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2)a. La ryosai kembo et les héroïnes miyazakiennes

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Nous l’avons vu dans notre première partie, les femmes japonaises jouissent dans leurs jeunes années de la liberté de travailler ou de faire des études. Mais à partir de vingt-cinq ans environ, la pression familiale exige de la femme qu’elle se marie dès que possible, sous peine de finir « vieille fille ». Si on assiste aujourd’hui à une baisse du nombre de mariages et une augmentation de divorces, la société demande toujours à ce que la femme sache concilier ses nouvelles aspirations et son devoir traditionnel : celui d’être une épouse et une mère.

Les femmes représentées dans les films de Miyazaki ont souvent un rôle d’épouse et mère pour les hommes. Les hommes japonais sont en effet soumis au complexe oedipien d’une épouse au comportement maternel, celui qu’avait leur mère avec eux. Les hommes dans les œuvres de Miyazaki sont ainsi réduits à l’état de petit garçon face aux femmes. Nous l’avons vu avec Gonzo, dans Princesse Mononoké, ou les pirates dans le Château dans le ciel, mais c’est également le cas dans Kiki la petite sorcière, où le boulanger ne parle pas du tout durant tout le film. Miyazaki montre une image de la femme plus forte que l’homme, plus sage que lui, capable de le guider : les femmes sont les guides des hommes. Les mères chez Miyazaki sont les plus fortes de toutes : les femmes puissantes réduisent les hommes à l’état de petit garçon, rappelant ainsi leur relation avec la mère. Notons qu’au Japon, la relation entre la mère et le fils est formatrice et explique beaucoup de leurs complexes et futurs comportements vis-à-vis des femmes. Ainsi les hommes de Miyazaki sont soumis aux femmes, qu’ils apparentent à leurs mères : les femmes, les mères, sont les figures d’autorité, et non les pères.

La ryosai kembo est le modèle parfait de l’épouse et mère traditionnelle ; en observant les personnages de Miyazaki, nous voyons que celles qui se trouvent dans des sphères féminines ne sont pas pour autant à ranger dans la catégorie des ryosai kembo. En effet, ses héroïnes correspondent à l’évolution qu’ont voulue les femmes dès les années 1980. La mère de famille travaille, mais peut aussi être une bonne mère. Les héroïnes de Miyazaki répondent à ce critère : à la fois mères et épouses, elles sont néanmoins indépendantes.

Nous pouvons prendre comme exemples pour comparer les Japonaises modernes et les personnages de Miyazaki, Yûbaba et Lisa, respectivement héroïnes du Voyage de Chihiro et Ponyo sur la falaise. Ces dernières nous permettent d’établir un parallèle avec le statut des mères japonaises de la nouvelle génération.

Yûbaba n’est certes pas une femme jeune, mais elle est une mère et plus intéressant encore, n’a pas de mari. Nous l’avons déjà remarqué, Miyazaki ne représente jamais de famille traditionnelle : l’une des figures familiales est toujours absente. Or il est intéressant de voir que dans le cas de Yûbaba, son bébé semble avoir été conçu par sa volonté seule, sans le besoin d’un père. De plus, Yûbaba est une femme de pouvoir, directrice toute puissante d’une véritable entreprise. Nous voyons ici un parallèle avec les réclamations des femmes dès les années 1980 : plus de pouvoir dans leur travail, une vraie carrière, moins de pression pour se marier, mais le choix d’avoir des enfants ou pas. La femme japonaise veut plus d’indépendance dans ses choix, se libérer des pressions qui lui dictent de se marier le plus tôt possible et d’avoir des enfants, pour ne s’occuper que de sa famille, sans autre besoin. Nous avons vu qu’avec le phénomène DINKS (Double Income, No Kids) désormais les couples ne choisissent pas forcément de suivre la tradition et de se marier, en dépit des très fortes pressions qu’ils subissent via leur famille ou encore les médias.

Lisa est quand à elle un personnage très intéressant car elle représente très bien la femme japonaise d’aujourd’hui, dans ses contradictions et ses nouveaux comportements. En effet, Lisa est une très jeune femme, mariée. Nous ne voyons jamais son mari avec elle : ainsi le foyer n’est réellement composé que de Lisa et son fils Sôsuke. Lisa peut donc être considérée comme une mère seule ; même si son mari travaille, elle travaille également, bien que son enfant soit encore très jeune. Elle laisse beaucoup d’indépendance à son fils, et, en femme moderne, laisse ce dernier l’appeler non pas « maman » mais « Lisa-san ». Son caractère est également représentatif des nouveaux comportements des Japonaises : plus revendicatrices, plus sûres d’elles, moins soumises à leur mari.

En effet, nous l’avons vu, Lisa est un personnage très impulsif, aux caractéristiques considérées comme masculines. Elle conduit très vite, brave des dangers inconsidérés grâce à une très grande confiance en elle -ce qui est une attitude traditionnellement fortement déconseillée aux femmes. Lorsque son mari la contrarie, elle se fait entendre et n’adopte pas une attitude soumise. Elle boit de la bière. Lisa correspond donc à l’image des career women, qui concilient leur vie de famille et leur travail, sans abandonner leur profession dès la naissance de leur enfant. Elle est ainsi très loin de la ryosai kembo : celle-ci ne se serait jamais offusquée de l’absence prolongée de son mari- au contraire elle aurait été heureuse de rester au calme dans son intérieur- et elle ne l’aurait certainement pas disputé au téléphone. La ryosai kembo ne conduirait pas non plus ainsi, et ne travaillerait pas à plein temps, surtout si son fils unique était encore aussi jeune.

Cependant nous constatons que Lisa a un travail très proche de la sphère féminine traditionnelle : elle travaille dans une maison de retraite. Cela correspond en effet à la réalité au Japon : les femmes peuvent certes travailler et être des mères et épouses respectées, mais la grande majorité d’entre elles travaillent dans des milieux tels que la petite enfance, les maisons de retraite, l’enseignement, l’aide sociale, et la plupart du temps à mi-temps. Lisa ressemble donc à la mère japonaise telle que nous la trouvons aujourd’hui, entre ses aspirations professionnelles, et les limitations de son choix de travail, dues aux distinctions de sphères féminines et masculines encore présentes dans le monde du travail.

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