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1. L’EXTENSION DE LA JURISPRUDENCE COSTEDOAT AU PERSONNEL MEDICAL SALARIE

ADIAL

Si cette solution est aujourd’hui largement admise, nous verrons que ce ne fût pas toujours le cas. L’arrêt de la Cour de Cassation qui étendit le bénéfice de l’immunité du préposé au personnel médical salarié constitua donc un revirement de jurisprudence inattendu (A) justifiant que l’on adopte une position critique de la solution (B).

A. UN REVIREMENT DE JURISPRUDENCE INATTENDU

Alors que la Première chambre civile de la Cour de Cassation avait, dans un arrêt du 13 novembre 2002, apporté une restriction à l’arrêt Costedoat en affirmant que l’immunité qu’il consacrait ne s’appliquait pas lorsque le préposé était un médecin salarié, cette même chambre a opéré un revirement de jurisprudence pour le moins inattendu, par deux arrêts rendus en date du 9 novembre 2004. L’immunité civile s’applique désormais au médecin et à la sage-femme salariés.
Dans ces deux arrêts, les juges du fond avaient opéré une fidèle application de la jurisprudence de 2002 susvisée en condamnant in solidum le médecin et la sage-femme salariés et leurs assureurs respectifs et la clinique et son assureur, en se fondant sur l’indépendance technique dont bénéficient ce médecin et cette sage-femme dans l’exercice de leur art. Contre toute attente, ces deux arrêts furent cassés par la Cour de Cassation qui, sur le visa des articles 1382 et 1384 alinéa 5 du Code civil, énonça d’une part que «le médecin salarié, qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l’établissement de santé privé, n’engage pas sa responsabilité à l’égard du patient»23 et, d’autre part, qu’ «attendu que la sage-femme salariée qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l’établissement de santé privé, n’engage pas sa responsabilité à l’égard de la patiente». A contrario, l’établissement de santé privé répond dorénavant des actes dommageables accomplis par le personnel salarié dans le cadre de sa mission, nonobstant l’indépendance technique dont il bénéficie. En effet, l’exercice d’une activité indépendante n’est pas exclusif de l’existence d’un lien de subordination juridique à partir du moment où le médecin salarié, ou la sage-femme salariée, est soumis à des sujétions résultant de règles d’organisation interne établies unilatéralement par la direction de l’établissement privé. Si cette jurisprudence a été majoritairement bien accueillie, sa solution est loin d’être aussi évidente et il convient d’adopter une approche plus critique.

B. APPROCHE CRITIQUE

Il conviendra d’adopter d’une part une approche positive de la solution commentée (a) et, d’autre part, une approche négative (b)

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a. Approche positive de l’extension de la jurisprudence Costedoat au personnel médical salarié.

Pour beaucoup d’auteurs, notamment Patrice JOURDAIN, la décision ainsi adoptée par la Première chambre civile s’imposait et ce pour deux raisons. Tout d’abord, et comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, le personnel médical salarié se trouve nécessairement assujetti à des contraintes d’ordre purement administratif inhérentes à l’organisation interne de l’établissement. Ces contraintes, si elles ne remettent pas en cause l’indépendance professionnelle «intangible» dont bénéficie ce personnel, affectent néanmoins sa liberté d’action, ce qui empêche une totale assimilation avec le médecin qui exerce à titre libéral et qui maîtrise davantage les conditions d’exercice de son activité professionnelle. Le médecin salarié se trouve en état de subordination juridique administrative et doit donc toujours s’en remettre aux décisions prises par la direction de l’établissement privé pour exercer son art, ce qui affecte par conséquent son indépendance. Ensuite, et dans la même logique que la solution de l’arrêt Costedoat, le médecin ou la sage-femme salarié exerce son activité non pas dans son intérêt personnel mais pour le compte de son commettant. Ainsi, il semble légitime que ce soit l’établissement privé qui endosse la charge des risques inhérents à l’activité de son personnel. Là encore, on veut imputer à l’entreprise la charge des risques qu’elle crée par sa propre activité.
A l’appui de ces arguments, on peut ajouter que sur un plan purement contractuel, le patient contracte non pas directement avec le médecin opérant, salarié, mais avec l’établissement privé même, commettant. Le contrat médical se situant à ce niveau là, les obligations réciproques génératrices de responsabilité ne concernent que le patient et l’établissement privé, à l’exclusion donc du médecin salarié.
Enfin, si la Doctrine était majoritairement favorable cette extension de la jurisprudence Costedoat, c’est également parce qu’elle permet une uniformisation entre la situation du «patricien subordonné» et celle du médecin agent du service public hospitalier.

b. Approche négative de l’extension de la jurisprudence Costedoat au personnel médical salarié

La solution des arrêts du 9 novembre 2004 n’emporta pas conviction et adhésion aux yeux de toute la Doctrine qui voyait dans ces arrêts une véritable remise en question de l’indépendance du médecin et de la sage-femme salariés dans l’exercice de leur art. En effet, et selon Monsieur Cédric RIOT, cette volonté caractérisée d’uniformiser l’ensemble du contentieux de la responsabilité du fait d’autrui est de nature à porter atteinte aux principes propres de la profession médicale, dont le principe d’indépendance. Or, en vertu de ce principe, il apparaît légitime que la responsabilité personnelle de ces praticiens soit maintenue. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, la responsabilité est le pendant naturel et indispensable de la liberté qui nous est octroyée. Alors que les partisans de l’extension de la jurisprudence Costedoat considèrent que le personnel médical salarié se trouve dans un état de subordination administrative, ceux qui la dénonce estiment au contraire que subordination et responsabilité sont deux notions totalement hermétiques et que l’indépendance dont bénéficie le personnel médical salarié dans l’exercice de son art est immuable et intiment liée à la déontologie médicale. Monsieur RIOT déplore ces solutions qui ont pour conséquences que «les médecins subordonnés «réintègrent» le droit commun de la responsabilité civile»(24) alors que, selon lui, l’uniformisation du régime de responsabilité civile du fait d’autrui est utopique.

C. L’EXTENSION DE LA JURISPRUDENCE COSTEDOAT ET LA LOI DU 4 MARS 2002

La loi du 4 mars 2002 a instauré une obligation d’assurance à la charge des établissements de santé qui, en vertu de l’article L1142-2 alinéa 4 du Code de la Santé Publique, doivent souscrire une assurance pour couvrir leurs salariés agissant dans les limites de leur mission. On en véritablement en présence d’une assurance pour compte qui se justifiait alors pleinement puisque, comme nous l’avons déjà évoqué, ces salariés demeuraient responsables des actes dommageables qu’ils accomplissaient dans le cadre de leur mission. Se pose légitiment la question de l’utilité de cette obligation assurance, l’immunité consacrée par l’arrêt Costedoat profitant dorénavant au personnel médical salarié. De surcroît, l’obligation d’assurance instaurée par la loi du 4 mars 2002 ne vient pas couvrir le salarié qui agit en dehors des limites de sa mission ou qui commet une faute intentionnelle, hypothèses où la responsabilité personnelle du salarié demeure. Le bénéfice de l’immunité du préposé a t-il également été étendu à l’agent général d’assurances ?

23 Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n°01-17.908
24 Recueil Dalloz 2006 p. 111, L’exercice «subordonné» de l’art médical. 25 RCA 2000, chronique n° 18

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