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9-1 Une polysémie dans la désignation des CPIP déjà ancienne

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La nouvelle dénomination de CPIP, apportée par l’Administration Pénitentiaire au groupe professionnel des CIP à la fin de l’année 2010, ne rencontre pas d’adhésion pour une grande majorité des CPIP interrogés. Ce constat pourrait se justifier par le caractère récent de cette évolution, mais cette difficulté de reconnaissance et de projection, dans un nom désignant l’ensemble du groupe professionnel, est beaucoup plus ancienne.

En effet, si le rôle dans la chaîne pénale des CPIP est resté stable, la dénomination utilisée pour qualifier le groupe professionnel est fortement polysémique, et ce depuis l’origine de la création du Juge de l’Application des Peines :

H, 31 ans, CPIP, UGSP-CGT, 4 ans d’ancienneté

: « Ça a évolué, puisqu’il y a beaucoup de gens qui sont rentrés en tant qu’éducateurs, soit en tant que délégué à la probation, soit en tant qu’agent de probation, soit en tant que conseiller d’insertion et de probation, soit en tant qu’assistante sociale ; il fut un temps où il y avait en milieu ouvert 5 corps et dénominations qui cohabitaient, ce qui est assez incroyable et remarquable ».

F, 52 ans, CPIP, 19 ans d’expérience comme AS, 10 ans d’ancienneté

: « C’est pareil, il y en a qui disait éducateur, délégué à la probation, assistante sociale, agent de probation : il y avait tout ça qui cohabitait. Ça faisait qu’il y avait beaucoup moins d’unité dans les pratiques, parce que chaque juge avait ses travailleurs sociaux, chaque travailleur social avait l’habitude de son juge, donc, l’idée des secteurs géographiques ; on devait être ou 5 ou 6 délégués à la probation sur 18 avec un chef de service pour animer un peu l’équipe qui avait un petit peu pour objectif d’unifier les pratiques, mais à l’époque, on travaillait beaucoup, moins que maintenant, c’est incontestable ».

Le fait de regrouper ces différentes appellations en une seule aurait pu être une étape dans le processus de professionnalisation de ce groupe professionnel et lui donner une forme d’uniformité.

Cependant, alors que la première promotion de CIP a été titularisée en 2001, il apparaissait déjà, que 60% des personnes n’utilisaient pas le terme de CIP mais majoritairement celui de travailleur social (précisant ou non qu’ils relèvent de l’Administration Pénitentiaire), lors d’une étude réalisée en 2004/2005

[LHUILLIER, 2006, p 81]. « Si je dis CIP, personne ne sait ce que c’est », « L’image des CIP, c’est le néant, comment faire valoir notre identité à l’extérieur ? », « C’est injuste, ma famille ne comprend pas ce que je fais ici ; à la télé, la réinsertion, c’est les JAP ou les surveillants ».

Alors s’identifier à d’autres, plus visibles, est une des stratégies utilisées : « Moi je dis éduc à l’administration pénitentiaire», «Je dis éduc ou TS si je ne veux pas qu’ils sachent que je suis pénitentiaire car travailleur social, ça veut tout dire et rien dire». Rester dans le flou est une autre stratégie pour les CIP comme « Je dis que je suis fonctionnaire de justice » voire « fonctionnaire» [LHUILLIER, 2006, idem].

Il semble donc que cette distance, au nom d’une majorité de CPIP, soit un phénomène ancré depuis la création des SPIP sans évolution notable en termes d’adhésion depuis 1999, même pour les personnels titularisés après 2006. Le changement de nom, survenu fin 2010, vient ainsi accentuer ce manque d’adhésion initial :

H, 27 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté

: « Je vois pas l’intérêt, vu qu’on est déjà conseiller d’insertion et de probation de l’administration pénitentiaire, de rajouter pénitentiaire dans le sigle d’origine, je vois pas l’intérêt ; simplement, le fait de changer de nom, ça va juste faire encore baisser notre visibilité, la visibilité de nos fonctions et de notre travail et il va falloir encore expliquer, réexpliquer et je pense que ça va plus créer une confusion qu’autre chose ».

Il semble, qu’indépendamment du nom, c’est surtout l’activité des SPIP et des CPIP qui est totalement méconnue.

Pour certains, la connaissance de l’activité par le grand public entraînerait par la suite une adhésion au nom :

H, 35 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « Ouais pff, de toute façon, on est pas connu du tout, donc, j’ai envie de dire, on peut prendre tous les noms qu’on veut, ça changerait pas grand chose, alors pour moi, l’important, au delà du nom, c’est surtout de médiatiser un petit plus notre travail, de montrer que les personnes ne sont pas dehors comme ça, sans contrôle social, sans qu’il se passe rien que l’État met aussi des moyens, pas forcément assez pour ce public-là ; et surtout faire en sorte qu’il y ait une vraie trajectoire. Après sur le terme, le fait qu’il y ait pénitentiaire, c’est assez normal, vu qu’on y travaille, quand même, après, c’est peut être le mot conseiller qui me paraît bizarre, effectivement, même si je vois pas trop ce qu’on pourrait y mettre d’autre, alors conseiller d’insertion, pourquoi pas, mais c’est un métier qui existe déjà, mais conseiller de probation c’est un peu toujours bizarre ».

Le vocable « pénitentiaire » marque pour d’autres la porosité plus grande entre le milieu ouvert et le milieu fermé, acté par l’instruction des aménagements de peine en milieu ouvert ou bien l’arrivée de surveillants pénitentiaires dans les SPIP depuis 2010 :

F, 29 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « Je vois pas trop l’intérêt de ce changement de nom, si, ça rajoute au cadre, mais ça enlève encore au travailleur social le fait qu’il y ait pénitentiaire dans notre dénomination mais concrètement, moi ça change rien à ma façon de travailler au quotidien ».

F, 33 ans, CPIP, 3 ans d’ancienneté

: « J’en pense rien, je vois pas très bien ce que ça apporte, ce que ça change, de toute façon, les gens ne nous connaissent pas, alors, que ce soit l’un ou l’autre, ça complexifie les choses mais ça nous remet dans un cadre pénitentiaire, ça replace notre profession dans un cadre pénitentiaire ».

Aucune étude antérieure à celle de 2008 ne vient chiffrer et détailler dans quelle mesure le nom de CIP n’a jamais été intégré par le groupe professionnel. Le constat, fait dans notre étude, n’est pas étayé à une échelle statistique pouvant permettre de généraliser notre propos.

Le groupe professionnel semble toutefois pâtir de cette forte polysémie dans la description de leurs missions et de leur place au sein de l’Administration Pénitentiaire.

La référence à une identité, à un nom, a pourtant une importance non négligeable dans la construction de la légitimité professionnelle d’un groupe professionnel et d’une symbolique susceptible de s’imposer dans le débat public.

En effet, la principale ressource des professions dans le processus de professionnalisation « réside dans la rhétorique, le travail de construction sociale qu’elles sont capables d’opérer, et non dans l’efficacité réelle des savoirs qu’elles mobilisent. Un voile d’idéologie s’interpose entre les professions et leur public » [LE BIANIC, 2003, p53].

Cette polysémie est donc, à notre sens, un obstacle à la professionnalisation du groupe professionnel des CPIP : « la marque minimale d’existence de groupes professionnels réside dans leur nom, qui est l’indice d’un certain degré de spécialisation et de division du travail » [DEMAZIERE, GADEA, 2009, p 440].

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