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2. LA RECHERCHE D’UN CRITERE PROPRE A DETERMINER LA NOTION DE «FAUTE PERSONNELLE»

ADIAL

Trois critères ont été dégagés par référence à trois branches du droit distinctes : le critère de la gravité par référence au droit social (A), le critère de l’extériorité par référence au droit des sociétés (B) et enfin le critère de la détachabilité par référence au droit administratif (C).

A. LE CRITERE DE LA GRAVITE DE LA FAUTE DU PREPOSE

Retenir le critère de la gravité tel qu’il est dégagé en droit social conduit ni plus ni moins à apparenter la «faute personnelle» du préposé à «la faute lourde» du salarié (a). Se pose alors légitiment la question de savoir s’il s’agit d’une qualification satisfaisante de la «faute personnelle» (b).

a. La notion de «faute lourde» en droit social

La chambre Sociale de la Cour de Cassation a adopté une vision très restrictive de la faute lourde. Ainsi, dans un arrêt du 27 novembre 1958, elle a considéré que l’employeur pouvait obtenir des dommages-intérêts que «si le salarié a commis dans l’exercice de ses obligations professionnelles une faute lourde équipollente au dol». Par la suite, dans un arrêt du 19 novembre 1990, elle a restreint la notion de faute lourde à «l’intention de nuire du salarié vis-à-vis de l’employeur ou de l’entreprise». Certains auteurs ont vu dans cette solution la suppression de la faute lourde au profit de la faute intentionnelle. Quoiqu’il en soit, on aboutit à une quasi irresponsabilité pécuniaire du salarié.

b. La «faute lourde» : un critère satisfaisant ?

Il nous semble difficile de soutenir que le critère de la gravité tel qu’il résulte du droit social soit satisfaisant pour définir la faute personnelle du préposé, surtout depuis que la faute lourde a été assimilée à la faute intentionnelle.
Une approche plus nuancée de ce critère s’impose et à notre sens, la faute personnelle du préposé susceptible d’engager sa responsabilité est «celle à laquelle le commettant ne pouvait légitimement pas s’attendre12». En effet, le commettant est en droit d’attendre de la part de son préposé un certain comportement, diligent et consciencieux, ce malgré la plus ou moins grande indépendance dont bénéficie le préposé à son égard. Rappelons à ce titre que le lien de préposition ne saurait être confondu avec le lien de subordination tel que défini par le droit social. Il dépasse le simple contrat de travail pour concerner tous les préposés qui travaillent pour le commettant et non pas seulement ceux qui se trouvent en situation subordonnée. Cette conception de la faute lourde implique nécessairement que le commettant n’ait ni directement ni indirectement contribué à l’accomplissement de la faute, par une de ses directives, actions ou abstentions. Le préposé doit avoir eu l’intention de servir un autre intérêt que celui de son commettant, pris ici en tant que personne morale, à savoir son propre intérêt. Même si cette conception nuancée du critère de la gravité nous semble satisfaisant, elle doit néanmoins être complétée par les apports du droit administratif et du droit des sociétés.

B. LES CRITERES DE DETACHABILITE ET D’EXTERIORITE.

Dans un premier développement, nous nous intéresserons au critère de la détachabilité (a) pour, dans un second temps, étudier celui de l’extériorité (b).

a. Le critère de la détachabilité issu du droit administratif

La notion de «faute personnelle» a connu une grande évolution en droit administratif (1) et face à cette évolution, il convient de se demander si le critère de la détachabilité est satisfaisant pour définir la «faute personnelle» dans le cadre de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil (2).

1) LA NOTION DE «FAUTE PERSONNELLE» EN DROIT ADMINISTRATIF

Tout a commencé avec le célèbre arrêt Pelletier 13rendu le 30 juillet 1873 et par lequel le Tribunal des Conflits a affirmé la nécessité de prouver une faute détachable des fonctions pour mettre en cause la responsabilité personnelle du fonctionnaire. Autrement dit, en droit administratif, la « faute personnelle » du fonctionnaire, ou plus généralement du préposé, se caractérise par son absence de lien avec le service. Cet arrêt est fondamental en ce qu’il est à l’origine de la distinction entre faute personnelle détachable des fonctions et faute de service et ainsi du partage de responsabilité entre l’administration et ses agents en cas de dommages causés à un tiers. A ce titre, la faute de service doit s’entendre comme un agissement fautif mais non détachable du service et qui engage la seule responsabilité de l’Administration devant le juge administratif, prise en sa qualité de commettant.
L’arrêt Mimeur 14rendu le 18 novembre 1949 par le Conseil d’Etat vient introduire une nouvelle notion, à savoir celle de faute personnelle «non dépourvue de tout lien avec le service». Par conséquent, avec cette jurisprudence, des éléments de rattachabilité sont possibles et quand ils existent, la responsabilité de l’Administration est engagée, quand bien même le préposé-fonctionnaire a commis une «faute personnelle». Il ne s’agit là que d’une simple garantie profitant à la victime, l’Administration disposant ensuite d’une action récursoire à l’encontre du fonctionnaire. Plusieurs degrés de rattachabilité existent donc concernant la «faute personnelle».

A partir de là, se pose légitiment la question de savoir quand on peut considérer que le fait du fonctionnaire est détachable ou non de ses fonctions. En réalité, le fait dommageable du fonctionnaire-préposé ne sera pas détachable lorsque trois critères seront réunis : le fait doit être occasionné par son service, avec les moyens ou instruments mis à sa disposition par le service et, enfin, dans l’intérêt personnel du fonctionnaire. Lorsque seulement deux de ces critères sont réunis, on est dans le cadre d’une faute non dépourvue de tout lien avec le service. Néanmoins, il convient de préciser que si ces trois critères sont réunis mais que la faute est tellement grave qu’elle dépasse la moyenne des fautes auxquelles l’Administration peut s’attendre, on retombe dans la « faute personnelle » susceptible d’engager la responsabilité du fonctionnaire. On retrouve ici l’approche nuancée de la faute lourde issue du droit social qu’il nous a semblé plus opportune de retenir dans le développement précédent, approche qui consiste à considérer que la « faute personnelle » du préposé susceptible d’engager sa responsabilité est «celle à laquelle le commettant ne pouvait légitimement pas s’attendre».

2) CRITERE DE LA DETACHABILITE : UN CRITERE SATISFAISANT ?

L’adoption du critère de la détachabilité pour définir la «faute personnelle» du préposé dans le cadre de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil semble satisfaisante en ce que ce critère a pour mérite de distinguer la «faute personnelle» de l’ «abus de fonction». Or, cette différenciation est nettement recherchée par la Chambre commerciale dans l’arrêt Rochas qui, rappelons-le, a énoncé que le préposé ne répond personnellement des actes qu’il a accomplis dans le cadre de sa mission que s’il est prouvé qu’il a commis une «faute personnelle». En outre, le critère de la détachabilité permet de distinguer les différentes fautes susceptibles d’être commises par le préposé.

b. Le critère de l’ «extériorité» issu du droit des sociétés

Comme précédemment, après avoir étudié la notion de « faute personnelle »en droit des sociétés (1) on s’interrogera sur l’opportunité de l’adoption du critère de l’extériorité dans le cadre de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil (2).

1) LA « FAUTE PERSONNELLE » EN DROIT DES SOCIETES

Le critère de l’extériorité utilisé en droit des sociétés pour définir la «faute personnelle» du dirigeant se fonde principalement sur la théorie de la représentation selon laquelle le dirigeant, mandataire de la société en ce qu’il agit en son nom et pour son compte, n’engage pas sa responsabilité pour les actes qu’il commet dans le cadre de son mandat. En effet, les actes du dirigeant engagent la responsabilité de la société mandante considérée comme les ayant effectués elle-même. La théorie générale de la représentation15 implique que les tiers victimes ne peuvent se retourner qu’à l’encontre de la société mandante pour obtenir des dommages-intérêts. La responsabilité personnelle du dirigeant ne saurait être engagée que s’il commet une faute extérieure soit, selon les termes employés par la Cour de Cassation, au contrat, soit aux fonctions, soit, enfin, s’il commet une faute distincte de celle de la société. L’assimilation du critère de l’extériorité à celui de la détachabilité est tentante mais ne doit pourtant pas être opérée, la «faute personnelle» du dirigeant restant autonome à la « faute personnelle » du droit administratif. En effet, la faute extérieure du dirigeant demeure connexe à ses fonctions et se distingue nécessairement des actes par lesquels le dirigeant agissant au nom et pour le compte de la société mandante qui, dans cette hypothèse et en vertu de la théorie générale de la représentation susvisée, voit sa responsabilité engagée à la place de celle du dirigeant. Sous cet angle là, la faute extérieure du dirigeant s’assimile fortement à la «faute non dépourvue de tout lien avec les fonctions» du droit administratif mais la jurisprudence civile ne distinguant pas entre différents degrés d’extériorité, demeure différente. Les conséquences qui en découlent sont de taille puisque dans le régime du droit administratif, en cas de «faute non dépourvue de tout lien avec les fonctions», la victime peut se tourner vers l’Administration pour obtenir réparation, laquelle dispose ensuite d’une action récursoire contre le fonctionnaire. En droit des sociétés, en cas de faute extérieure du dirigeant, la victime ne pourra agir qu’à son encontre.

2) LE CRITERE DE L’EXTERIORITE : UN CRITERE SATISFAISANT ?

Cependant, il ne nous semble pas que le critère de l’extériorité tel que dégagé en droit des sociétés soit satisfaisant pour définir la «faute personnelle» du préposé dans le cadre de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil. En effet, la faute extérieure présente de trop grandes similitudes avec l’abus de fonctions en ce qu’elle constitue une faute connexe commise grâce aux fonctions exercées par le dirigeant mais en dehors de celles-ci. Or, comme nous l’avons vu précédemment, la «faute personnelle» dégagée dans l’arrêt Rochas et susceptible d’engager la responsabilité du préposé est celle commise dans le cadre de sa mission. En raison de cette similitude, le critère de l’extériorité, contrairement à celui de la détachabilité doit être écarté au risque de dénaturer la volonté de la Cour de Cassation.
Par conséquent, il ressort de ce développement qu’une définition de la «faute personnelle» peut être avancée sur le fondement des deux critères de la gravité issus du droit social et de la détachabilité issu du droit administratif. Ainsi, le critère de la gravité constituerait le critère de principe, la «faute personnelle» pouvant être constatée lorsqu’elle présente les caractéristiques de la faute intentionnelle ou lorsque le commettant ne pouvait légitiment pas la prévoir, conformément à la théorie de Madame Geneviève VINEY. Le critère de la détachabilité ne serait qu’alternatif par rapport à celui de la gravité et entrerait en compte lorsque la faute du préposé n’est pas dépourvue de tout lien avec les fonctions, conformément à ce que nous avons vu précédemment.
En définitive, l’arrêt Société des parfums de Rochas a été largement accueilli en Doctrine en raison de la conception moderne du régime de responsabilité du commettant qu’il instaure. En effet, il officialise l’idée de garantie du préposé par le commettant dès lors que ce préposé a agi dans le cadre de ses fonctions. On assiste à une véritable rupture avec le régime antérieur, en faveur du préposé.
Néanmoins, des réserves ont été soulevées à l’encontre de l’arrêt et certains auteurs ont mis en exergue le fait qu’il ne s’agissait que d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation et que partant de là, on ne pouvait savoir avec certitude si les Chambres civiles allaient s’aligner à sa position. En outre, l’absence de publication au bulletin a permis à certains auteurs de conclure qu’il n’y avait pas lieu à accorder une trop grande importance à cet arrêt.
Pour notre part, nous nous rallierons à la doctrine favorable à l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation même si nous regretterons l’absence de définition précise de la «faute personnelle» susceptible d’engager la seule responsabilité du préposé. Une telle précision aurait eu pour mérite de préciser le champ d’application de l’arrêt Société des parfums de Rochas et de préciser ainsi le régime de responsabilité du commettant.

12 Recueil Dalloz Sirey, 1994, note G. VINEY
13 T.C., 30 juillet 1873, Pelletier, G.A., no 2.
14 C.E., 18 novembre 1949, Mimeur, G.A., no 75
15 Cass. com., 8 mars 1982

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