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2. Une évolution considérable de la définition

ADIAL

La jurisprudence, souveraine dans l’appréciation du trouble et de son caractère excessif, a été amenée à envisager la notion de voisinage de manière extensive, c’est-à-dire comme un rapport entre personnes . Cela était inévitable dans la mesure où les décisions se réfèrent aux principes de la responsabilité civile. Même si très souvent, c’est le propriétaire qui crée le trouble, les décisions ne retiennent pas cette qualité pour engager sa responsabilité mais se fondent sur l’activité qu’il exerce dans les locaux dont il est propriétaire. En effet, si cette responsabilité fait effectivement figure de restriction à l’exercice du droit de propriété lorsqu’elle atteint un propriétaire dans l’usage de son droit, force est de constater qu’elle ne se limite nullement aux relations entre propriétaires voisins . Les troubles de voisinage peuvent affecter ou mettre en cause des locataires et autres occupants d’immeubles ou même des voisins occasionnels comme le sont les entrepreneurs, et la responsabilité qui en découle naît alors de rapports personnels et non de rapports entre fonds . Il faut donc approuver la tendance observée par certains auteurs à « faire sortir la question des troubles du voisinage du cadre trop étroit de la propriété et des droits réels, pour en faire un problème général de responsabilité entre voisins » , ce qui conduit la plupart d’entre eux à l’étudier dans le cadre du droit des obligations . La jurisprudence considère d’ailleurs l’action des victimes plutôt comme une action en responsabilité que comme une action réelle .

Le trouble de voisinage crée, selon B. STARCK, « un conflit entre deux libertés et non pas entre deux droits de propriété » . Ainsi, « le trouble de voisinage n’est pas seulement le fait de deux propriétaires mais de toute personne placée dans une communauté de voisinage » . Cette nouvelle approche s’impose d’autant plus aujourd’hui que cette responsabilité spéciale acquiert une nouvelle dimension avec le développement des dommages écologiques auxquels elle a vocation à s’appliquer. En l’absence de régime spécifique qui leur soit applicable, la responsabilité pour trouble du voisinage demeure en effet un instrument privilégié de réparation des atteintes à l’environnement , ce qui conforte l’idée que cette responsabilité doit être regardée plutôt comme un régime spécial de responsabilité civile que comme une limitation au droit de propriété.

Cependant, bien que la situation à réparer demeure purement objective, la théorie des inconvénients de voisinage risque de perdre son identité à trop vouloir s’écarter du droit de propriété. L’article 544 du code civil n’était pas absent, loin de là, des deux arrêts fondateurs du 4 février 1971 lorsqu’ils précisaient que « le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par les lois et les règlements, est limité par l’obligation qu’il a de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux de voisinage ». Ainsi, l’extension des catégories d’obligés n’aboutit pas à l’abandon total de l’assise réelle de la notion de troubles de voisinage comme le montre l’arrêt précité du 28 Juin 1995 . De plus, la troisième chambre civile a montré dans un arrêt de 2000, qu’elle n’hésitait pas à appliquer cumulativement les deux conceptions possibles de la théorie des troubles de voisinage en approuvant la condamnation in solidum d’un entrepreneur d’une part et d’un propriétaire d’autre part . La question qui pouvait se poser portait sur l’imputabilité du trouble anormal de voisinage. D’une part on retrouvait le propriétaire et d’autre part, l’auteur direct du dommage. Cette conception duale a véritablement été consacrée en ce qu’elle a conféré à un même trouble une coloration réelle et personnelle en rendant responsable à la fois le propriétaire et celui qui en est l’origine . La théorie personnelle semble aujourd’hui être favorisée et il semble que c’est plus l’auteur du trouble qui sera condamné.

La dualité des fondements ainsi retenue par la Cour de cassation suscite cependant une interrogation : l’originalité profonde de la notion de trouble anormal de voisinage consiste en son caractère totalement étranger à toute notion de faute et tient à l’obligation de réparation d’une situation purement objective. Le recours à une conception mixte dont le fondement serait personnel ou réel alternatif, ne conduirait-il pas à la sanction de tous les abus comportementaux non fautifs, qu’ils soient ou non liés à l’exercice du droit de propriété? Le recours à cette conception minimise sans doute le rôle de la faute dans la mise en œuvre de la responsabilité civile individuelle et va permettre de sanctionner une personne pour son attitude, certes abusive, mais dans des hypothèses où le juge refuserait d’appliquer les articles 1382, 1383 ou 1384 du Code Civil.

Enfin, quand on analyse l’évolution de cette notion de « voisinage », il semble pertinent de s’attarder sur l’expression selon laquelle « nul ne saurait contester qu’une personne peut être revêtue de la qualité de voisin sans être nécessairement propriétaire » . Il n’y a aucune contradiction entre cette observation et le fait que le rapport de voisinage est envisagé comme étroitement rattaché à la propriété. Si des locataires peuvent être voisins, s’ils peuvent être auteurs ou victimes de troubles de voisinage, c’est que le contrat qui les lie au propriétaire donne naissance à un rapport à la chose de celui-ci, se traduisant par des liens extrêmement forts entre le preneur et le bien. Parce qu’il jouit légitimement de la chose, le preneur doit être protégé dans son rapport à la chose comme l’aurait été le propriétaire. Il doit de même répondre des nuisances qu’il occasionne aux voisins.

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