Gagne de la cryptomonnaie GRATUITE en 5 clics et aide institut numérique à propager la connaissance universitaire >> CLIQUEZ ICI <<

§2. La diminution des financements d’origine institutionnelle.

Non classé

L’affaiblissement des investisseurs institutionnels est perceptible de deux points de vue.

A. Les conséquences de la crise sur les investisseurs institutionnels.

1. L’importance des investisseurs institutionnels sur le paysage du capital-risque.

Les banques et autres investisseurs institutionnels n’interviennent pas que dans le cadre de l’octroi éventuel de crédits. En effet, il est possible que ces acteurs agissent en tant qu’investisseurs au sein de fonds communs de placement. L’importance de leurs investissements est d’ailleurs primordiale.

Malgré l’absence de données précises sur le poids des investisseurs institutionnels au sein du capital-risque, leur présence évaluée à l’échelle plus générale du capital-investissement suggère une forte implication de ces derniers. En effet, les banques, les compagnies d’assurance et mutuelles et les caisses de retraite représentent quasiment 45% des capitaux.

Répartition des capitaux levés par origine et par type de souscripteurs

Les banques apparaissent même selon certaines études comme des investisseurs stratégiques. Comme le démontrent T. Hellman, L. Lindsey et M. Puri dans le cadre d’une étude empirique(49), il existe une complémentarité entre l’activité de banquier et celle de capital-risqueur, les banques utilisant leurs investissements par capital-risque afin de construire une relation avec les entreprises financées dans l’optique de développer, par la suite, leur activité de prêt.

2. L’influence des restrictions imposées aux investisseurs institutionnels sur le financement du capital-risque : de Solvabilité II à Bâle III.

La crise des subprimes révéla les faiblesses du système bancaire tel qu’il était conçu durant cette période. La faillite de Lehman Brothers démontra la fragilité de nombreuses banques.

L’insuffisance de fonds propres de ces établissements constitua donc l’un des principaux chantiers de rénovation du système bancaire. Ce mouvement de renforcement des fonds propres des banques, et donc de leur capacité à absorber d’éventuelles défaillances, fut initié bien avant la survenance de la crise, avec l’apparition bien connue du ratio Cooke dans le cadre du Comité de Bâle en 1988. Constatant l’insuffisance des ratios de solvabilité modernisés existants, le Comité de Bâle préconisa un renforcement des fonds propres des banques, et ce en intégrant dans le calcul des ratios de solvabilité existants des facteurs de risque non pris en considération, jusque là. Ce fut le cas dans le cadre de Bâle II avec la prise en compte du risque opérationnel dans le calcul des exigences de fonds propres, ou encore dans Bâle III avec une amélioration qualitative des fonds propres pris en considération dans les calculs. Les déclarations faites dans le cadre des Comités de Bâle, dépourvues d’effet juridique, furent reprises par la Commission européenne, laquelle les transpose sous forme de directive ou règlement.

L’Institut de finance international (IIF) a réalisé une estimation des conséquences des exigences de Bâle III et a constaté que ces dernières auraient un impact négatif sur la croissance de la zone euro de 0,5 % de PNB sur la période 2011 à 2015, soit 4, 5 % en cumulé(50).

Surtout, la mise en place de ces dispositifs prudentiels et leur renforcement conséquemment à la crise ont une incidence directe sur la capacité d’investissement des banques, comme l’affirme Eric Harlé, président de la commission capital-risque de l’Afic(51) : “Nous n’avons pas encore de chiffres en ce qui concerne les collectes FCPR mais les dispositifs européens Bâle III et Solvency 2 imposent aux investisseurs institutionnels de renforcer leurs fonds propres, ce qui leur laissera d’autant moins d’argent à investir. Par conséquent, les FCPR vont également connaître des baisses très significatives de leurs levées”. Ce dernier constate que les banquiers et les assureurs s’éloignent donc de plus en plus du métier d’investisseur. Les textes prudentiels sur les compagnies d’assurance («Solvabilité II») et les banques (règlement et directive sur les exigences de fonds propres) assimilent en effet les investissements en
capital-risque à des opérations à haut risque pour le calcul des exigences de fonds propres. Le défaut de liquidité de ces actifs justifierait cette exigence de fonds propres. Néanmoins, en imposant un chargement de leurs fonds propres pour les investissements en actions non cotées, le régulateur dissuade les assureurs d’investir dans cette classe d’actifs au profit des investissements immobiliers ou titres d’État pour lesquels les exigences en fonds propres sont très inférieures. Pourtant, comme le souligne certains praticiens, l’immobilier, qui représente 80 % des investissements des compagnies d’assurances, est lui aussi illiquide, et ne subit pas pour autant un tel traitement(52)

La Commission a en ce sens déclaré qu’elle évaluerait les incidences de ces exigences de fonds propres afin d’établir s’il est nécessaire de les modifier à moyen ou à long terme.

L’incertitude inhérente à ces investissements en matière de capital-risque justifie la nécessité de disposer de fonds propres corrélatifs pour ces établissements. Néanmoins, un tel mécanisme conduit inéluctablement à une réduction desdits investissements. Le choix politique est alors complexe puisqu’il doit concilier stabilité du système financier d’une part et financement de l’économie et de l’innovation d’autre part. La solution n’a pas nécessairement à favoriser uniquement l’un au détriment de l’autre, une solution intermédiaire pouvant consister à fixer un montant de fonds propres nécessaires qui ne découragerait pas les investisseurs. Or, précisément sur ce point, les ratios adoptés sont contestés. Par exemple, l’étude EDHEC | AFIC a démontré que les ratios retenus pour les calculs de Solvabilité II, notamment celui de 49 %, ne correspondaient pas au risque effectif d’un investissement dans le non coté comparé, par exemple, à un placement dans des actions cotées en Bourse(53).

L’AFIC propose dans cette optique de créer un fonds de garantie mutuelle destiné à couvrir les différents investissements en fonds propres auprès des PME, et ce afin de réduire la contrainte en fonds propres des établissements soumis à des règles de solvabilité(54). Les investisseurs institutionnels pourraient ainsi s’assurer auprès de ce fonds et ainsi réduire leur risque.

B. Le prêt bancaire, coûteuse alternative aux déficiences du financement par capitalrisque.

Selon la dernière enquête (9/2010 – 2/2011) réalisée par la Banque centrale européenne (BCE) en collaboration avec la Commission européenne sur l’accès au financement des PME de la zone euro, près de 15 % des PME interrogées ont cité «l’accès au financement» comme étant leur problème le plus pressant.

Paradoxalement, la baisse de l’affluence des investisseurs institutionnels en matière de capital-risque tend à augmenter les besoins de financement des entreprises innovantes, lesquelles s’orientent donc vers des politiques d’endettement.

Ces nouvelles réglementations ont donc une double incidence, une diminution des investissements en capital-risque d’une part et une raréfaction du crédit d’autre part. L’effet conjugué de ces deux facteurs tend à considérablement réduire les sources de financement des PME.

L’emprunt bancaire s’avère de façon générale peu approprié aux particularismes des entreprises innovantes en phase de démarrage. L’incertitude quant à la réussite de sociétés nouvellement créées et à fort potentiel représente un facteur influent dans la décision d’octroi de crédit par les banques.

L’accroissement de l’incertitude liée au projet réduit d’autant les sources de financement envisageables. En effet, la logique bancaire est la plupart du temps fondée sur des données statistiques, des probabilités de défaillance. A partir de ces données sont calculées les possibilités d’octroi de crédit, avec l’existence d’un risque statistiquement évalué de non remboursement. Or précisément dans le cadre du capital-risque, la notion d’innovation introduit le concept d’incertitude, et donc l’impossibilité de chiffrer le risque de défaillance et les probabilités de réussite. Il s’agit donc d’un contexte « d’opacité informationnelle »(55) particulièrement dissuasif en période de crise économique. De plus, le mode de rémunération des banques, fondé sur une rémunération forfaitaire indépendante des performances économiques de la société ne constitue pas un facteur incitatif. Donc non seulement le paradigme bancaire est peu friand de la notion de capital-risque, mais la crise et les nouvelles exigences en matière de fonds propres qui en résultent incitent de plus à la prudence des acteurs bancaires. Ce constat se matérialise dans le pire des cas par un refus de financement de la société ou, au mieux, par un financement à coût élevé.

Or le paiement d’intérêts pour une société en phase de démarrage ne constitue pas un avantage, contrairement au capital-risque qui, outre un investissement personnel du capital-risqueur, évite le paiement d’intérêts puisqu’il s’agit d’apports en fonds propres. Non seulement le coût peut être élevé, mais de plus les prêts octroyés sont souvent d’un montant limité, aboutissant sur une sorte de « saupoudrage » (56), à savoir une allocation de capitaux d’un montant modeste à de nombreux projets.

La crise financière a accentué ce phénomène puisque de nombreuses PME doivent payer des taux d’intérêt nettement plus élevés pour leurs prêts bancaires. C’est le constat qui résulte de la dernière enquête de la Banque centrale européenne (BCE), selon laquelle plus de 50 % des PME de la zone euro incluses dans l’échantillon ont signalé une hausse des taux d’intérêt pratiqués par les banques et un resserrement général des conditions de prêt bancaire aux PME.

Cette crise a aussi fortement pesé sur les ouvertures et extensions de lignes de crédit des banques aux PME, dont la quête d’autres sources de financement est devenue d’autant plus pressante. Faute de ressources financières suffisantes, le capital-risque n’a pourtant pas été en mesure de répondre à ce besoin criant.

49 “Building relationships early : banks in venture capital”, T. Hellman, L. Lindsey et M. Puri, NBER Working paper series, n°10535, 2004.
50 “Interim Report on the cumulative Impact on the Global Economy of Proposed Changes in the Banking Regula-tory Framework’ Institut of International Finance, juin 2010
51 Association Française des Investisseurs en Capital.
52 Dominique Sabassier, directeur général délégué en charge des gestions de Natixis Asset Management, dans le cadre d’un article de Patrik Arnoux : “L’effet Papillon, La nouvelle régulation financière bouleverse le paradigme du Private equity”
53 “De la pertinence de la calibration du risque Private Equity dans la formule standard de Solvency II”, EDHEC | AFIC, 22 juin 2010
54 AFIC, livre blanc du capital-investissement
55 “Le capital-risque, mécanisme de financement de l’innovation”, Bernard Ghuilon, Sandra Montchaud
56 “Le capital-risque”, Emmanuelle Dubocage et Dorothée Rivaud-Danset

Page suivante : §3. L’insuffisance des sources alternatives de financement.

Retour au menu : L’interventionnisme public dans le développement contemporain du capital-risque français