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4-2) Séduction du public, infotainment et simplification à outrance :

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En effet, si l’on assiste ces dernières années à un rapprochement significatif entre information et divertissement ce n’est que dans un but : faire de l’audience, attirer des lecteurs ou auditeurs.

Ainsi, Thomas Deltombe, en visionnant tous les reportages, toutes les émissions et tous les principaux JT français consacrés à l’islam de 1975 à 2005, a perçu ces mutations et ce mélange des genres croissant. N’épargnant ni les chaînes privées, ni les chaînes publiques, cette nouvelle logique de l’information se veut donc divertissante et populaire, à l’image de ce que les anglo-saxons appellent l’infotainment (NDA : mélange entre les termes « information » et « entertainment », qui signifie divertissement). Fort de son succès, cet infotainment est désormais appliqué aux formats traditionnellement qualifiés de sérieux, dans le but qu’ils attirent davantage de public.

Pour être rentable, un journal, une émission, une rubrique est donc condamné à plaire. Mais la séduction consistant souvent à présenter la vérité sous un jour qui plaît ou qui flatte, est-il possible de séduire sans déformer la réalité ?

L’actualité et l’information étant devenus des produits de consommation comme les autres, ils doivent se faire « vendeurs », et pour cela se conformer un minimum au lectorat qu’ils souhaitent atteindre. Entre deux feux, le journaliste doit donc constamment tenter de reporter au mieux la réalité des faits tout en faisant en sorte que ces faits soient « attractifs », le tout en conformité avec la ligne éditoriale (souvent politisée). Ce fait en tête, l’on comprend mieux comment la distorsion de l’information est une pratique qui a pu devenir monnaie courante en journalisme.

Pour plaire à ce fameux public, un des ressorts principalement utilisé aujourd’hui est l’affect, l’émotionnel. Or, en la matière, les analyses ou les décryptages poussés n’ont jamais été très forts. Du coup, comme l’explique la journaliste Nathalie Dollé, les médias et « la télévision en particulier [deviennent des] miroir[s] déformant[s] et grossissant[s] » qui simplifient et qui caricaturent.

Poussés par ce besoin permanent d’offrir du divertissement à leur public, les rédactions pratiquent la simplification à outrance. La retranscription de la réalité dans toute sa complexité est devenue « has been ».

Dollé pense que c’est parce que cette recherche « réclame des connaissances profondes […] [et] du temps de travail » qu’elle se fait de plus en plus rare. D’après elle, il serait désormais plus confortable pour les journalistes d’asséner des certitudes douteuses plutôt que d’adopter une position « médiane » et de reconnaître que rien n’est totalement noir ou blanc. En effet, cette position médiane, très « inconfortable » car induisant le risque de ne pas plaire, est inenvisageable dans une profession dont la rentabilité économique se base justement sur la séduction.

C’est bien là que se situe tout le problème : les médias n’existent que parce qu’ils plaisent, que parce qu’ils trouvent leur public. Or, s’ils s’entêtent à aller dans le sens inverse de la volonté de ce public, comment peuvent-ils survivre ? Les journaux, les radios et la télévision sont les obligés de leurs spectateurs. Alors où est le juste milieu entre faire plaisir et ne pas renier son éthique ? A quel moment, le journaliste se détourne de sa fonction première pour devenir un amuseur ou un clientéliste ? Doit-on y voir la naissance d’un nouveau type de journaliste hybride, multitâches ? Et finalement, un tel type de journaliste mérite-t-il vraiment encore l’appellation de journaliste ?

Peut être que dans notre société contemporaine, le journaliste proposant des sujets sérieux, poussés et pas forcément « aguicheurs », est voué à rester cantonné à un public minoritaire. A l’image de chaînes comme Arte et France 5, dont le credo culturel assure la réputation mais qui ne dépassent pourtant jamais certains taux d’audience. A l’image, peut-être, d’une société où les apparences, le divertissement et l’amusement prennent le pas sur tout le reste, le journaliste qui ne cherche pas à plaire ou amuser risque tout simplement d’être condamné à n’attirer que le peu de public intéressé par ses propos.

Encore plus radical, René Naba, dans son article Les Médias comme véhicule d’une idéologie dominante (Oumma.com, 18 septembre 2007) affirme que l’information, dans cette logique d’infotainment, est devenue « un excipient comme un autre dont le but n’est pas d’informer mais d’attirer l’attention et de véhiculer des messages publicitaires ». Ainsi, l’information serait détournée de son but premier afin « d’attirer assez l’attention pour faire passer le vrai produit : la publicité. »

Enfin, Mouna Hachim, femme de lettres et écrivaine marocaine, dotée de son regard extérieur, constate et regrette profondément « la reproduction d’une certaine grille d’analyse […] qui revient comme un leitmotiv sur la fièvre islamiste menaçante ».

Comme l’on vient de le voir, nombreux seraient les médias à ne plus hésiter à adopter un style « plutôt racoleur ». Et quand cela s’applique à l’islam, de manière récurrente, le port du voile est présenté comme symbole d’archaïsme et celui du bikini comme label de modernité. Voilà à quel genre de raccourcis dangereux peut mener la simplification à outrance.

Figure 16 Les médias, vecteurs d’une image négative et stéréotypée des musulmans mythe ou réalité

Un montage tout à fait représentatif du manichéisme entourant les débats relatifs à l’islam.

En la matière, Mouna Hachim estime donc que l’on peut clairement soulever la question d’une mise en oeuvre journalistique réductrice qui a « l’avantage d’attirer le chaland » mais qui a, en contrepartie, une fâcheuse tendance à caricaturer à l’excès une société en réalité bien plus complexe.

Afin de démontrer l’absurdité de nombre d’analyses journalistiques réalisées sur l’islam, elle écrit qu’il « est à la portée de tout le monde d’opposer des visions antagonistes ». Pour mieux illustrer son propos, elle explique que « si l’on décide de réaliser un reportage sur Paris axé uniquement sur l’opposition entre le luxe fastueux et la misère noire […], on peut […] reproduire l’ambiance des résidences de Neuilly [et] le faste des magasins des grandes marques [puis aller] tâter […] le pouls du Neuf-Trois [et faire] une visite guidée dans le surréaliste quartier de bidonvilles peuplé par des Roms sur l’autoroute », mais qu’au final aura-t-on donné « l’image la plus juste de Paris? »

Dans la même veine, Fouad Bahri, journaliste parisien, explique dans son article Glissements de sens et raccourcis médiatiques (Zaman.com, 14 avril 2011) que les journalistes ont tendance, dans cette vague de simplification à outrance, à procéder à des « glissements sémantiques », et ce particulièrement quand il s’agit d’islam et de musulmans. D’après ce journaliste, le fait que « pour le citoyen lambda, la frontière entre islam, islamisme et terrorisme est ténue [voire] inexistante » est certainement la résultante d’une « médiatisation forcenée, répétant et imbriquant inlassablement les mêmes mots pour qualifier une communauté aisément identifiable ».

On l’aura compris, nos médias modernes ne sont pas exempts de défauts et les pressions qui les assaillent participent à la formation et à la pérennisation de pratiques souvent déplorables. Ainsi, dans un effet « boule de neige », la concurrence pousse à l’empressement, qui lui-même entraîne la réduction du temps d’enquête des journalistes, ce qui aboutit à un mauvais traitement de l’information ; le manque d’argent, ou la volonté d’en gagner plus, conduit à faire passer la séduction du public avant la déontologie ou le bon sens ; enfin, la volonté de capter l’attention du public stimule une envie de toujours faire plus fort, plus impressionnant, plus sensationnel que le voisin, engageant ainsi les journaux, les chaînes et les stations dans une course féroce au scoop.

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