’égard du patient avait été source d’un préjudice moral, au motif que « le seul préjudice indemnisable à la suite du non-respect de l’obligation d’information du médecin , laquelle a pour objet d’obtenir le consentement éclairé du patient, est la perte de chance d’échapper au risque qui s’est finalement réalisé ».

Alors même qu’une partie de la doctrine approuve cette révolution en cela qu’elle apporte une certaine sécurité juridique, une autre partie de la doctrine conteste cette solution.

D’abord, la Cour de cassation semble ignorer que la faute éthique du médecin puisse entrainer un préjudice moral quel qu’il soit, douleurs, pretium doloris, souffrances psychiques, préjudice d’affection, etc.

Ensuite, cette décision reste trop radicale alors même qu’elle est considérée comme permettant de lutter contre une indemnisation à tout prix. En effet, les juges du fond disposant d’un pouvoir souverain, ne sont-ils pas les plus aptes à distinguer les demandes fondées des demandes abusives ? Dans certaines espèces, la Haute juridiction n’hésite pas à se retrancher derrière leur souveraineté . Des exemples antérieurs illustrent la réalité que peut recouvrir un tel préjudice .

Par ailleurs, même si cette solution semble tenir compte de la difficile évaluation des préjudices extrapatrimoniaux, elle n’en demeure pas moins non justifiée, en cela qu’elle méconnait le droit à l’intégrité du patient, droit essentiel qui mériterait une protection aussi efficace que celle du droit au respect de la vie privée .

Finalement, certains auteurs critiquent cette solution contestable au plan du droit et des exigences du respect de la personne humaine.

D’abord, au plan du droit, le dommage matériel comme le dommage moral, causés par une faute doivent être réparés suivant deux arrêts de principes rendus par la Cour de cassation en date du 15 juin 1833 et du 13 février 1923 . Même si ce dernier concerne la faute de l’article 1382 du Code civil, la norme posée par l’article 1382 du Code civil transcende le clivage entre la responsabilité délictuelle et contractuelle. Constituant une exigence constitutionnelle générale , on peut se demander si un juge peut, in abstracto, décider que pour une catégorie particulière de faute la réparation du préjudice moral est interdite par principe. Toute la jurisprudence de la Cour de cassation va dans le sens de l’affirmation du principe suivant lequel tout préjudice causé par une faute doit être réparé dans tous ses éléments. Seul le législateur a la faculté, sous le contrôle du Conseil constitutionnel lorsqu’il est saisi, d’exclure la réparation de tel ou tel préjudice a priori.

De plus, cette décision constitue un revirement incompréhensible au sens de la Cour européenne des droits de l’homme . Effectivement, plusieurs précédents ont admis la réparation du préjudice moral . Egalement, ce revirement est inexplicable par rapport à l’affirmation d’un arrêt du 13 novembre 2002 suivant lequel « la violation de l’obligation d’information, laquelle incombe personnellement au praticien, ne peut être sanctionnée qu’autant qu’il en résulte pour le patient un préjudice dont les juges du fond apprécient souverainement l’existence ». Or, la Cour d’appel avait en l’espèce, parfaitement mis en lumière les éléments caractérisant l’existence d’un préjudice moral, conformément au principe d’une appréciation souveraine.

Enfin, au plan des exigences du respect de la personne humaine, ce revirement est contestable. Monsieur PENNEAU souligne en effet que le préjudice moral peut résulter du fait que le patient se trouve confronté à un dommage à l’éventualité duquel en raison du défaut d’information il n’a pu se préparer. C’est exactement ce que la Cour d’appel de Bordeaux avait caractérisé en l’espèce.

Monsieur STOFFEL-MUNCK se pose alors la question suivante : « indépendamment même de l’incidence du manquement du médecin à son obligation d’information sur le consentement du patient, ce manquement n’est-il pas source d’un préjudice moral pour le patient, dont le droit subjectif à l’information a ainsi été violé ? ».

En réalité, la reconnaissance d’un droit à réparation ne doit pas s’appuyer sur la violation d’un droit subjectif. Déjà parce que la violation d’un tel droit n’est pas systématiquement indemnisable et qu’ensuite, nous ne sommes pas en mesure de déterminer les raisons pour lesquelles certains droits font l’objet d’un tel traitement de faveur. Reconnaitre un préjudice à chaque violation d’un droit serait alors dangereux pour la victime qui ne pourrait alors demander qu’une réparation symbolique de son préjudice.

Dès lors, il n’est pas raisonnable de considérer que le manquement du médecin à son obligation d’information ait causé un préjudice moral au patient victime au seul motif qu’un droit subjectif a été violé. Ne serait-il pas plus intéressant de relever un droit à l’information, consacré de manière solennelle par les articles 16-3 du Code civil et L. 1111-2 du Code de la santé publique, le rendant alors indispensable au respect de la dignité de la personne humaine, ce qui justifierait que sa violation soit ipso facto source d’un préjudice ? Monsieur STOFFEL-MUNCK ne partage pas cette opinion. En effet, selon lui, il s’agirait là encore d’instaurer par l’adoption d’une conception abstraite du préjudice, des procédures ayant pour seul objet l’allocation de dommages et intérêts symboliques.

Malgré tout, refuser de voir dans la seule violation du droit à l’information du patient une source de préjudice, priverait de toute portée la reconnaissance de ce droit.

B – Une approche restrictive qui sème le doute

Certains se demandent si cette approche n’entraine pas par la même une relativité des devoirs (1) et par la même une neutralisation de l’obligation d’information (2).

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