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2. L’ISR « responsabilité »

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. Description

Cet ISR consiste à sélectionner les entreprises les plus « responsables » dans leur domaine. La difficulté réside dans ce que recouvre la notion de « responsabilité ». Le consensus dominant dans la communauté des investisseurs ISR inclut les critères ESG en fait issus de l’acteur institutionnel le plus important dans l’ISR : le fonds de réserve des retraites.

Un rapide tour d’horizon des sites internet de quelques acteurs importants de l’ISR nous permet de comprendre que les critères ESG sont largement laissés à l’appréciation des gérants.

Tableau 7 : comparaison des grilles de notation de quelques acteurs de l’ISR

Comparaison des grilles de notation de quelques acteurs de l’ISR

Nous remarquons ainsi que l’agence de notation adapte sa grille de critères en fonction des secteurs étudiés et que Novethic ne définit pas les critères ESG nécessaires à l’octroi du label.

L’instrument privilégié de ce type d’ISR est la sélection Best-in Class. Cette méthode requiert un accès important à l’information et des moyens pour retraiter celle-ci. En outre la sélection sur des critères positifs ne permet pas d’éliminer toutes les entreprises jugées irresponsables. Tous les secteurs sont « éligibles » et malgré la qualité des démarches RSE, le secteur peut ,du fait même de sa nature, avoir des impacts délétères sur ses parties prenantes (ex : fabrication d’armes).

Pour cette raison, de plus en plus de gérants couplent cette méthode à des critères d’exclusion qu’ils définissent eux-mêmes. Ainsi, l’entreprise Meeschaert exclut les secteurs réalisant plus de 5% de leur chiffre d’affaires dans les secteurs de l’alcool, de l’armement, des jeux d’argent, de la pornographie et du tabac.

Par ailleurs, bien que les ONG considèrent la responsabilité des entreprises comme fondement de l’ISR, elles critiquent sévèrement les méthodes actuelles qui ne permettent en aucun cas, selon elles, d’évaluer de manière fiable le degré de responsabilité des entreprises.

Pour conclure, l’ISR responsabilité prédomine actuellement dans les marchés européens bien qu’il soit, comme nous le verrons plus loin, de plus en plus concurrencée par l’ISR responsabilisation.

. Les failles de l’ISR responsabilité

Avant d’analyser les faiblesses inhérentes à cet objectif et à son corolaire pratique, la sélection best-in-class, il nous semble important de mettre en exergue le principe sous-jacent de cet objectif. Dans l’ouvrage L’investissement socialement responsable, les auteurs pointent un malentendu ayant pour origine l’assertion suivante : « l’investisseur (ISR) est socialement responsable »(52) , ce qui se traduit par la conséquence supposée « qu’il sélectionne les entreprises socialement responsables ».

Cette croyance invalide le mythe de la velléité de responsabilité (par l’exclusion ou la sélection ESG) : « En quoi l’entreprise parce que présente dans un fonds qualifié d’ISR, serait-elle par contagion socialement responsable ? ».

Mais le point qui nous intéresse ici réside dans l’extrait suivant :

« En tout état de cause, faire l’hypothèse que l’investisseur ISR investit systématiquement dans des entreprises socialement responsables est une hypothèse lourde et inutile. Certains opteront pour un portefeuille exclusivement composé de sociétés répondant à leurs critères mais l’investisseur est qualifié d’investisseur ISR dès lors qu’il introduit des critères autres que financiers. L’investisseur ISR va investir dans certaines entreprises parce qu’elles correspondent tout simplement à ses critères et que la détention de leur titre contribue à la maximisation de l’utilité qu’il en retire »

Une première remarque vient de l’allégation explicite que les investisseurs privilégient certains critères par rapport aux autres contredisant ainsi l’objectif assigné à la base à cet investissement. Ainsi, les auteurs prennent acte du fait qu’il est impossible de sélectionner une entreprise « responsable » et que celles-ci sont imparfaites. Il s’agit donc de sélectionner les plus « parfaites » ou de manière plus réalistes, les moins imparfaites.

Une deuxième remarque tient du fait que la seule manière de sélectionner les entreprises puisqu’il n’est pas possible de juger leur niveau de responsabilité de manière absolue, est de le faire de manière relative. Il s’agit donc ici de comparer les entreprises d’un même secteur et de favoriser les meilleures selon des critères (avec pour base de départ la convention ESG) propres à chaque investisseur.

Dès lors, peut-on réellement nommer ce type d’investissement « investissement socialement responsable » ? Nous sommes ici face à un paradoxe entre la volonté affichée de ce type de fonds et de la pratique réelle de ceux-ci.

Ce malentendu dissipé, nous pouvons maintenant comprendre les faiblesses d’une telle méthode :

La méthode actuelle ne répond pas à l’objectif souhaité

La première faiblesse de cette méthode est son échec (partiel) à répondre à l’objectif de départ : sélectionner des entreprises responsables. Les tenants de cette méthode admettent qu’il n’est pas possible de sélectionner des entreprises responsables mais que l’investisseur best in class se borne à sélectionner des entreprises plus responsables que d’autres sur certains enjeux privilégiés.

Sera-t-il toutefois possible à l’avenir d’évaluer le niveau de responsabilité des entreprises ? Nous analyserons ce point dans la seconde partie de ce chapitre.

La diversité et son revers

En France, la méthode de sélection Best in Class est largement majoritaire (90%).Les fonds labellisés Novethic exigent l’utilisation de cette technique comme technique de base. Pourtant, les critères ESG ne sont pas définis. Novethic ne décrit pas ces critères et la comparaison des critères de sélection entre deux sociétés de gestion (Agicam et la banque postale) dénote d’une grande disparité de prise en compte des critères « extra-financiers ».

Ainsi, un gérant peut décider d’éluder des enjeux majeurs de responsabilité sociétale si sa grille de départ est limitée. Le risque est une dégradation de la qualité globale de la sélection ISR qui se contenterait de peu de critères : l’obtention du label ISR n’ayant aucune exigence en matière de champs d’analyse, quelle serait l’intérêt pour un gérant d’opter pour des champs larges ? Une réponse à cette question serait un avantage compétitif sur la qualité de la sélection « socialement responsable ».

Mais cet argument n’est pas de mise, car les sociétés n’ont aucune obligation de transparence sur leur critériologie (exhaustive) vis-à-vis du client final. A rebours, l’investisseur ISR risque d’être pénalisé par une intégration large de critères, car plus l’analyse est détaillée, plus cela coûtera cher à l’investisseur : l’analyse prendra plus de temps et nécessitera plus de sources, nécessitant parallèlement plus d’analystes ISR.

Des secteurs controversés

L’étude des Amis de la Terre(53) analyse la composition de 89 fonds ISR et en conclut que 71 contenaient des titres d’entreprises ayant fait l’objet de controverses publiques. Ainsi 56 fonds incluaient l’entreprise GDF Suez décriée pour sa participation à la construction du barrage Jirau sur le Rio Madeira entraînant selon l’ONG, des déplacements forcés de personnes ou encore des violations du droit du travail Brésilien.

Les fonds intègrent aussi des secteurs intrinsèquement sujets à la controverse de par la nature de leurs activités. Ainsi, 15 fonds ISR intégraient en 2010 l’entreprise Total, 16 fonds l’entreprise BP et 7 fonds l’entreprise Areva.

Dès lors, la question suivante peut être posée : est-il possible d’accoler à un fonds le groupe nominal « socialement responsable » et de se réclamer du développement durable, lorsque ce fonds intègre l’industrie nucléaire qui fait peser des risques sur l’humanité entière pour des milliers d’années ?
La méthode du best-in-class ne permet donc pas la prise en compte des répercussions de secteurs entiers puisqu’elle sélectionne de fait tous les secteurs.

Mais nous pouvons désormais dire qu’elle ne permet pas non plus de sélectionner les entreprises sur la base de leurs impacts négatifs car les entreprises ne communiquent guère sur leurs impacts négatifs. Ainsi, l’information primaire est biaisée et par effet de ricochet, l’information utilisée dans les sociétés de gestion l’est aussi. L’interviewé 2 insiste par exemple sur le fait que les Amis de la Terre sont peu sollicités par les gérants ISR pour des demandes d’information.

Les gérants ISR responsabilité ont d’ailleurs compris les limites de la méthode Best In Class dans la prise en compte des externalités négatives des entreprises et recourent pour certains à la méthode de l’exclusion.

Les faiblesses de l’exclusion

Il faut là aussi comprendre le contexte historique de cette méthode afin d’appréhender l’idéologie sous-jacente de cette méthode.

L’exclusion appelée aussi screening(54) négatif est la première démarche ISR qui a vu le jour. Les congrégations religieuses sont à l’origine de cette méthode lancée aux Etats-Unis dans les années 20. Ceux-ci excluaient généralement les « sin-stocks » (les valeurs du péché) qui correspondent en fait aux titres liés à l’alcool, le tabac, l’armement, la pornographie et les jeux). Ce jugement sanctionne ou promeut des valeurs et peut aller jusqu’à la promotion des entreprises attachées aux valeurs familiales et porte donc sur une très grande variété de critères et de sous critères (plus de 300 selon les auteurs de l’ouvrage L’investissement socialement responsable).

L’exclusion prend une tournure politique dans les années 70, rompant ainsi avec la morale protestante sous-jacente des premiers fonds éthiques. Arjaliès de la Lande les nomme « fonds éthiques de seconde génération ». Cette évolution est portée par l’indignation de la société civile face à des troubles politiques dramatiques tels que l’apartheid ou encore la guerre du Viêt-Nam. Dans ce dernier cas, ce sont les mouvements d’étudiants qui ont poussé les fonds à désinvestir des entreprises impliquées dans cette guerre (armes, agent orange…).

L’ISR se rapproche de sa forme actuelle (dominée par la sélection ESG) à partir des années 80 lors de la sélection sur la base de critères positifs (ex : produits verts), ces fonds d’exclusion existent toujours, ils sont d’ailleurs dominants aux Etats-Unis.

En France, les pratiques d’exclusion concernent 32% des fonds(55).Etant donné que 91% des fonds utilisent la méthode Best-in-Class, nous pouvons dire qu’au moins 23% des fonds Best-in-Class utilisent aussi des méthodes d’exclusion. Ceci édulcore donc l’utilisation de cette méthode afin de pallier aux défauts de la sélection ESG (non appréciation des impacts négatifs des entreprises et intégration de tous les secteurs).

Les fonds pratiquant l’exclusion ne recourent par ailleurs par tous à la même méthode, 11% utilisant des exclusions « sectorielles » et 21% utilisant des exclusions « normatives ».

52 César de Brito, Jean-Philippe Desmartin, Valéry Lucas-Leclin, François Perrin. L’investissement Socialement Responsable. Economica. Paris : Economica.p96-98
53 Les amis de la Terre. Ibid. 2010.
54 Lande, Diane-Laure Arjaliès-de la. Ibid,2007
55 Novethic. Les chiffres du marché ISR français en 2010. [pdf] 2011.

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