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1)c. Evolution des droits des femmes et conséquences

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Les années 1980 ont vu l’avènement des career women, femmes qui concilient travail et vie de famille. En effet, comme le constate Vera Angeloni dans le Consensus au féminin écrit en 1984, depuis les années 1970, ce ne sont plus uniquement les femmes célibataires qui ont un travail (lequel, dans les années 1950 et 1960, n’est censé durer que durant les brèves années de leur célibat, avant leur vrai travail, mère au foyer). Un pourcentage de 55,6% des femmes qui travaillent dans les compagnies sont mariées en 1979 ; cependant le montant des salaires représente la moitié de ce que gagnent les hommes. En 1981, le pourcentage de femmes mariées parmi les femmes qui travaillent est de 58%, 38% à temps plein, 26% à temps partiel (66). L’auteur explique également que de profonds changements commencent, dans les années 1980, à entamer le bastion des valeurs traditionnelles. Les jeunes filles des nouvelles générations refusent l’existence qui a été le lot des générations précédentes. On observe une augmentation du taux de divorce, une baisse de la natalité, et un désintérêt croissant pour le mariage. En effet, 25% des célibataires de sexe féminin déclarent ne pas vouloir se marier en 1979. De nombreux phénomènes accompagnent ces constats, preuves de bouleversements du statut des femmes : augmentation de l’adultère chez les femmes mariées, banalisation de la prostitution des jeunes filles, nommé le « enjo kosai », que nous verrons plus loin.(67)

La contraception et la légalisation de l’avortement, symbole de liberté pour les femmes, en 1949 avec la Convention de Genève, sous l’impulsion américaine, participent à une forte baisse de la natalité : 50% de naissances en moins à partir des années 1970 (68). En 1925, on notait environ 5 enfants par femme, puis 3,65 en 1950, et 1,57 en 1989. Aujourd’hui, la moyenne est de 1,23 par femme. Parallèlement, on note l’apparition du phénomène DINK : « Double Income-No Kids ». De plus en plus de jeunes couples décident de ne pas avoir d’enfants. Une récente publication du ministère japonais de la Santé, du Travail et des Affaires sociales a montré le lien entre la baisse de la natalité et les nouveaux choix de vie des femmes, dues à une difficulté à effectuer des compromis : « Une cause importante de la chute du taux de natalité est l’augmentation du nombre de célibataires en réponse à un fardeau de plus en plus lourd porté par les femmes du fait de leur double rôle de mère et de travailleuse. »

Selon un sondage effectué en 1995, 50% des femmes âgées entre 25 et 30 ans sont encore célibataires. En 1985, elles ne sont encore que 30%. De plus, selon un sondage effectué par Dr Ogawa Naohino en 1995, 75% des jeunes femmes japonaises sont en faveur du phénomène des « nouveaux célibataires », ou DINK, et souhaitent profiter de leur vie de célibataires sans se soucier du mariage. Ce dernier a aussi remarqué que, si 75% de ces femmes ne souhaitent pas se marier, leurs compagnons ne sont que 50% à ne pas vouloir se marier également, signifiant que les femmes sont de moins en moins nombreuses à être intéressées par le mariage, et moins attachées aux traditions que les hommes.(70)

Deux mesures politiques ont permis aux femmes d’accéder plus facilement au travail, et donc à une plus grande indépendance, marquant ainsi le début de la « dégénérescence des mœurs (71)» dont parle le psychologue Takahashi Tôru dans Homo Japonicus, ou plus simplement, l’avènement des career women et le recul de la séparation des sphères traditionnelles : la Convention pour l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Envers les Femmes, adoptée en 1977 par les Nations Unies ; et le Livre Blanc de 1981 sur la Vie des Citoyens Japonais .(72)

D’autres lois sont apparues après la Seconde Guerre mondiale. En 1947, puis en 1986, deux lois importantes relatives à l’égalité des chances entre hommes et femmes au travail sont adoptées. La loi sur la protection au travail de 1947 vise à protéger les femmes. Elle restreint les heures supplémentaires et interdit les heures de nuit, travail jugé trop « dangereux » pour la fragilité des femmes. Comme le remarque Nilsy Desaint dans Mort du père et place de la femme au Japon, ce que vise cette loi est surtout « la protection de la femme en tant que mère potentielle qui risque, du fait de conditions de travail difficiles, de mettre en péril (…) sa fonction première de mère de famille ».(73)

A partir des années 1980, des travailleuses et des féministes ressentent cette « protection » comme un frein à l’égalité au travail, qui bloque l’émergence de la femme moderne, « la femme qui souhaite faire carrière sur un même pied d’égalité que les hommes ». La loi sur l’égalité des chances de 1986 est une réponse aux signes de discrimination les plus visibles envers les femmes.

Mais ce texte de loi comporte aussi des lacunes. Comme nous l’avons vu précédemment, du fait du type d’éducation qui continue à être relativement différencié entre hommes et femmes, et le plus grand nombre d’étudiants de sexe masculin dans les grandes universités, nous comprenons que malgré des textes sur l’égalité des chances, l’égalité entre une femme issue d’une éducation « féminine » et un homme issu d’une belle éducation « masculine » n’existe pas aux yeux de l’employeur d’une grande entreprise. Le pourcentage d’hommes embauchés est toujours plus élevé que le pourcentage de femmes.

De nombreux obstacles barrent la route des femmes à la « voie royale », qui permet de faire carrière dans une entreprise, et accéder à une promotion à un poste important : leur profil académique, inférieur aux hommes, comme nous l’avons constaté, et la durée de leurs services, causé par le besoin imminent de fonder une famille, ou tout du moins, crainte des employeurs . Cependant, on note tout de même une amélioration : il n’y a plus que 3% de postes réservés aux hommes en 1987, contre 23% avant la loi de 1986, et les opportunités d’emploi sans distinction de sexe sont passées de 32% à 72%. En 1995, selon un sondage effectué par le ministère du Travail, un Japonais sur cinq pense que les hommes et les femmes devraient avoir les mêmes chances.(75)

Depuis les années 1980, où le statut des femmes a réellement changé, le monde de la femme paraît très différent de ce qu’elle vivait auparavant. La mère de famille travaille à mi-temps ; elle s’instruit, fréquente des centres culturels, voyage, étudie plus longtemps. Les hommes sont considérés comme « des feuilles mortes mouillées » (76), expression japonaise choc (signifiant que les hommes, comme les feuilles mortes mouillées, collent à la femme, tels des fardeaux) utilisée pour la première fois par la féministe Higuchi Keiko.

Un autre des phénomènes apparus avec l’avènement de la femme moderne, l’un des plus manifestes et les plus inquiétants, est la prostitution des lycéennes, devenue très répandue, nommée « enjo kosai »: des jeunes filles vendent leur corps aux salarymen pour pouvoir s’acheter des vêtements de marque – un atout mode très important dans les rues japonaises, les grandes marques européennes étant très en vogue. Le psychologue Takahashi Tôru cité dans Homo Japonicus y voit la preuve d’une évolution des dernières générations montrant un mauvais exemple aux plus jeunes, victimes du relâchement du rôle paternel et de la baisse de transmission des valeurs morales. Celui-ci dit également : « Si les lycéennes se prostituent c’est parce qu’elles voient leur mère tromper leur père » (77).

Le Dr Sekiya Tohru, président de la clinique neuropsychiatrique Sekiya, auteur de Ces hommes qui ont peur de rentrer chez eux (Planet Shuppan, 1989), interrogé en 1995 et cité dans Homo Japonicus, analyse la mort du système patriarcal et ses conséquences, dues à l’avènement de femmes désormais plus fortes, plus autonomes. Il décrit les souffrances des hommes qui ne se sentent plus aussi autoritaires qu’avant, et encore moins appréciés ; l’homme est même parfois totalement ignoré par sa famille ; il se sent dévalorisé. « Autrefois, le chef de famille avait l’habitude de remettre sa paie à sa femme (…) sa famille lui était reconnaissante », aujourd’hui, explique le Dr Sekiya, « sa famille ne se gène pas pour lui faire sentir qu’il n’a plus sa place et qu’il est de trop » (78).

Les hommes japonais souffrent de ces bouleversements au sein de la famille, mais les femmes ont également matière à se plaindre. Au Japon, une épouse japonaise supporte bien plus de la part de son mari que ne le ferait une femme française. Comme dans une relation mère-enfant, très répandue comme schème de vie de couple au Japon, elle supporte en silence, tandis que son mari se « défoule » sur elle, après avoir ôté ce masque qu’il porte toute la journée devant ses collègues de travail. Comme l’explique Muriel Jolivet, ce sont surtout les femmes qui ont connu le monde du travail et l’autonomie qui souffrent de ce genre de situation : « les femmes qui ont fait des études ou qui avaient un bon métier avant leur mariage sont plus vulnérables que les autres, car elles ont l’impression d’être rabaissées au rang d’esclaves. C’est ainsi qu’elles viennent à se détacher de leur mari, à l’exclure de leur vie » . Cela explique le phénomène de plus en plus répandu ces dernières années d’adultère chez les femmes, qui trompent leur mari pour combler le vide de leurs vies. Ce genre de comportements, inconcevables pour les femmes âgées de soixante dix ans aujourd’hui, concerne les femmes de quarante à cinquante ans : celles qui ont connu l’évolution de leurs droits dans les années 1980, et qui ont pu connaître plus de liberté, un monde différent de celui de la ryosai kenbo.(80)

Les hommes, passéistes, regrettent le temps où leurs femmes les accueillaient « dans les formes » (81), c’est-à-dire à l’aide des formules consacrées. Elles ne les accompagnent plus sur le pas de la porte pour leur souhaiter, à l’aide d’exquises formules de politesse traditionnelles, une bonne journée. Moins le mari est là, plus la femme est heureuse, comme le dit Dr Sekiya : « je me souviens d’un groupe de femmes qui ne tarissaient pas sur les voyages qu’elles s’offriraient… à la mort de leurs maris ! (82)»

Mais il convient d’analyser ces remarques avec du recul. En effet, Dr Sekiya idéalise le système patriarcal : la cohabitation est vue, par les hommes, comme étant plus harmonieuse. Mais ce système n’arrange que le père, qui est chef de famille aux pleins pouvoirs. Comme le dit Muriel Jolivet dans Homo Japonicus, « il est difficile d’imaginer que les femmes acceptent de faire le retour en arrière préconisé (…) il me semble que les hommes subissent les dures répercussions de leur non-investissement dans la famille » (83).

66 Angeloni Vera, Le consensus au féminin, op.cit., p.312
67 Angeloni Vera, Le consensus…, op.cit., p.315
68 Ogawa Naohino, Demographic trends and their implications for Japan’s future, mars 1997, site du ministère des affaires étrangères au Japon, page visitée le 06/04/11,
69 Desaint Nilsy, Mort du père…, op.cit., p.153
70 Ogawa Naohino, Demographic trends and their implications for Japan’s future, mars 1997, site du ministère des affaires étrangères au Japon, page visitée le 06/04/11,
71 Cité dans Homo Japonicus, p.140
72 Angeloni Vera, Le consensus…,op.cit. p. 316
73 Desaint Nilsy, Mort du père…, op.cit., p.123
74 Ibid, p.129
75 Ibid, p.124
76 Ibid, p.139
77 Jolivet Muriel, Homo Japonicus, éd. Picquier Poche, Paris, 2002, p. 140
78 Ibid, p.92

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