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6-2 L’expertise

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Comme nous l’avons vu précédemment, selon les auteurs fonctionnalistes, la référence à « un savoir spécialisé et appliqué, acquis au terme d’une longue formation supérieure » [LE BIANIC, 2005, p57] est le coeur de tout processus de professionnalisation. Ce savoir semble être appuyé sur un corpus théorique, la criminologie, selon l’Administration Pénitentiaire.

Mais la criminologie fait débat en France au-delà de l’Administration Pénitentiaire.

H, 55 ans, AFC

: « C’est une façon de dire, pour moi, que cette question de la criminologie n’est pas une question purement d’actualité ; vous avez un fond de débat, de discussion, de conflits de toutes sortes de choses autour de cet objet criminologique en France, sachant que ça ne se passe pas du tout du tout de la même manière pour toutes sortes de raison ailleurs passé les frontières, c’est plus du tout le même problème ».

Ce qui constitue une forme de nouveauté, c’est l’apparition, dans l’actualité, de la notion de dangerosité, exploitée médiatiquement depuis 2002 :

H, 55 ans, AFC

: « L’introduction dans les débats, dans la question pénale de la dangerosité ; alors qui dit dangerosité dit nécessité effectivement de la diagnostiquer, de la définir, d’essayer d’imaginer des traitements pour s’en protéger etc. etc., et là, apparaît cette figure qui n’existe pas en France, du criminologue, hein ; le criminologue va être l’homme de la situation, c’est-à-dire le spécialiste de la dangerosité : c’est comme ça que, quasiment, vous prenez le rapport du premier président de la cour de cassation,

Monsieur Lamanda. Assez rapidement, vous vous rendez compte que pour lui, criminologie, quasiment, d’abord, ça se réduit à la psycho criminologie ; en gros, Lamanda, si je caricature un peu, c’est cette équation : criminologie=psycho, criminologie=question de la dangerosité ».

La résistance principale à l’émergence de la criminologie provient de la difficulté rencontrée par la communauté scientifique française à dépasser les clivages entre disciplines scientifiques, pour analyser des phénomènes complexes comme le phénomène criminel.

Les principales critiques insistent sur le caractère artificiel de la pluridisciplinarité, affichée dans les exemples belges ou canadiens d’écoles de criminologie : « Ce n’est pas parce qu’ils sont des chercheurs en criminologie qu’ils peuvent former des « criminologues » mais le contraire : c’est parce qu’ils doivent former des personnes qui auront le titre professionnel de « criminologues » qu’ils sont amenés à cohabiter vaille que vaille sous le label de la « criminologie », malgré leurs irréductibles oppositions paradigmatiques. Sitôt l’enjeu de la formation professionnelle disparu, la plupart des « criminologues » québécois redeviennent des psychologues, des sociologues, des juristes, des historiens, etc. » [MUCCHIELLI, 2010].

De fait, cette notion de pluridisciplinarité est au coeur de l’approche criminologique défendue par l’Administration Pénitentiaire :

H, 55 ans, AFC

: « La criminologie, c’est souvent, on définit ça comme ça, comme une sorte de lieu de confluence d’un certain nombre de disciplines qui, par elles mêmes, sont constituées, bon alors, pour simplifier les choses, on peut considérer, j’avais donné l’image du tétraèdre, c’est-à-dire que la criminologie se définit avant tout comme un champ ; c’est-à-dire que la criminologie va être l’ensemble, peut être définie comme l’ensemble des démarches scientifiques permettant d’étudier le phénomène criminel ».

Pour autant, la référence au caractère « scientifique » de l’approche criminologique peut-être un vecteur de professionnalisation, selon certains acteurs, comme rempart contre l’arbitraire des décisions politiques :

F, 29 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté

: « Donc, je pense vraiment à l’inverse que la criminologie, la discipline, sérieuse et universitaire, avec des vrais gens, des chercheurs qui sont payés à ça,… qui ont les compétences pour faire ça, c’est le seul moyen de se protéger en disant : mais votre truc, là, votre idée de créer encore une infraction pour les bandes de jeunes, ça va se retourner contre vous, ça va avoir exactement l’effet inverse, vous faîtes des conneries.

Vous faîtes des conneries parce qu’un criminologue, euh, moi je pense c’est la seule qui puisse tenir, quoi, et qui puisse, étant donné qu’elle est censé être objective, dire à n’importe quel gouvernement : Ce que vous faîtes, là, c’est de la merde, là, précisément, ce que vous vous voulez sortir comme loi, c’est de la merde, ça va se retourner, à l’inverse de ce que vous voulez ; ça n’a pas de sens, voire ça devient dangereux ».

La formation en criminologie doit venir appuyer, en formation continue, une pratique de terrain.

H, 55 ans, AFC

: « En formation initiale, ce qui me paraît tellement important, c’est d’avoir une base solide dans une discipline de référence et puis d’apprendre un métier, les premiers éléments d’un métier, bon, alors que la criminologie, effectivement, comme a priori elle doit s’appuyer sur plusieurs disciplines et une pratique, elle s’adresse plus à quelqu’un qui est déjà intégré à un terrain, etc. ; donc, pour moi, c’est l’approche de trois coeurs de discipline avec des spécialistes de chacune de ces disciplines qui sont ouverts aux autres et combiné avec, à la fois, une approche de type universitaire qui s’appuie aussi sur des enseignements qui sont donnés par des praticiens, par des CIP, par des juges de l’application des peines expérimentés, par des magistrats, etc… Pour moi une formation à la criminologie, c’est ça ».

L’expertise souhaitée par l’Administration est initiée, en formation continue, après une formation initiale assurée par l’ÉNAP. Or, l’enseignement en criminologie, en formation initiale, est assuré seulement depuis 2004 et la huitième promotion de CIP :

« Cette nouvelle définition des missions implique que les conseillers doivent s’appuyer sur « leurs connaissances en criminologie ». Or, en 2008, la plupart d’entre eux découvrent qu’ils possèdent de telles compétences. En 2003 encore, la formation initiale de la 8e promotion de conseillers d’insertion et de probation à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ÉNAP) ne prévoit pas de cours de criminologie »… .Il faut attendre le décret du 6 mai 2005 pour que la prévention de la récidive apparaisse dans les finalités de la formation de la 12e promotion (2007-2009). Cela signifie que lorsque ce décret évoque les « connaissances en criminologie » des conseillers, une telle formation n’existe pas encore.

Il convient donc de se demander de quelles connaissances et de quelles compétences criminologiques il est aujourd’hui question dans les métiers de la probation. » [RAZAC, 2011].

Cette école inclut en formation initiale des enseignements concernant les PPR seulement depuis 2009. Cela peut expliquer la forte défiance de tous les CPIP interrogés, par rapport à cette approche criminologique en termes d’identité professionnelle qui sera analysée infra. La criminologie est perçue par une seule personne interrogée comme une protection contre l’abandon des missions sociales des CIP et, à terme, l’externalisation totale des missions d’insertion et de probation de l’administration pénitentiaire.

F, 29 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté

: « Moi, je suis convaincue que la criminologie est un de seuls moyens qu’on aura de sauver notre métier, c’est-à-dire que c’est à travers, enfin la criminologie, ça a l’avantage d’être une discipline, c’est-à-dire, en soit, elle est neutre ».

Le caractère objectif de ce nouveau champ de compétence est envisagé comme une garantie contre l’arbitraire émanant du politique notamment, et de l’utilisation à des fins idéologiques de l’outil criminologique : de même, la criminologie n’est pas perçue comme dangereuse, c’est seulement le politique qui peut en faire une utilisation pernicieuse ou dévoyée :

F, 29 ans, CPIP, 2 ans d’ancienneté

: « La criminologie, ça permet donc de rendre neutre certains constats, certaines études, au mieux d’objectiver des données pour qu’elles soient détachées de la question du politique et qu’on puisse prendre des décisions qui soient, non pas dans un sens ou dans un autre politiquement, mais qui soient dans le bon sens pour améliorer les choses et les questions qu’on se pose.

Et je pense que s’il y avait des criminologues et des experts criminologues sans lesquels on pourrait pas faire passer nos projets de lois, y aurait tout un tas de trucs qui ne seraient jamais passés. Je pense que la criminologie sera une des solutions pour protéger notre métier et faire que ça ne penche pas trop du mauvais côté et qu’on soit pas, et qu’on devienne pas des espèces de pseudos flics surveillants ».

Le caractère récent de cette référence institutionnelle à la criminologie (mention d’expertise en criminologie dans le décret du 6 mai 2005, développement des PPR en formation initiale depuis 2009) sur fond de volonté politique de développer l’enseignement en criminologie(33), (création d’une chaire de criminologie au CNAM (34)), n’a pas de relais constitués dans la communauté scientifique qui puisse permettre aux SPIP de développer à ce jour un discours expert inscrit dans un savoir en lien avec l’Université.(35)

La dimension rhétorique du discours de l’Administration Pénitentiaire trouve là une forte limite pour les agents interrogés dans notre enquête qui n’ont pas intégré ses arguments, à l’exception d’une seule personne.

Ce constat n’a aucune prétention statistique et est propre à notre terrain d’enquête. Il mériterait d’être confirmé ou infirmé à une échelle beaucoup plus large.

33 Proposition 23 du Rapport LAMANDA consultable au http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000332/0000.pdf
34 La création d’une chaire de Criminologie au CNAM attribuée à Alain Bauer en janvier 2009, consultant en sécurité, entres autres titres, suscite inquiétude et critiques dans le milieu de la recherche et au CNAM même. Une pétition contre cette nomination circule sur internet consultable au http://sauvonslarecherche.fr/spip.php?article2317
35 « Développer la « criminologie » à l’université ?*] Quant à l’idée de développer dans les Universités une nouvelle discipline qui s’appellerait «
criminologie », qu’en penser ? La criminologie s’est développée comme discipline universitaire dans un certain nombre de pays mais selon des modalités très différentes. Aux Etats-Unis, il s’agit de départements de sciences sociales. Comme le disait un célèbre sociologue du crime, la sociologie est ma discipline et la criminologie mon champ d’étude. En Europe, au contraire, il s’agit généralement de sections de facultés de droit. Encore faut-il distinguer les pays de Common Law où les écoles de droit ont une conception du droit assez faiblement normative pour accueillir des secteurs de recherche empirique et les pays romano-germaniques où la tradition de droit légiféré durcit la conception normative du droit et rend toujours difficile la coexistence avec des recherches empiriques. Il faudrait encore distinguer les pays (comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne) où le pénal constitue un secteur important et autonome du droit public de ceux comme la France où il est réduit à une portion congrue du droit privé. En France, le développement de l’enseignement universitaire de la criminologie s’est borné pour l’essentiel à des instituts de criminologie des facultés de droit, dispensant le plus souvent un enseignement marginal par rapport aux diplômes réguliers. » Extrait de la pétition consultable au http://www.mouvements.info/Pas-de-nouvelle-criminologie-au.html

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