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4-3) La course au scoop, le sensationnalisme et les sujets « vendeurs » :

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Pour Thomas Deltombe, qui a longuement observé le comportement des médias français face à l’islam et aux musulmans, est apparu dans le courant des années 2003/2004 l’image médiatique d’un « islam jeune », « sympathique » mais malheureusement toujours autant stéréotypé.

En effet, dans le monde des médias, la roue tourne, rien ne dure et, à l’image des acteurs, des sujets autrefois boudés peuvent devenir en peu de temps des coqueluches. L’islam serait donc devenu un sujet « banckable » (NDA : entendre par là « rentable », banckable étant une expression contemporaine qui désigne les acteurs en vogue du moment empochant de gros cachets), un sujet « qui fait vendre ».

La preuve de cela ? C’est tout simplement que, quand il s’agit d’islam ou de musulmans, les médias ont fortement tendance à «monter leurs sujets en épingle » et à accorder facilement du crédit à des thèses peu fiables ou minoritaires. Et pour quelles raisons une rédaction risquerait-elle de mettre en cause sa réputation ou son image, si ce n’est celle d’être sûre de faire un maximum d’audience ?

Ainsi, l’islam, en plus de souffrir d’une image médiatique assez négative, se retrouve enfermé dans un « succès » qui l’empêche de sortir des stéréotypes que l’on lui a imposé. N’attirant que par le côté caricatural et spectaculaire qu’on lui prête (violence aux femmes, terrorisme, extrémisme religieux, etc.), toute théorie allant dans un sens plus « positif », ou dénonçant cette création médiatique d’un islam fantasmatique, ne trouve que rarement écho.

Ce qui semble attirer et faire vendre a souvent tendance à se rapprocher du malheur, du spectaculaire, de tout ce que l’on peut présenter au spectateur de sensationnel ou de sordide. Et tout cela lui permet de focaliser un instant davantage sur cet « autre » que l’on lui présente comme « mauvais » plus que sur sa propre existence.

Comme l’exprime justement Nathalie Dollé dans son article Musulmanes et journalistes : entre malentendus et gâchis. Et maintenant on fait quoi ? (Islamlaïcité.org, 23 mai 2007), « il faut garder à l’esprit que les médias de presse, et la télévision en particulier, s’intéressent avant tout « aux trains qui n’arrivent pas à l’heure », c’est-à-dire aux « accidents », à « l’extra-ordinaire » et tout cela forme la célèbre « actualité ».

Dans la même idée, Mohammed Sifaoui, journaliste à la déontologie plus que controversée, produit tout de même un point de vue intéressant sur le sujet puisqu’il affirme que l’islam et ses dérives occupent une grande place dans les médias français parce que l’on a trouvé en eux « une minorité bavarde, agissante et médiatiquement intéressante. La majorité [des musulmans de France] qui n’inscrit pas la question religieuse au sein de ses préoccupations n’intéress[ant] pas grand monde.»

Le journaliste Laurent Testot, travaillant pour la revue Sciences Humaines, a également repris (dans un article résumant la conférence où M. Sifaoui a prononcé la phrase ci-dessus) le cri du coeur d’un reporter qui explique que l’on demande davantage aux journalistes de « mettre en scène les peurs que véhicule l’image de l’islam [plutôt] que ce qu’il est réellement, d’où la surexposition, par exemple, des problèmes liés au voile. »
Ces divers témoignages de professionnels qui évoluent au coeur de la machine médiatique permettent d’entrapercevoir ce que certaines rédactions sont prêtes à faire pour vendre plus de numéros ou faire plus d’audience.

S’avançant encore plus loin dans la réflexion quant à ce genre de pratiques, Patrick Champagne (sociologue) explique clairement que l’attrait du sensationnalisme peut « conduire à tronquer l’information [et] à fabriquer de faux évènements, [voire] à pousser [d]es jeunes à commettre des actes délictueux sous l’oeil des caméras ». D’après lui, cette caractéristique, plutôt initialement propres aux médias audiovisuels, s’est étendue à l’ensemble des supports médiatiques qui, par le jeu de la concurrence, s’influencent les uns les autres, s’espionnent et se chipent les idées.

Pour ce sociologue, « le problème des banlieues » est l’exemple archétypal de ce que les médias peuvent construire en marquant les esprits par des informations « sommaires », « caractérisée[s] par le goût du sensationnalisme » et concernant les problèmes de société ; « on [ne] voit ceux-ci qu’à travers les incidents et les situations de crise » puisque « les journalistes sont incités à aller chercher les aspects les plus spectaculaires […] plus que les causes qui sont souvent invisibles. »

Clairement donc, pour lui, cette « évolution du traitement de l’information a des conséquences», et non des moindres.

Ce chapitre, destiné à mieux comprendre les contraintes pesant sur le monde médiatique, et particulièrement sur les journalistes dont les nouvelles conditions de travail sont parfois difficilement conciliables avec un respect total de la déontologie, brosse le portrait d’une profession en crise. Le business, le sensationnalisme et le manque de temps sont donc également partie prenante à l’édification de cette image caricaturale et fantasmatique que donnent aujourd’hui les médias de l’islam et des musulmans.

Vincent Geisser dans La Nouvelle islamophobie se pose la question « Existe-t-il en France une “islamophobie intellectuelle” [ ?]».

D’après lui, « si l’on entend par “islamophobie intellectuelle ” des procédés, des modes et des registres spécifiques, distincts des autres manifestations de l’islamophobie ordinaire, la réponse serait plutôt négative. […] En revanche, si l’on entend par “islamophobie intellectuelle ” une responsabilité particulière des intellectuels français dans la diffusion et la légitimation d’un certain nombre de préjugés sur l’islam, force est d’admettre que la réponse à notre question initiale est plutôt positive. »

Cette définition, à la fois précise et réaliste, permet de comprendre une partie de l’origine du problème. En fait, si dans les médias l’islam semble souffrir d’une image stéréotypée, c’est qu’une tendance systématique à l’amalgame et à la simplification à outrance s’est démocratisée ces dernières années.

Plus qu’une réelle islamophobie volontaire et généralisée de la part des journalistes français, il s’agirait plutôt d’une synergie entre l’influence de la sphère politique, les convictions personnelles, et de nouvelles conditions de travail qui auraient conduit à présenter une image de l’islam qui n’est en rien représentative de la réalité.

Cette vision de l’islam, binaire, simpliste et faisant preuve d’un manque chronique de nuance dans l’analyse n’est pas sans suite. En premier lieu, ce sont bien évidemment les musulmans eux-mêmes qui en ressentent les effets, mais plus largement, c’est toute la population qui est touchée par ce phénomène. Dans notre société où les médias occupent une place prépondérante, comment croire qu’un tel comportement médiatique serait resté sans conséquences?

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