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A. La crise de l’accessibilité et de la qualité des services publics

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Il est de notoriété publique en Haïti que les services publics offerts à la population par
l’Administration publique sont tant soit peu accessibles, dépendamment de la région
d’habitation de l’administré, de son niveau dans l’échelle sociale, de sa situation économique
et voire ses accointances personnelles ou son appartenance à une certaine classe sociale.

De telle sorte qu’il y-aurait en Haïti, implicitement, des citoyens haïtiens qui le seraient plus que
d’autres, à côté d’une certaine catégorie considérée comme des citoyens de seconde zone.

Quant à la qualité des services offerts, le niveau reste globalement faible, tout en observant la
même variabilité dans les traitements en fonction des facteurs décrits plus haut.

Que l’on parle du service public de l’éducation ou de la justice, de l’eau potable, de
l’électricité, de la santé ou encore plus globalement des démarches administratives
quotidiennes auprès des services publics en vue de payer ses redevances vis-à-vis du fisc ou
en vue de l’obtention, par exemple, d’une pièce d’identité ou de tout autre document
administratif à toutes fins utiles, le constat reste le même. Quand le service public n’est pas
simplement inexistant dans la zone d’habitation du citoyen, il y a quasi-constamment un
traitement à géométrie variable de l’usager qui vient mettre à mal le principe de l’égalité
devant le service public, principe pourtant sacramentel en droit administratif et aussi à valeur
constitutionnelle en Haïti.

Cette double crise de l’accessibilité et de la qualité des services publics tient en majeure
partie à cette problématique de l’Etat-Nation en Haïti ; un pays dans lequel certaines
catégories de citoyens ne se reconnaissent pas dans une certaine catégorie de compatriotes,
qu’elles considèrent comme des étrangers dans leur propre pays ; un pays sans ethnie, mais
émietté et cloisonné. D’aucuns diraient plusieurs pays à l’intérieur du même pays avec des
citoyens peu ou prou conscients d’une certaine hiérarchie dans leur degré de citoyenneté.

D’où le concept de « pays en dehors » développé par Gérard Barthélémy, économiste et
anthropologue français, spécialiste d’Haïti.(15)

Qui plus est, l’on se demande à bon droit si cette vision de la société haïtienne ou du
moins cette forme de contrat social n’est pas consacrée, fût-ce implicitement, voire nourrie au
plus haut sommet de l’Etat, eu égard au peu de sacrifices consentis par les différents
gouvernements successifs en vue de révolutionner, réellement, ce système d’ostracisme.
Par souci d’objectivité, nous reconnaissons volontiers qu’il y a d’autres variables

explicatives aux phénomènes d’inaccessibilité et de la mauvaise qualité des services publics
en Haïti, mais les déterminants identifiés plus haut y sont pour beaucoup. Le citoyen ordinaire
de la capitale, Port-au-Prince, où quasiment tout l’appareil administratif de l’Etat est
centralisé, se plaint, entre autres, quotidiennement devant les différents services de
l’Administration de la lenteur dans le traitement de ses dossiers, de longues files d’attente
sans espérer accéder au service, de l’inégalité de traitement et de l’accueil qui dénote fort bien
l’irrespect de la dimension humaine de l’usager. Ainsi, est-ce monnaie courante d’observer,
déjà à la capitale où tout est centralisé, des citoyens se lever et prendre la rue à une heure
indue afin d’arriver parmi les premiers devant un service de l’Administration à quatre heures
(4h00) du matin, quand ce n’est pas plus tôt, espérant pouvoir remplir ses obligations fiscales
ou réclamer un document administratif quelconque. Si tel est le cas du citoyen vivant à la
capitale, quid du citoyen vivant dans les provinces, c’est-à-dire en dehors de la capitale où
souvent il faut parcourir des dizaines et parfois des centaines de kilomètres pour trouver une
trace matérielle de l’existence de l’Etat?

C’est dans cette optique, que les naissances ne sont pas toujours déclarées, que le paysanhabitant
met certaines fois plusieurs jours pour venir à la capitale retirer un passeport ou
toutes autres pièces d’identité et/ou documents administratifs pour servir et valoir ce que de
droit.

C’est le cas de dire que l’Administration d’Etat, via les services centraux et les services
locaux de l’Etat, est loin d’être une Administration de service dans laquelle servir et satisfaire
l’administré seraient des priorités. Cet état de fait relève d’une tradition dans l’Administration
publique haïtienne. Par conséquent, la crise de l’accessibilité et de la qualité des services
offerts par l’Administration ne date pas d’hier. C’est une somme de pratiques politicoadministratives
séculaires, voire ancestrales, qui se trouvent aux antipodes de la culture des
résultats, de la logique de la performance et qui continuent de ternir l’image ou du moins
traduire la réalité quotidienne de l’Administration dans ses rapports avec les citoyens.

Ce constat est aussi vrai pour l’Administration centrale, l’Administration déconcentrée et les
organismes autonomes qui rentrent dans le cadre de ce qu’il convient d’appeler, suivant
l’expression juridique consacrée, la décentralisation fonctionnelle ou encore la
décentralisation par services.

Par ailleurs, cet état des lieux non satisfaisant trouve, entre autres, ses explications dans
d’autres phénomènes, comme ceux de la corruption, du favoritisme ou du népotisme, que l’on
peut observer au quotidien en observant l’Administration publique.

15 Dans son ouvrage intitulé : « L’Univers rural haïtien : Le pays en dehors », publié en 1990 chez l’Harmattan.

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